Jaroslav Rudiš : Une déclaration d'amour aux chemins de fer
« Je suis un homme ferroviaire », dit l'écrivain Jaroslav Rudiš et il le prouve dans une grande partie de son œuvre littéraire. Sa passion des chemins de fer est pleinement révélée dans son livre paru en 2021 en Allemagne sous le titre Gebrauchsanweisung fürs Zugreisen que nous pouvons traduire Mode d'emploi du voyage en train. C'est un grand bestseller paru en Allemagne déjà réédité dix fois et qui a été traduit en tchèque par Michaela Škultéty. Son succès démontre que la passion des chemins de fer est une maladie contagieuse et que Jaroslav Rudiš est loin d'être le seul homme qui en souffre.
Un cheminot manqué
Jaroslav Rudiš est un cheminot manqué. Il a l'amour des trains dans les gènes. Son grand-père et son oncle sont employés des chemins de fer et son enfance se déroule parmi les enthousiastes des transports ferroviaires. Il va de soi que le jeune garçon endossera un jour, lui aussi, l'uniforme bleu des cheminots mais cet espoir est vite déçu. Il s'avère à la grande déception du garçon que son rêve ne peut pas se réaliser à cause de sa myopie. Pourtant, l'amour des trains ne le quittera jamais, deviendra sa grande inspiration littéraire et lui dictera entre autres aussi son bestseller :
« Je suis très content d'avoir écrit ce livre. Avant, j'étais assez sceptique, je me demandais ce que j'allais encore raconter, puisque j'avais déjà dit tout sur les trains dans mes livres précédents. Mais cette fois-ci, c'est mon livre le plus personnel. Je parle de moi-même, de Lomnice - ma ville natale, de mon oncle, de mon grand-père Alois et de tous ces cheminots que je connais. Et je leur donne aussi la parole, je laisse parler ces héros, ces employés des chemins de fer ... »
Une déclaration d'amour aux chemins de fer
Jaroslav Rudiš est un écrivain de langue tchèque et de la langue allemande. Parfaitement germanophone, il poursuit une double carrière en Tchéquie et en Allemagne, il partage sa vie entre Berlin, Prague et Lomnice nad Popelkou. Il se déplace donc souvent et il utilise bien sûr son moyen de transport préféré. Le voyage en train, considéré par certains comme un désagrément, est pour lui un plaisir, une source inépuisable d'impressions, d'impulsions, de récits historiques et d'anecdotes. Toutes ces richesses sont rassemblées dans ce dernier livre qui est l’un des plus grands succès de sa carrière :
« Le succès de ce livre nous a tous pris au dépourvu. Je crois pouvoir le dire maintenant, c'est un succès phénoménal. Personne ne s'y attendait. Et je ne sais pas quelles en sont les raisons. Peut-être est-ce dû au fait que je fais dans ce livre un tableau des chemins de fer qui est positif. J'ai décidé d'écrire une déclaration d'amour aux chemins de fer. Je ne suis pas de ceux qui rouspètent contre les chemins de fer. Je voulais que chaque lecteur de ce livre, que ce soit un Allemand, un Autrichien, un Suisse, un Polonais, un Italien ou un Tchèque, se dise : « Mais c'est super, je veux aussi aller à Trieste en wagon-restaurant avec le chef Peterka ».
Un maître d'hôtel diplômé d'une université
Parmi les innombrables personnages rencontrés par Jaroslav Rudiš lors de ses voyages, personnages qui figurent dans son livre, il y a monsieur Peterka, chef-cuisinier du wagon-restaurant d'un train qui dessert la ligne Prague-Berlin-Hambourg. Jaroslav Rudiš, qui aime voyager dans les wagons-restaurants, brosse dans son livre un portrait haut en couleurs de ce « maître d'hôtel » hors du commun qui propose aux passagers notamment les spécialités de la cuisine tchèque. Diplômé de l'université d'Olomouc où il a étudié l'histoire du théâtre et du cinéma, monsieur Peterka considère son wagon comme un théâtre. Il est le metteur en scène et les voyageurs sont à la fois les spectateurs et les acteurs d'une représentation qui rend leur voyage inoubliable.
Les artères ferroviaires qui tiennent l'Europe ensemble
Pour écrire son livre, Jaroslav Rudiš, déjà un grand connaisseur des chemins de fer, a entrepris de nouveaux voyages et a étendu son champ d'action qui embrasse désormais presque toute l'Europe :
« Quand la maison d'édition allemande Piper m'a proposé d'écrire ce livre, je me suis dit qu'il fallait parcourir les lignes ferroviaires que je ne connaissais pas encore. J'ai toujours voulu visiter en train la Sicile. J'ai déjà parcouru en train la Finlande, je me suis rendu en train en Suède mais l'Italie me manquait, je ne connaissais que le Nord italien, Milan, Trieste. »
Selon Jaroslav Rudiš, quand vous voyagez en train, toute l'Europe et même le monde entier vous semble tout près et facilement accessible. Il affirme que ce sont les lignes ferroviaires qui tiennent l'Europe ensemble. A son avis, les trains apportent du mouvement intérieur au vieux continent et font circuler la vie dans ses artères. « Beaucoup de ces vieilles voies ferrées passent directement par mon cœur », dit-il et va jusqu’à comparer les petites lignes ferroviaires locales à des capillaires, des artérioles et des veinules.
