Le Prix Susanna Roth récompense les jeunes espoirs de la traduction du tchèque

Jana Švagr, photo : Piaoyu Xie

Le Centre tchèque et le Centre de la littérature tchèque organisent depuis cinq ans le concours international de traduction Prix Susanna Roth, à destination des jeunes futurs talents de la traduction. Cette année, 131 traducteurs du tchèque issus de 15 pays ont participé au concours, et 15 d’entre eux ont remporté ce prix, assorti d’un séjour et de séminaires organisés en République tchèque. Parmi ces lauréats, Jana Švagr, de France, que Radio Prague a rencontrée.

Jana Švagr,  photo : Piaoyu Xie
« Je m’appelle Jana Švagr, je suis née à Prague où j’ai vécu jusqu’à mes quinze ans. Ensuite, j’ai déménagé à Paris avec une partie de ma famille. J’yai fait mes études secondaires. Puis, ne sachant pas trop quoi faire, n’ayant pas encore assez de résolution pour me lancer dans mes ambitions artistiques, je me suis laissée porter par la vague du socialement acceptable. J’ai donc traversé la rue depuis le lycée Montaigne pour aller à l’Université de droit Paris II-Assas. Comme je suis quelqu’un d’assez persévérant, j’y suis quand même restée quatre ans et j’y ai fini un master de droit public européen comparé. »

Parliez-vous déjà français à votre arrivée, ou avez-vous tout appris sur le tas ?

« Les racines françaises de la famille sont du côté de ma mère. Sa propre mère était française. Etant donné que ma grand-mère a vécu avec ma mère ici, sous le communisme, elle ne lui a jamais parlé en français. C’était quelque chose d’exclu et de tabou. Ma mère a dû apprendre le français par elle-même, et ma sœur et moi pareillement. Quand on apprend une langue étrangère, très petit, dans son pays d’origine, ce n’est pas gagné. En arrivant à Paris à l’époque, je ne parlais pas comme aujourd’hui. Il a fallu faire ses preuves. Mais j’avais quinze ans et à cet âge-là on intègre bien les choses. »

Le Prix Susanna Roth
C’est encore possible en effet… On se rencontre aujourd’hui parce que vous êtes une des lauréates d’un concours de traduction appelé Prix Susanna Roth, du nom d’une traductrice du tchèque originaire de Suisse. Qu’est-ce que ce concours ?

« Ce concours est destiné à de jeunes apprentis traducteurs. Il y a deux conditions : avoir moins de quarante ans et ne pas avoir de livre traduit déjà publié. C’est une sorte d’encouragement et d’occasion pour s’essayer à ce métier qu’on n’exerce pas encore professionnellement. »

Vous disiez tout à l’heure avoir fait des études de droit, pas de traduction. Qu’est-ce qui vous a incitée à vous lancer dans le concours ?

Photo : ČRo
« Après mes études de droit, j’ai fait des études de cinéma. J’étais dans le département de réalisation, à la FAMU à Prague, où il fallait écrire ses propres scénarios. C’était donc déjà une forme d’écriture. C’est vrai que depuis toujours j’aime beaucoup lire, et ma grand-mère française était traductrice elle-même. En lisant des livres tchèques ou français, je trouve toujours dommage de découvrir qu’ils n’ont pas été traduits respectivement dans les deux langues. En pensant à tout cela, et étant justement à la recherche d’un petit métier, la traduction s’est proposée comme une possibilité. »

Quelle était l’épreuve de ce concours ?

Anna Cima,  photo : YouTube
« Cela consistait à traduire un extrait du livre d’une jeune auteure, Anna Cima, Probudím se na Šibuji que j’ai traduit ‘Le réveil à Shibuya (l’auteure de 28 ans a récemment remporté le prix littéraire Magnesia Litera dans la catégorie Découverte de l’année, le prix Jiří Orten et le prix du Livre tchèque, ndlr). Il fallait traduire une dizaine de pages. Nous avions environ trois mois pour travailler sur la traduction, depuis chez nous. »

Notons que c’est la première fois que la France, dont vous êtes ici la représentante, participe à ce concours organisé à destination de différents traducteurs de différents pays. Quelles difficultés avez-vous rencontrées avec ce texte ? Et comment avez-vous résolu ces problèmes ?

« La première chose qu’il fallait définir et qui était compliquée parce que je n’avais pas lu le livre en entier, était de parvenir à cerner le personnage principal, le narrateur, pour bien adopter la voix juste, pour n’être ni trop familière, ni trop rigide non plus. C’était un peu difficile. Plus tard, j’ai eu le retour d’un des jurés du concours : on m’a dit que je n’avais pas adopté une voix assez familière, mais que le texte l’avait emporté car il était le plus fluide et qu’on avait l’impression que le livre avait été écrit en français. Il n’y avait pas de rigidité ou de soubresauts entre les styles. Il y a en effet différents styles employés dans le livre, il y a plusieurs voix. Il fallait donc jongler avec différentes couches de langage. Ce n’était pas évident. Puis il y a des choses qui sont liées à la langue et la culture elles-mêmes. On ne peut pas les traduire mot à mot, parfois les expressions n’existent même pas dans l’autre langue, donc il faut se débrouiller pour trouver le bon équivalent et faire comprendre le sens initial tout en respectant l’esprit de l’auteur. »

Photo : congerdesign,  Pixabay / CC0
Quelle était la récompense de ce concours pour les traducteurs lauréats ?

« La récompense était déjà de recevoir une forme de reconnaissance en tant que traducteur, d’avoir une confirmation qu’on peut essayer de se lancer professionnellement dans le métier. Puis, surtout, il y avait la rencontre avec les autres traducteurs des autres pays qui ont cette passion de la langue tchèque, une langue somme toute assez rare. »

Autre récompense également : un séjour en République tchèque à destination des lauréats…

« Oui, ce séjour était divisé en deux parties. Il y avait une partie destinée aux participants lauréats du Prix Susanna Roth. Il s’agissait d’un séminaire sur la traduction où on a fait connaissance, où nous avons pu échanger autour du texte, à propos de nos difficultés, bénéficier d’un retour de traducteurs professionnels, recevoir des conseils d’éditeurs etc. Pour la deuxième partie de ce séjour, nous sommes partis à Ústí nad Labem, dans un séminaire d’études de langue et de culture tchèques, avec des traducteurs professionnels qui se retrouvent régulièrement pour partager sur le sujet. »