Le passé nazi de Ferdinand Porsche suscite la controverse dans sa commune natale de Vratislavice

Ferdinand Porsche, photo: Bundesarchiv, Bild 183-2005-1017-525 / CC-BY-SA

Plus de 60 ans après sa mort, la personnalité du constructeur automobile Ferdinand Porsche divise les habitants de sa commune natale, Vratislavice nad Nisou, aujourd'hui une partie de la ville de Liberec, dans le nord de la Bohême. Si les uns sont fiers de l’enfant du pays et lui ont consacré un musée, les autres ont honte du passé nazi de cet homme affilié au NSDAP, employant dans ses usines des travailleurs déportés et honoré par les plus hautes distinctions du Troisième Reich. La controverse a culminé avant la fin de l'année écoulée par la suppression des panneaux à l'entrée de Vratislavice souhaitant la bienvenue dans la commune natale de Ferdinand Porsche.

La municipalité de Vratislavice,  photo: CT24
Le passé nazi de Ferdinand Porsche préoccupe en ce moment des historiens, des conseillers municipaux ainsi que des automobilistes. Une pétition circule sur Internet en soutien au legs de Porsche et en signe de désaccord avec la décision de la municipalité de Vratislavice d’enlever les panneaux avec son nom installés en 2007 sur les voies d'accès à la commune, ainsi qu'avec la fermeture du musée consacré au créateur de la célèbre marque. Aleš Preisler est le maire de Vratislavice :

« Vratislavice est le lieu de naissance de Ferdinand Porsche, c'est un fait historique que personne ne conteste. En ce qui concerne les panneaux liant le nom de Vratislavice à celui de Ferdinand Porsche, mon avis, après consultation des documents disponibles, est qu'ils ne devaient pas rester en place. »

Ferdinand Porsche,  photo: Bundesarchiv,  Bild 183-2005-1017-525 / CC-BY-SA
Ferdinand Porsche est né le 3 septembre 1875 à Vratislavice nad Nisou, connu alors sous le nom de Maffersdorf dans l'Empire austro-hongrois. Avant la guerre, Vratislavice est une commune de 6000 habitants dont 8% sont des Tchèques. Conformément aux accords de Munich, la petite ville de Vratislavice, située dans la région des Sudètes, est annexée en 1938 au Troisième Reich. Aujourd'hui, le nombre d'habitants de Vratislavice est presque identique à celui d'avant-guerre. Une plaque sur le mur d'un immeuble indique qu’il s’agit là de la maison natale de Ferdinand Porsche, futur ingénieur et visionnaire qui a influencé de manière déterminante l'évolution de toute l'industrie automobile allemande. La plaque doit rappeler que les racines de Porsche étaient ici, en Bohême. C’est ce qu’observe le président du « Porsche classic club de République tchèque », Milan Bumba :

« Ferdinand Porsche a quitté Vratislavice à l'âge de 19 ans. Plus tard, il y est revenu plusieurs fois, comme en témoignent des photos sur lesquelles on le voit présenter à ses proches ses constructions automobiles. »

En 1900, Porsche met au point la première voiture électrique. De 1906 à 1930, il fait carrière chez Austro-Daimler et Mercedes Benz, puis crée à Stuttgart, le bureau d'études automobiles, la base de sa réussite. En 1933, Porsche répond à l'appel d'offres d’Hitler qui exige la fabrication d'une « voiture du peuple » et commence à travailler sur la légendaire Volkswagen dont il présentera, en 1938, la version définitive. Parallèlement, il développe des voitures de course qui remporteront de nombreuses victoires à différents Grands Prix et seront entre autres aussi sur la ligne de départ du Rallye Masaryk à Brno. Sur des photos d'époque, Ferdinand Porsche apparaît aux côtés de la célèbre pilote tchèque, Eliška Junková et du designer du constructeur automobile Tatra, Hans Ledwinka.