La carte ferroviaire de l'Europe
Le livre de Jaroslav Rudiš a été écrit en partie dans des trains et dans des conditions très particulières :
« Je manquais de temps parce que j'ai travaillé sur ce livre pendant la pandémie et il me fallait profiter des pauses entre différents confinements. Je me suis lancé dans des voyages complètement déments. Je suis parti de Berlin et je suis allé via Marseille jusqu'à Palerme. Et de Palerme je suis allé avec deux ou trois arrêts jusqu'à Rovaniemi en Finlande pour achever ce périple de nouveau à Berlin. Pendant tout ce temps, j'écrivais et je regardais défiler les paysages. Et c'est ainsi qu'a été écrit le chapitre de mon livre intitulé La carte ferroviaire de l'Europe. »
Tout ce qui est en rapport avec les chemins de fer, même les infimes détails, sont dignes de l'attention de cet observateur passionné qu'est Jaroslav Rudiš. Il nous fait voyager à travers un continent mais il nous parle aussi des ponts ferroviaires, des rails, des remblais de voies ferrées, des aiguillages, des combinateurs et des barrières de passages à niveau. Il se délecte de nous décrire les prodigieux tunnels suisses et consacre tout un chapitre aux gares, les petites gares de province mais aussi ces chefs d'œuvre d'architecture, qui font encore aujourd'hui la fierté de grandes villes. Il nous fait visiter ces édifices monumentaux qui ressemblent à des cathédrales, il s'extasie face à leurs beautés mais il avoue aussi : « Chaque gare a ses recoins sombres où l'on n'ose pas s'aventurer, où ça sent la sueur, la bière, l’urine, le sexe et le sang. »
Les retards bénéfiques
Jaroslav Rudiš est donc un voyageur passionné mais aussi un voyageur patient. Lorsque les trains sont en retard et que les passagers commencent à grogner et à maudire la direction des chemins de fer, il garde son calme et reçoit ces retards comme un don, comme un temps supplémentaire qui lui permet de s'arrêter pour se régaler encore davantage de l'objet de sa passion :
« C'est le temps que la déesse des chemins de fer nous donne. Elle le donne à notre disposition. Si mon train est en retard d'une demi-heure ou d'une heure par exemple, cela ne me gène pas du tout. Je me délecte. Je travaille, je lis, je regarde le paysage défiler à l'extérieur. Quand je roule en voiture, c'est beaucoup plus stressant. Dans la voiture, je ne peux pas me réfugier dans un wagon-restaurant ou dans un compartiment, je ne peux pas fermer les yeux, je ne peux ni lire ni écouter de la musique ... »
Le lecteur des horaires de trains
Et même quand Jaroslav Rudiš n'est pas en voyage, il ne quitte pas tout à fait les voies ferrées. Il est lecteur et collectionneur des horaires de trains. Sa collection déjà considérable lui a permis, par exemple, de rester lié en esprit avec l'objet de sa passion même lorsque le trafic sur les rails s'est arrêté à cause de la pandémie de covid. Il voyageait en esprit dans des trains virtuels et trouvait les correspondances dans ses horaires.
Le voyage en train donne donc une dimension supplémentaire et complémentaire à sa vie. C'est une source d'aventures, d'inspirations et d'un large éventail de sensations qu'il a tenté de saisir dans son livre. Et il ne faut pas oublier que dans cet éventail ne manquent pas des sensations culinaires, puisque Jaroslav Rudiš aime voyager dans les wagons-restaurants et il semble que chaque voyage lui laisse aussi un souvenir des saveurs qui ont flatté son palais. Le train est pour ce cheminot manqué un endroit où il se sent chez lui et où il travaille mais où il peut également se reposer et qu'il considère donc entre autres aussi comme un moyen thérapeutique :
« C'est ce que m'a dit un de mes lecteurs qui est psychiatre à Zurich. Je lui parlais des effets thérapeutiques des chemins de fer et il m'a dit qu'il recommandait à ces patients de laisser tomber leurs devoirs, de prendre le train et de faire deux ou trois tours de la Suisse sans téléphone en regardant les paysages et peut-être avec un carnet pour prendre des notes. Je dois dire que dans mon cas c'est vraiment efficace. Parfois je fais en train le tour de Berlin et de ses environs, je prends un carnet ou un ordinateur, je me laisse inspirer et tout à coup je me mets à écrire. »