Le Livre de l’année 2022

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Le journal Lidové noviny lance régulièrement une enquête pour trouver le Livre de l’année. Le journal s’adresse à des écrivains, des traducteurs, des critiques, des éditeurs et à d’autres personnalités de la vie publique et politique en leur demandant de choisir les trois meilleurs livres parus au cours de l’année écoulée et d’y ajouter aussi de courts commentaires.

L’aboutissement d’une longue tradition

'Les Silences du colonel Bramble' | Photo: Panorama

Les organisateurs de l’enquête de Lidové noviny dressent ainsi une sorte de bilan des lectures des intellectuels tchèques qui est indépendant des prix littéraires officiels et permet aux lecteurs de découvrir des titres intéressants qui ont échappé à l’attention du grand public.

L’enquête sur le livre de l’année a une longue tradition. La première enquête a été lancée par le journal Lidové noviny dès 1928 et cela a continué, avec une interruption entre 1949 et 1991, jusqu’à aujourd’hui. Le premier gagnant de l’enquête en 1928 avait été le roman Les Silences du colonel Bramble d’André Maurois et, l’année suivante, l’enquête avait été remportée par Erich Maria Remarque et son best-seller pacifiste A l’Ouest, rien de nouveau.

Le sort dramatique des religieuses tchèques

'Eau blanche' | Photo: Host

Parfois, l’enquête apporte des résultats surprenants. Cette fois-ci, cependant, la surprise n’a pas eu lieu car la première place a été occupée par le livre ayant déjà remporté le prix national de littérature. Il s’agit du roman de Kateřina Tučková Bílá voda – Eau blanche, une fresque littéraire qui retrace l’histoire moderne des congrégations religieuses tchèques. L’auteure qui est déjà lauréate de plusieurs prix littéraires, a dit à propos de son roman :

« La première impulsion pour écrire ce roman est le fait que j’ai trouvé dans des documents sur des prisonnières politiques aussi ceux sur des religieuses. Je savais déjà quel avait été le sort des religieux poursuivis ou internés par le régime communiste, mais je n’arrivais pas à admettre que le sort des religieuses et leur résistance à l’arbitraire soit passé presque sous silence. Cela me semblait injuste parce que le sort de ces femmes avait été aussi très dramatique. Je suis arrivée dans une certaine mesure à m’identifier avec ces religieuses et les agressions contre leur nature féminine me semblaient d’autant plus exécrables. »

Kateřina Tučková | Photo: Aleš Winkler,  ČRo Brno

Evidemment, ce grand roman de 688 pages sorti aux éditions Host et considéré comme une œuvre majeure de la littérature tchèque de ces dernières années, ne peut être résumé en quelques mots. Nous lui consacrerons donc bientôt une émission spéciale.

Une traduction révélatrice

'La Terre vague' | Photo: Argo

Passons donc à d’autres ouvrages qui se sont imposés dans l’enquête de Lidové noviny. La deuxième place est occupée par un livre qui n’est pas une nouveauté, mais qui a été nouvellement traduit de l’anglais. Il s’agit du célèbre poème The Waste Land - La Terre vague de Thomas Stearns Eliot, poète anglais d’origine américaine et prix Nobel de littérature ayant vécu entre 1888 et 1965. Ce poème universellement connu comme une des œuvres fondamentales de la poésie du XXe siècle a déjà été traduit en tchèque plusieurs fois dans le passé mais sa nouvelle traduction que nous devons à Petr Onufer et à la maison d’édition Argo, est considérée comme révélatrice. Selon la critique, le traducteur a réussi à transposer dans une autre langue la structure infiniment complexe de cette œuvre et a permis au lecteur tchèque de jouir pleinement des valeurs de cette poésie. Traducteur et éditeur, Petr Onufer aimerait continuer à publier d’autres œuvres de T. S. Eliot mais il a bien conscience des difficultés d’une telle entreprise :

« Publier les œuvres d’Eliot serait pour moi la réalisation d’un rêve de traducteur et d’éditeur, de mon rêve personnel. Ce serait extraordinaire. Cependant, nous pouvons encore publier sa poésie, ses écrits poétiques qui ne sont pas très volumineux, mais ses écrits critiques et sa correspondance s’étendraient sur quelque 15 000 pages. Ce serait donc un voyage au trop long cours. Je pense donc que ce rêve ne sera pas réalisé. Mais ce serait quand même très beau. »

Petr Onufer | Photo: Tomáš Vodňanský,  ČRo

Qui sait, peut-être le succès de la traduction de La Terre vague apportera en Tchéquie un regain d’intérêt pour T. S. Eliot et contribuera à la décision de traduire en tchèque et de publier aussi d’autres œuvres de cet auteur.

Pleins feux sur une tragédie quasi oubliée

Photo: Ed. Bílá vrána

C’est le roman Životice de Karin Lednická qui s’est classé troisième et a décroché donc symboliquement la médaille de bronze dans l’enquête Le Livre de l’année 2022. Životice est le nom d’un village de Silésie qui se trouve actuellement sur le territoire tchèque, mais qui a fait partie du Troisième Reich pendant la Deuxième Guerre mondiale. En 1944, des partisans de la région ont tué trois membres de la Gestapo. Les représailles déclenchées par les autorités allemandes ont été terribles et se sont poursuivies pratiquement jusqu’à la fin de la guerre. Par la suite, l’affaire en partie oubliée a été faussement interprétée par les idéologues communistes. C’est lors de recherches de documents pour un autre roman sur cette région que Karin Lednická a découvert cette page sombre de l’histoire locale et a ressenti le besoin de la tirer de l’oubli. Elle s’explique :

« Généralement on ne connaît pas grand-chose sur l’affaire de Životice puisque notre région est assez éloignée du centre et échappe à l’attention générale. Toujours est-il que dès le début de cette tragédie, on a fusillé au cours d’une seule matinée 36 personnes innocentes qui n’avaient rien à voir dans cette affaire. Et d’autres personnes ont été victimes des représailles déclenchées par la suite. Nous pouvons donc dire que le nombre total des victimes de cet événement tragique a atteint presqu’une centaine. (...) Ce sont toujours les gens concrets qui subissent de telles tragédies et c’est aussi le point de vue que j’ai adopté. Je ne raconte pas l’événement, mais j’évoque les gens qui ont été touchés. »

Karin Lednická | Photo: Ed. Bílá vrána

Ce sont donc deux femmes, Kateřina Tučková et Karin Lednická, qui dominent les résultats de l’enquête Le Livre de l’année avec des romans sur des sujets historiques. Leur succès démontre que ce genre de roman qui marie réalité et fiction et s’appuie solidement sur des documents historiques réels, est de plus en plus populaire parmi les lecteurs.

Le lecteur tchèque face à la littérature française

Ajoutons encore que parmi les écrivains et les titres cités par les participants à l’enquête il y avait aussi plusieurs auteurs français. Les lecteurs ont particulièrement apprécié le roman Anéantir de Michel Houellebecq traduit en tchèque par Alan Beguivin ainsi que les mémoires d’Annie Ernaux. Le livre que cette auteure nobélisée a intitulé simplement Les Années a été traduit en tchèque par Tomáš Havel. Et les lecteurs tchèques n’ont pas oublié non plus la traductrice et éditrice française Erica Abrams qui depuis des années poursuit infatigablement la traduction et l’édition des œuvres complètes du philosophe Ladislav Klíma (1878-1928), écrivain qui choque encore aujourd’hui par son originalité. Erica Abrams a préparé à l’édition déjà le cinquième tome des œuvres complètes de Ladislav Klíma sorti l’année dernière aux éditions Torst sous le titre «Bel»letrie.

Photo: Odeon/Host/Torst
Auteur: Václav Richter
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