Législatives : « Vers la fin d'un cycle pour la gauche en République tchèque »
Les élections législatives se déroulent vendredi et samedi en Tchéquie. Au-delà des récents soubresauts de la campagne, la tendance à plus long terme observée dans les sondages est une chute des partis considérés comme à gauche de l’échiquier politique. Pavel Rehor est collaborateur auprès de la direction de la Fondation Jean Jaurès. Il a récemment publié une note consacrée à ce sujet sur le site de cette fondation fondée à Paris en 1992.
Selon vous, est-ce que ces élections sont une sorte de chronique de la mort annoncée de la gauche en République tchèque ?
Pavel Rehor : « Nous arrivons à la fin d’un cycle puisque vraisemblablement, selon tous les sondages, nous nous dirigeons vers une représentation très minime de l’ensemble des forces de gauche à la Chambre des députés. Au vu des sondages actuels, seul le Parti communiste (KSČM) pourrait être assuré d’une représentation mais à hauteur d’une dizaine de députés maximum. Cela a été souligné plusieurs fois. Il y a un danger effectif à ce que le ČSSD ne recueille même pas 5% des suffrages et échappe à toute représentation politique nationale pendant 5 ans. Le Parti vert (SZ), complètement effacé de la scène politique depuis une dizaine d’années, n’a également aucune chance de revenir siéger. »
« Donc dans tous les cas, avec ces représentations très minimales, les forces de gauches ne seront plus des partenaires logiques de coalition puisque quel que soit le vainqueur de ces élections, nous nous dirigeons assurément de nouveau vers un gouvernement de coalition et les forces de gauche n’auront plus les capacités de peser durablement dans l’opposition et de mener une opposition constructive et solide. »
Vous évoquiez le ČSSD (Parti social-démocrate), qui a en quelque sorte reçu un baiser de la mort d’Andrej Babiš, Premier ministre actuel avec lequel il a formé une coalition …
« Oui puisque le ČSSD, comme je le développe dans ma note pour la Fondation Jean Jaurès, a toujours connu des fragilités structurelles, n’a jamais connu de victoires écrasantes à aucune des élections législatives et a toujours dû gouverner avec des partenaires de coalition. Sa fragilité s’est accentuée récemment depuis 2013, même si c’était le ČSSD qui a mené le gouvernement entre 2013 et 2017. »
« Le fait d’avoir mené ce gouvernement de coalition avec ANO n’a pas suffi à lui donner la capacité de s’approprier les grandes réussites de ce gouvernement puisqu’il faut tout de même souligner qu’en 2017, le taux de chômage en République tchèque est de 2,8% soit le taux le plus faible de l’Union Européenne. Mais, le ministère des Finances étant tenu à l’époque par Andrej Babiš, le ČSSD n’a pas été en capacité de se réapproprier les réussites de l’époque. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’entre 2013 et 2017, ANO gagne 11 points par rapport à son score de 2013 et le ČSSD en perd un peu plus de 11. Nous pouvons donc logiquement penser que la majorité de gain de voix de ANO s’est faite sur les suffrages traditionnels du ČSSD. »
« Alors qu’il aurait pu profiter de cinq ans d’opposition pour se reconstruire, le ČSSD, pensant pouvoir perturber sur le long terme ANO qui est un parti centré sur une personnalité sans fond idéologique consistant, pensait pourvoir peser et montrer que c’était toujours un parti porteur et producteur d’idées sauf que notamment la pandémie de Covid-19, qui a bloqué toute possibilité de réformes profondes et sérieuses du pays, a encore davantage empêché le ČSSD de marquer sa différence. »
Est-ce que vous pensez que la chute du ČSSD peut être mise en parallèle avec celle du Parti Socialiste français, avec l’apparition en France également d’un nouvel acteur sur la scène politique, Emmanuel Macron et ici Andrej Babiš, venus tous deux avec un parti monté de toutes pièces autour d’un seul homme. Est-ce qu’on peut comparer ces deux situations ?
« S’il y a bien une crise européenne de l’ensemble des partis de gauche, je verrais les choses différemment. S’il est incontestable que le ČSSD a beaucoup chuté dans les dernières élections, je pense que cette chute n’était pas si étonnante que cela. Ce parti a toujours connu d’importantes fragilités structurelles, il n’a jamais représenté l’idéologie dominante de la République tchèque, il a toujours dû gouverner avec des partenaires de coalition ce qui n’a pas été le cas du Parti Socialiste en France, mis à part la période 1988-1993 où il détenait une majorité relative à l’Assemblée nationale. Lorsque le Parti Socialiste a gagné les élections, il a toujours été détenteur d’une majorité absolue. La chute du Parti Socialiste est donc davantage due à des divergences idéologiques qui se sont accentuées sous le quinquennat de François Hollande avec l’apparition de ce que nous avons appelé les « députés frondeurs » qui accusaient régulièrement le parti socialiste de ne plus être assez à gauche et de ne plus défendre son socle d’électeurs habituels à savoir les classes moyennes et populaires. »
« Parallèlement, le ČSSD n’a jamais connu de grandes divisions idéologiques, elles étaient en tout cas relativement marginales. Il y a toujours eu une identité sociale-libérale assez claire, très favorable à l’économie de marché, très pro-européen. Cela n’a jamais empêché le ČSSD de s’allier avec des petits partis de centre droit et de droite modérée mais sa fragilité s’est accentuée notamment avec sa participation récente à deux gouvernements de coalition avec ANO et surtout avec le rejet de plus en plus fort du projet européen au sein de l’opinion publique tchèque puisque le ČSSD a été pendant longtemps l’un des principaux partis sur la scène politique tchèque à défendre le projet européen. Celui-ci étant de plus en plus rejeté au sein de l’opinion publique tchèque, il est logique que le ČSSD pâtisse fortement de ce changement de donne. A mon sens, la chute du ČSSD est plus une chute de posture politicienne qu’idéologique contrairement à ce qui s’est passé en France avec le Parti Socialiste. »
On évoquait le parti communiste tchèque, le KSČM. On annonce toujours sa disparition avec le vieillissement de son électorat. Selon vous, ce parti est-il réellement est en route vers les oubliettes de l’histoire ?
