Le voyage mémorable de Lev de Rozmital
La semaine dernière je vous ai présenté un récit de voyage sur la mission envoyée par le roi Georges de Podebrady auprès du roi de France. Cette mission avait un objectif politique. Aujourd'hui je vous parlerai d'un autre voyage entrepris pratiquement à la même époque mais dont l'objectif était différent. Les participants à ce pèlerinage étaient avides surtout de connaître de nouveaux pays, de faire connaissances de leurs princes et de voir les coutumes et moeurs des peuples étrangers.
Laissons parler maintenant le chevalier Vaclav Sasek de Birkov qui nous a laissé un témoignage assez détaillé sur l'arrivée de Lev de Rozmital et de sa suite à Meung. "C'est là que nous rencontrâmes le roi de France avec son épouse; il reçut Messire Lev avec honneur et l'invita à un festin ainsi que sa suite. La France est le plus grand des pays et le plus riche en toute chose de tous les pays chrétiens... Le roi invita Messire Lev pour le troisième jour chez lui, le traita très aimablement et le présenta à la reine et à ses demoiselles. La reine reçut Messire Lev et chacune des dames l'embrassa sur la bouche. Car ainsi le roi l'avait ordonné et voulu. Ensuite, la reine serra la main à chacun de ses chevaliers et toutes ces dames étaient très aimables pour lui et pour ses chevaliers. Ensuite le roi fit préparer un admirable festin pendant lequel notre seigneur et ses chevaliers furent servis par de puissants comtes et seigneurs. Et le roi pria Messire Lev de venir en ami avec lui : et il le pria de rester chez lui six mois ou toute une année et se déclara prêt à tout faire pour lui. On a dit que le roi n'avait jamais, a aucun prince, fait un tel honneur qu'à notre Messire Lev de Rozmital."
Le pèlerinage de Lev de Rozmital et de ses chevaliers a duré deux ans. Après avoir passé de beaux moments à la cour de France, les voyageurs tchèques, ravis par cet accueil chaleureux, ont repris leur chemin et se sont dirigés vers le Sud. Ils sont passés par plusieurs villes françaises, dont Poitiers, Blaye et Saint-Jean-de- Luz et ont franchi la frontière espagnole. Ils ont parcouru l'Espagne de long en large, sont descendus jusqu'au Portugal. Ils ont admiré la beauté des villes espagnoles et la splendeur de leurs cathédrales. Ils ont traversé la Castille, l'Aragon, la Catalogne et ont été reçus à la cour. Finalement, ils ont décidé de rentrer en Bohême. Le voyage de retour était long, compliqué mais intéressant. Revenus en France, ils sont arrivés dans le Roussillon, sont passés par Narbonne, Nîmes, Avignon et finalement par le Dauphiné. En Italie ils se sont rendus dans le Piémont, ont admiré les beautés de Milan, de Vérone et de Venise et ont regagné la Bohême par la Carinthie et la Styrie. Leur pèlerinage leur a permis de connaître les cours les plus importantes d'Europe, de nouer des contacts avec des princes et des personnalités politiques de plusieurs pays. Enrichis de nombreuses expériences précieuses ils sont arrivé finalement dans la capitale du Royaume tchèque. Dans une étude sur les relations intellectuelles entre la France et la Bohême, Hanus Jelinek résume ainsi leur mission et évoque leur retour au pays:
"Par leur conduite chevaleresque, par leur force et leur adresse dans les tournois autant que par leur noble désintéressement les seigneurs tchèques avaient beaucoup contribué à dissiper les préjugés répandus en Occident sur la nation des Hussites. Il revinrent chargés d'honneurs et d'insignes d'ordres étrangers: à Prague il furent reçus par une procession portant le Saint-Sacrement, l'archevêque hussite Rokycana en tête du clergé et des étudiants, une foule de nobles et de chevaliers suivant avec une centaine de clairons: ils durent monter au château où le roi et la reine reçurent à bras ouverts leur frère et ses compagnons."
(Le fragment du récit de voyage de Vaclav Sasek de Birkov cité dans ce programme a été traduit en français par Hanus Jelinek.)