L'élite rom
Cette fois-ci, j'ai choisi de vous parler de la communauté dont on parle le plus, celle des Roms. Je suis persuadé que cela vous intéressera et que nous recevrons un grand nombre de messages de votre part à ce sujet. Mais je ne vais pas vous parler des Roms en général, nous avons consacré un grand nombre de nos émissions à cette problématique. Ce qui nous intéressera, dans cette chronique de cette semaine, c'est comment vit la communauté de l'élite, si l'on peut dire, des Roms tchèques.
Quand on dit « l'élite rom », tout le monde, du moins en Tchéquie, va tout de suite penser aux Roms qui se sont fait connaître dans la sphère politique, aux activistes rom de diverses organisations, nationales ou internationales. Cela n'est plus vrai, depuis un certain temps. En effet, bon nombre de ces défenseurs des droits des Roms ont, souvent, porter préjudice à la communauté rom. Ils n'ont même plus la confiance des Roms. L'élite rom, de nos jours, ce sont les personnes qui possèdent un haut degré d'instruction, sont honnêtes et cultivées. En effet, il ne faut pas oublier que dans la mentalité de la majorité des Tchèques, les Roms ont toujours été considérés comme des voleurs, des fainéants, des gens qui ne veulent pas faire un travail honnête. La vague d'émigration récente a encore terni l'image des Roms, en général. Mais ceux qui voulaient partir ne font pas partie de cette élite, dont nous voulons parler, aujourd'hui. Ladislav Goral, fonctionnaire du secrétariat du Conseil gouvernemental de la République tchèque pour les minorités nationales, déclare : « Les changements qui ont lieu, de nos jours, au sein de la génération actuelle des Roms, sont fascinants. Selon les statistiques, plus de deux cents Roms, par an, sont admis aux écoles secondaires et supérieures ». Il faut vraiment dire que c'est un énorme progrès car, dans le passé récent, il était très rare qu'un Rom fasse des études secondaires, et encore plus rare qu'il soit admis à une école supérieure.
Ladislav Goral, justement, fait partie de cette élite rom. Il a fait l'expérience du changement. A cinquante ans, il reconnaît que ce ne fut pas facile. Il est parti de sa Slovaquie natale, pour le grand monde, Prague. Arrivé dans la capitale, il ne trouva pas, tout de suite, du travail. