Trois livres distingués dans l’enquête du journal Lidové noviny
Depuis presqu’un siècle, le journal Lidové noviny lance toujours vers la fin d’année une enquête dans le cadre de laquelle il invite ses lecteurs à choisir leur Livre de l’année. Cette fois-ci, la victoire a été remportée par le livre Toyen, première dame du surréalisme, livre dans lequel son auteure Andrea Sedláčková retrace la vie et l’œuvre d’une femme qui est sans doute une des figures remarquables de la peinture surréaliste et qui mérite d’être mieux connue. Nous vous avons déjà présenté ce livre dans cette rubrique par un entretien avec son auteure Andrea Sedláčková. Cette fois-ci nous allons donc vous présenter les ouvrages qui se sont classés dans la dernière édition de l’enquête de Lidové noviny en deuxième et troisième positions.
Un peu d’histoire
L’histoire de l’enquête du journal Lidové noviny commence en 1928 mais au cours du XXe siècle, elle a été deux fois interrompue, d’abord par l’occupation nazie puis par le régime communiste. Aujourd’hui, nous sommes donc à sa 51ème édition. Le premier gagnant de l’enquête a été en 1928 le premier roman d’André Maurois Les Silences du colonel Bramble et depuis ce temps-là, l’enquête reflète les goûts d’une partie du public littéraire tchèque. Ses organisateurs situent leur enquête un peu à l’opposé des prix littéraires officiels et ont l’ambition de distinguer les ouvrages de qualité qui risqueraient d’échapper à l’attention des lecteurs et des critiques. L’éditeur du journal Lidové noviny David Lancz remarque que cette année il y a un peu plus de lecteurs insatisfaits de la production littéraire actuelle :
« Cette année le nombre de participants à notre enquête a été un peu moins élevé que les années précédentes. Ils ont été 139. Un certain nombre, plusieurs dizaines, se sont excusés de ne pas pouvoir participer parce qu’ils n’avaient pas trouvé dans la production de cette année un livre qu’ils pourraient appeler Livre de l’année. Nos participants se recrutent dans la majorité des cas parmi les intellectuels. Y prennent part académiciens, historiens, bohémisants, économistes, hommes politiques, professeurs et bien sûr aussi représentants du milieu littéraire - écrivains, poètes et éditeurs. »
Le Chef de tribu
Nous vous avons présenté déjà dans la rubrique précédente le Livre de l’année - la biographie de Toyen par Andrea Sedláčková. Passons donc à l’ouvrage qui s’est classé en deuxième position. Dans le livre conçu comme un entretien et intitulé Náčelník - Le Chef de tribu, l’auteur Aleš Palán brosse un portrait haut en couleur de Miloslav Nevrlý, zoologue, écrivain, voyageur et scout. Agé de quatre-vingt-dix ans, Miloslav Nevrlý reste un personnage emblématique, une espèce de gourou pour tous ceux qui aiment vivre tout près de la nature et notamment des campeurs qui n’ont pas besoin d’accessoires techniques modernes pour leurs randonnées dans les montagnes. C’est pour eux et pour tous les amateurs de la nature vierge que Miloslav Nevrlý a écrit son Livre sur les monts Jizerské (Kniha o Jizerských horách) dans lequel il a mis en valeur sa connaissance intime de cette charmante région de Bohême du Nord.
Auteur de nombreux ouvrages sur les montagnes et les réserves naturelles tchèques mais aussi sur les Carpates méridionales en Roumanie, il a su donner aux randonnées dans la nature un esprit ludique. Il a appris à ses lecteurs à voir la nature avec des yeux nouveaux et à jouir de ses beautés d’une façon plus intime et plus profonde. Dans ses livres, Miloslav Nevrlý ne parle presque jamais de lui-même mais Aleš Palán cherchait à le faire sortir de sa réserve :
« Dans les livres de Miloslav Nevrlý, le lecteur trouve des descriptions très pertinentes du paysage, ces livres sont chaleureux et pleins de sentiment mais l’auteur évite tout pathos ce que j’apprécie beaucoup. Cependant ce qui manque dans ces livres, ce sont les aspects de sa vie personnelle. Je lui ai donc posé des questions sur sa foi, sur sa famille et sur son travail au musée de la ville de Liberec et j’ai découvert que Miloslav était un narrateur spirituel, amusant et plein d’auto-dérision. Je pense donc que, comparé aux autres livres de Miloslav Nevrlý, notre livre commun est assez divertissant. Dans ses ouvrages il parlait des montagnes, mais très peu de lui-même, mais je ne m’intéressais pas en premier lieu à ses voyages mais à l’homme. »
Le livre Náčelník - Le chef de tribu qui a valu à Aleš Palán la deuxième place dans l’enquête de Lidové noviny, est sorti aux éditions Kazda.
Deux essais de Milan Kundera
La troisième place de l’enquête est partagée par deux livres et deux auteurs. Il s’agit de Milan Kundera et de Jaroslav Rudiš. La maison d’édition Atlantis a publié avec un important retard deux essais écrits par Milan Kundera en 1967 et 1983. Le premier est un discours que le romancier a prononcé au Congrès des écrivains tchèques en 1967 et dans lequel il présentait les dangers menaçant la culture comme un problème européen. Le deuxième essai paru 1983 en français sous le titre Un occident kidnappé est un plaidoyer pour la défense des petits pays d’Europe centrale et une accusation de l’Europe qui ne veut pas voir ou ne s’est même pas aperçue du sort tragique de ces petits pays. Et Kundera considère le sort de ces pays comme un des signes précurseurs du dépérissement de toute l’Europe.
La passion des trains
Passionné des trains et des chemins de fer, l’écrivain Jaroslav Rudiš trouve dans sa passion aussi une source d’inspiration intarissable. Dans son livre intitulé Návod k použití železnice (Les chemins de fer, mode d’emploi) il invite le lecteur à un grand voyage ferroviaire à travers une grande partie d’Europe, un voyage initiatique qu’il agrémente de nombreuses anecdotes de sa vie et d’innombrables épisodes de l’histoire des chemins de fer. La version allemande de ce livre paru déjà en 2021 est devenue un bestseller en Allemagne et elle y est déjà sortie en dix éditions. Jaroslav Rudiš lui-même attribue une valeur spéciale à cet ouvrage paru aux éditions Labyrint :
« C’est probablement mon livre le plus personnel. C’est par l’écriture que je cherche à surmonter un traumatisme. Je voulais devenir employé des chemins de fer mais je n’ai pas été accepté à cause de ma dioptrie. Quand j’avais 13, 14 ans, il était évident que je ne serais pas reçu au lycée technique formant aux métiers des chemins de fer et j’ai été obligé de m’inscrire dans un lycée ordinaire. Mais la passion des trains ne m’a jamais quitté. Depuis mon premier roman, Le Ciel au-dessous de Berlin, qui est situé dans le métro sous la capitale allemande, c’est cette passion pour les transports ferroviaires qui me pousse à écrire. »
Une tendance de plus en plus évidente
C’étaient donc les trois livres et les trois auteurs qui se sont classés deuxième et troisième dans l’enquête du journal Lidové noviny Le Livre de l’année. Nous aurons sans doute l’occasion d’y revenir plus en détails dans nos prochaines rubriques. L’enquête a démontré les préférences littéraires des intellectuels tchèques et comme le constate l’éditeur du journal David Lancz, elle a confirmé aussi une tendance dans la littérature tchèque qui devient de plus en plus évidente :
« Ces dernières années ce sont les femmes qui dominent la production littéraire tchèque. Quand nous nous retournons sur l’histoire de l’enquête Livre de l’année qui a commencé en 1928, il y a donc presqu’un siècle, nous voyons que parmi les vainqueurs il n’y a pas eu beaucoup de femmes auteures. Mais si nous nous limitons aux résultats des quatre dernières années, nous voyons que les femmes ont remporté la victoire trois fois. C’est donc une tendance très différente par rapport au passé et il est évident que les femmes écrivains intéressent de plus en plus de lecteurs. »