« Le cauchemar de Darwin, c'est le cauchemar du documentaire »

Le cauchemar de Darwin

C'est ce jeudi que s'achève à Prague le festival de films documentaires Jeden svet/One World. Centré sur les droits de l'homme, ce festival n'en est qu'à sa huitième édition mais connaît déjà un succès important auprès du public pragois et d'autres grandes villes du pays. De nombreux réalisateurs viennent présenter leur film et participer à des débats et séminaires après les projections. C'est le cas de Christian Lelong, réalisateur originaire de Haute-Savoie, venu présenter son film intitulé Justice à Agadez.

Justice à Agadez
« C'est un film qui parle d'une pratique de justice traditionnelle dans cette ville du nord du Niger. Le film était axé sur l'idée de montrer une autre facette de la charia, vu que les médias parlent souvent de la charia en termes violents et dures. Je voulais montrer que l'Islam, ce n'est pas que les fondamentalistes, il y aussi des gens qui ont une pratique très humaniste. Et puis je voulais aussi montrer que les problématiques humaines quotidiennes sont les mêmes partout ; je trouve que c'est intéressant parce que cela tisse des liens dans l'humanité et c'est toujours bénéfique. »

Je crois que vous avez vu l'un des films-événement de ce festival, Le Cauchemar de Darwin, et qu'en tant que cinéaste qui filme l'Afrique, vous n'avez pas tellement apprécié.

« Oui, je dirais que c'est un peu le cauchemar du documentaire... Je suis un peu violent en disant cela, mais j'estime qu'il y a une rupture totale entre l'objectif visé - dénoncer des pratiques inadmissibles - et les moyens utilisés, qui consistent à faire une investigation bancale qui du coup n'est pas porteuse d'un message politique mais uniquement d'émotions qui sont absolument gratuites. C'est facile d'écrire un film comme ça qui fait pleurer les gens, mais je ne donne pas longtemps avant qu'il y ait des retours sur ce film (cf contre-enquête du quotidien Le Monde), et que ce film soit dénoncé.

Le cauchemar de Darwin
Quand je dis que ce film me déplaît, cela ne veut pas dire que la cause me déplaît, bien entendu. Je suis horrifié par la main-mise de l'industrie agro-alimentaire sur le bien commun de l'humanité. Il y a d'ailleurs un très beau film québecois qui s'appelle Le bien commun, qui dénonce cela avec une justesse d'écriture absolument éblouissante. Ce film n'est jamais passé à la télévision, comme par hasard, et pourtant il est basiquement simple et incontestable. Alors que Le Cauchemar de Darwin étant contestable, on peut aller jusqu'à contester le bien-fondé de la contestaion du commerce du poisson, pourquoi pas... »

Antoine Cattin, réalisateur suisse membre du jury du festival, n'a pas lui non plus été enthousiasmé par le Cauchemar de Darwin :

« C'est pour moi un film qui n'est pas du tout intéressant. C'est du travail d'investigation, par ailleurs à mon avis controversé car au niveau des faits tout n'est pas si simple. En plus je trouve qu'on est trop mené par le bout du nez avec les questions qui sont posées. On comprend après vingt minutes où il veut en venir, donc on n'a pas besoin d'attendre une heure pour en venir au fait. Pour moi, le problème, c'est que cela n'a rien à voir avec le cinéma documentaire tel que je le définis et l'apprécie. On ne voit que des entretiens... et le reste pour moi, c'est du 'mauvais National Geographic' où on montre des images simplement illustratives du propos. On n'entre pas du tout dans la vie de ces gens, il n'y a pas d'atmosphère au sens cinématographique. D'ailleurs dans la deuxième moitié, il y a des moments où je me suis tout simplement ennuyé ferme... »

Le Cauchemar de Darwin sort en salle cette semaine en République tchèque