« Nous pouvons d’abord rappeler que le Parti communiste de Bohême et Moravie, le KSČM, présente cette particularité d’être l’un des seuls partis communistes des anciens pays d’Europe de l’Est à toujours être assez puissant jusqu’aux élections de 2013. Il était le troisième parti politique sur la scène politique tchèque. Il a aussi eu cette particularité de toujours bénéficier d’un socle d’électeurs assez fidèles dans le temps. Jusqu’aux élections de 2017, il a toujours obtenu des résultats relativement stables et honorables, toujours autour de 15% des voix. Nous assistons toutefois à un rétrécissement de plus en plus effectif de ce socle d’électeurs peut-être en raison de deux choses. »
« D’abord, ce changement générationnel au sein de l’électorat tchèque, un électorat beaucoup plus jeune qui n’a pas toujours connu ou alors seulement les dernières années de la Tchécoslovaquie communiste car le KSČM présentait aussi cette particularité de ne pas être dans une posture réformiste et de reprendre les thématiques traditionnelles que défendait le Parti communiste tchécoslovaque (KSČ). Il y a donc toute une partie de l’électorat qui va peu à peu de moins en moins se reconnaitre dans ce qu’incarne ce parti. Je pense que ce qui a aussi pu rétrécir ce socle est le fait qu’un certain nombre d’électeurs n’ont pas forcément compris le soutien tacite du KSČM au gouvernement d’Andrej Babiš, car rappelons que la coalition formée par ANO et le ČSSD ne détenait pas la majorité absolue à la Chambre des députés donc le soutien sans participation du KSČM au gouvernement d’Andrej Babiš a été capital : le gouvernement n’a pu tenir que grâce à ce soutien. Surtout, cet accord d’appareils n’avait pas été réellement expliqué, donc je pense qu’un certain nombre d’électeurs ont pu se détourner du KSČM suite à ce ralliement. »
« Même si le KSČM risque d’être le seul parti de gauche qui soit représenté à la Chambre des députés après ces élections, je ne pense pas qu’il ait vocation à restructurer la gauche puisqu’il n’a jamais été positionné dans une optique de gouvernement. Si sur 200 députés le KSČM parvient à en conserver une dizaine, je pense qu’il peut avoir un avenir de petit parti pivot qui peut occasionnellement faire basculer le vote d’un projet de loi mais je pense qu’il n’évoluera pas plus loin. »
Vous écrivez dans votre note que la reconstruction de la gauche pourrait vraisemblablement passer par un débat au sein de la formation Pirate. Le Parti Pirate tchèque est considéré comme ‘gauchiste’ et ‘néomarxiste’ par certains de ses adversaires à Prague. Est-ce que ce parti serait classé à droite en France ?
« Non, je pense qu’il est difficile de voir les choses sous un prisme exclusivement français. Il faut bien préciser le contexte : la scène politique tchèque est unique car les résultats du Parti Pirate tchèque sont exceptionnels en Europe. C’est le Parti Pirate européen qui détient les meilleurs résultats : trois eurodéputés pirates sur quatre sont tchèques. Le Parti Pirate a profité d’une série de circonstances favorables car lors de sa fondation en 2009, il ne défendait rien de plus que ce qui constitue l’idéologie pirate traditionnelle : le développement de la cyberdémocratie et une amélioration de la transparence de l’information en ligne. Les partis pirates ont toujours été sensibles aux questions écologiques mais ils ont certainement réussi à se développer davantage en République tchèque car il y a un vide, comme je le rappelle dans ma note, laissé par le Parti vert (SZ), qui s’est très vite laissé tenter par une expérience gouvernementale dans le gouvernement de Mirek Topolánek, mais cette expérience n’a pas été concluante. Le parti vert n’apparaissait alors plus comme le seul parti crédible à défendre la cause écologique. Le Parti Pirate a donc profité de ce vide et il a rapidement fait campagne sur la thématique des droits individuels, des droits des personnes LGBT+ notamment. C’est un créneau que n’occupait pas vraiment le ČSSD. En Europe, ce sont des thématiques assez souvent appropriées par différents partis de gauche. »
« Nous avons vu pendant la campagne que le Parti Pirate commençait à capter un électorat de plus en plus pro-européen car le ČSSD n’apparaît plus comme une force nationale crédible sur le long terme. TOP 09, parti de droite pro-européen, et le KDU-ČSL, parti chrétien-démocrate europhile également, sont au sein de la coalition SPOLU sous l’égide de l’ODS, qui est eurosceptique. Ils n’auront sans doute pas la capacité de porter le projet européen sur le long terme. »
« Nous assistons à beaucoup de petits événements qui renforcent le Parti Pirate. Tout cela est en plus très récent : le Parti Pirate a fait irruption sur la scène politique tchèque en 2013. Il est donc difficile de se prononcer, il conviendra de juger si le socle d’idées actuellement défendu par le Parti Pirate et cette offre social-écologiste s’inscrivent dans la durée ou si cette posture est opportuniste car la situation le permet. L’après-élection constituera une période d’observation intéressante. »