« Le tchèque 2.0 », le dictionnaire participatif des néologismes
La langue tchèque a une propension assez phénoménale à absorber et « tchéquiser » des mots étrangers. « Le tchèque 2.0. », un dictionnaire en ligne participatif lancé il y a dix ans en est la preuve, répertoriant des milliers de néologismes nés à l’ère d’internet et de la mondialisation. D’autres sont encore tout simplement issus de la culture populaire ou de l’actualité politique, signe de l’inventivité sans bornes de la langue de Karek Čapek.
« La langue est démocratique. C’est donc la majorité des Tchèques qui décide du maintien d’un mot dans la langue ou de sa disparition. Par exemple, c’est vrai qu’il y a dans ce dictionnaire beaucoup de mots qu’on peut qualifier d‘occasionnels’. Ce sont des mots qui peuvent disparaître de la langue en même temps que la personne publique dont ils sont inspirés. Mais en même temps, ces mots fonctionnent comme une sorte de chronique de l’époque dans laquelle on vit. »
Le mot « klaus », qui désigne une unité déterminant le degré de vanité d’une personne, est ainsi inspiré de l’ancien président Václav Klaus, mais s’avère manifestement obsolète aujourd’hui avec un autre chef à la tête du pays.
« Ne fais pas ta Zagorka », qui fait référence à la chanteuse pop Hana Zagorová, est une autre expression emblématique de ce dictionnaire en ligne, pour signifier à quelqu’un qu’il fait des chichis et se fait prier pour un rien. Autre néologisme récent qui donne la mesure de la créativité de la langue tchèque : « kazilol », qui pourrait se traduire par « gâcheur de LOL », soit une personne qui sabote volontairement une blague.
L’actualité, locale mais aussi internationale, a évidemment un impact sur les nouveaux mots. Si l’on dit des Tchèques qu’ils sont souvent peu concernés par la politique, ils semblent toutefois particulièrement inventifs lorsqu’il s’agit de faire de l’humour sur le dos des autorités. Ainsi, « zčápit », verbe tiré du mot « cigogne », fait référence au fameux centre récréatif Nid de cigognes du Premier ministre Andrej Babiš et évoque l’idée de recevoir des subventions publiques pour un projet privé.L’interminable feuilleton du Brexit a quant à lui déjà donné deux verbes en tchèque : « zbrexit », soit littéralement « brexiter », « gâcher », « rater » quelque chose, ou « brexitovat », c’est-à-dire passer son temps à dire au revoir dans une soirée sans jamais vraiment partir.
A partir d’une sélection réalisée dans les milliers de néologismes ajoutés par les participants anonymes au projet, Martin Kavka a, l’an dernier, tiré un dictionnaire papier, « Le tchèque hacké », qui, comme sa version numérique, contient également de nombreuses grossièretés. Une réalité qui suscite parfois la réprobation de certains puristes, comme le relève Martin Kavka :
« Etonnamment, ce sont souvent les utilisateurs courants de la langue qui nous font des reproches, pas les linguistes eux-mêmes. Ceux-là, au contraire, apprécient le fait que le tchèque ait une telle plasticité. Les utilisateurs courants de la langue sont paradoxalement plus conservateurs et considèrent le tchèque un peu comme une vache sacrée, comme une institution intouchable. Mais avec notre site Le tchèque 2.0, nous cherchons un peu à les tester, à les provoquer. »Ce dictionnaire des néologismes tchèques, sortes de photographies instantanées de l’époque, est donc évidemment plus à prendre comme un passe-temps bon enfant qui témoigne de la vitalité du tchèque que comme une référence institutionnelle. L’humour, voire le cynisme, sous-jacent de nombre de ces mots et expressions rappelle à qui l’aurait oublié qu’on est bien au pays de Jára Cimrman et du brave soldat Chvéïk…