Lukáš Pohanka
L'idée de raviver le legs de Ferdinand Porsche est née il y a sept ans. Le maire d'alors, Lukáš Pohanka, fait alors installer sur les voies d'accès des panneaux informant que Vratislavice était la commune natale de Ferdinand Porsche. En 2010, un mémorial abritant une exposition en souvenir du constructeur automobile est inauguré à Vratislavice, présentant la marque et son histoire, ainsi que le raconte l'ancien maire :

« L'exposition était axée sur le génie de la construction automobile Porsche, sans toutefois omettre les côtés sombres de son passé. Ainsi, les textes rappelant les grandes dates de sa carrière indiquent qu'en 1933, Porsche rencontre le chancelier du Reich, Adolf Hitler qui l’honorera lui-même, en 1937, par une des plus hautes distinctions nazies. Une autre grande date, 1935, lorsque Porsche abandonne la citoyenneté tchèque pour la citoyenneté allemande. L’exposition évoquait aussi la participation de Porsche à l'effort de guerre allemand entre 1939 et 1945, puisqu’il est à l'origine de la conception du char Tigre, sans oublier l'attribution d'une série de distinctions dont le Prix national allemand, en 1942, et la Croix du mérite. »

Petr Jirásko,  photo: CT24
Selon les adversaires du musée Porsche à Vratislavice, les textes accompagnant l'exposition ne racontent pas tout : les informations sur le passé de Porsche sont incomplètes ou intentionnellement cachées. Ainsi, on ne dit rien sur le fait que deux tiers des ouvriers de Volkswagen étaient des travailleurs déportés. Sous le feu de critiques l'inculpant de promotion des mouvements extrémistes et nazis, la nouvelle municipalité de Vratislavice était d'accord pour que les adversaires du musée complètent eux-mêmes la biographie de Porsche présentée dans le cadre de l'exposition. Petr Jirásko est l'un des auteurs de cette nouvelle version :

Musée dédié à Ferdinand Porsche à Vratislavice,  photo: Musée de Ferdinand Porsche
« Porsche est membre du NSDAP à partir de 1937, et de la SS où il obtient le grade de SS-Oberführer. Il est le conseiller du Führer pour les affaires d'armement. En tant que coordinateur de l'effort industriel du Troisième Reich, il participe activement à l'utilisation comme main d'œuvre des travailleurs déportés et des prisonniers des camps de concentration de Neuengamme, Laagberg, et des Juifs hongrois d'Auschwitz. Pour sa loyauté au régime, il est décoré de hautes distinctions nazies dont le Prix national allemand, l'Ordre de la croix de guerre, et l'Anneau d'honneur à la tête de mort des SS. »

Milan Bumba,  photo: CT24
Après l'affaire des panneaux qui a éclaté à la fin de l'année, le musée dédié à Ferdinand Porsche à Vratislavice restera probablement fermé. Le musée de Stuttgart a mis fin à la coopération réciproque et demandé le retour des voitures de luxe empruntées. L'ouverture d'un nouveau musée, privé, est toutefois prévue pour le 1er mai prochain, à l'initiative de Milan Bumba, président du club Porsche qui cherche depuis plus de 30 ans à promouvoir Vratislavice en tant que lieu de naissance du constructeur automobile.

Ivo Pejčoch,  photo: Institut d'histoire militaire
Alors que Vratislavice reste toujours partagé, pour l'historien Ivo Pejčoch de l'Institut d'histoire militaire, le passé de Ferdinand Porsche n'est pas un cas isolé, et il faut selon lui voir les deux côtés de la médaille : le génie du constructeur automobile d'une part, et le contexte historique de l'autre :

« Pendant la guerre, sous le régime nazi totalitaire, un grand nombre de scientifiques, ingénieurs et constructeurs allemands se sont discrédités de cette manière. On pourrait citer Wernher von Braun, ingénieur allemand qui a joué un rôle déterminant dans le développement des fusées. Après le lancement du programme américain Apollo, dans les années 1960, Braun devient son principal constructeur. Les fusées Saturn qu'il développe permettront aux Américains de réussir leurs missions lunaires. Ses admirateurs sont cependant contraints d'avouer que durant la Deuxième Guerre Mondiale, von Braun intègre le parti nazi et assure la mise au point de la fusée V2 dont des exemplaires lancés principalement sur Londres ont causé la mort de milliers de Britanniques. »

Après la fin de la guerre, Ferdinand Porsche est arrêté comme criminel de guerre et retenu pendant 20 mois en prison à Dijon. Après ce délai, il est relâché, sans procès. Il meurt le 30 janvier 1951 à Stuttgart et est inhumé à Zell am See, en Autriche.