Le vol au-dessus de la ville de Liberec
Déjà le roman « Le ciel au-dessous de Berlin », publié en 2002, a révélé au public le talent original de Jaroslav Rudis. Cette série d'histoires du métro berlinois écrites par un écrivain débutant qui venait de sortir de l'anonymat a reçu le prix Jiri Orten et a été traduit dans plusieurs langues. Les feux de la publicité se sont braqués sur le jeune écrivain, né en 1972, qui a récidivé avec une trilogie de bandes dessinées sur la vie dérisoire de l'employé des chemins de fer Alois Nebel. La trilogie allait être bientôt saluée comme une des bandes dessinées les plus originales jamais crées par un auteur tchèque. Et il semble que Jaroslav Rudis soit condamné au succès car son roman suivant « Grand Hôtel » a été porté à l'écran encore avant qu'il ne soit publié aux éditions Labyrint. Jaroslav Rudis explique cette curieuse anomalie :
« Depuis le début, on s'y heurte à un problème, on n'arrive pas à couper ses racines. On n'arrive pas à prendre ses distances de l'endroit où l'on est né, des gens de son entourage, et tout cela est personnifié dans l'histoire par le personnage de Fleischman. C'est un garçon qui n'est jamais parti nulle part, qui n'a jamais fait l'amour avec une fille et la seule chose qu'il comprend sont les nuages. Il trace sur le mur un graphique météorologique, et c'est pour lui une espèce de substitution. A cause de cela, j'ai à été obligé d'étudier un peu la météorologie et cela m'amusait. »
Le héros du roman, un jeune homme nommé Fleischman, est un garçon très mal dans sa peau. Il travaille comme bonne à tout faire dans un Grand Hôtel situé très haut au-dessus d'une ville. Le paysage du roman est donc le paysage de la jeunesse de l'auteur, et la ville s'appelle Liberec, en allemand Reichenberg. Ce chef-lieu de la région des Sudètes dont la population a été transférée en grande partie en Allemagne, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, ne s'est pas encore remis de son passé douloureux. Fleichman, habitant de Liberec, souffre d'une phobie des départs. La ville, tel un aimant, exerce sur lui une attraction malsaine. Il n'arrive pas à s'arracher à cette emprise et chaque tentative de sortir de la ville se solde par un échec. C'est finalement la rencontre de Fleischman avec Ilja, une jeune serveuse de l'hôtel, qui ébranle son existence et le sort de sa torpeur. La sympathie qu'il éprouve pour cette fille qui n'est pas non plus dépourvue de problèmes psychiques, se transforme peu à peu en amour. Le jeune homme se rend compte qu'il faut agir pour se libérer, qu'il faut partir. Il sait que la seule possibilité de s'échapper de cette prison sans barreaux est la voie de l'air, et il se met à construire un ballon ...
Il y a des périodes dans la vie de Jaroslav Rudis qui ressemblent beaucoup à la vie de Fleischman. Comme lui, il a travaillé dans un grand hôtel, comme lui il a vécu dans la ville de Liberec. On en vient à ce demander s'il partage avec le héros de son roman aussi ses penchants, ses angoisses et ses phobies. Outre une série de personnages qui luttent, chacun à sa manière, contre leurs problèmes psychiques, le roman est aussi un hommage discret à la ville de Liberec et une évocation de son histoire mouvementée. Cette dimension du roman est moins présente dans le film.« Le film est toujours seulement un fragment de la vie. Tandis que le roman couvre trente années de la vie de Fleischmann, et nous apprenons aussi beaucoup de choses sur ses parents et ses grands-parents et à travers eux nous pénétrons également dans le passé de la ville. Donc ces racines sont beaucoup plus profondes et j'ai cherché à exploiter sur ce plan également d'autres personnages. Et pourquoi je voulais écrire ce roman ? Parce que ça m'amusait et parce que j'avais l'impression d'avoir vis-à-vis de cette ville ... non pas une dette mais ... Moi-même je me demande où je suis chez moi. J'ai vécu dans de divers endroits, entre autres aussi à Berlin, à Zurich et en Autriche, et je me demande tout le temps où est mon foyer. Cela dit, la période passée à Liberec a été extrêmement forte parce que c'était là où je fréquentais l'université, où j'étais terriblement amoureux, où je suis aussi tombé amoureux de la musique, où j'ai fait mes premiers essais littéraires... Alors cette période était profondément incrustée en moi. »
(Les propos de Jaroslav Rudis ont été recueillis par Vilém Faltynek.)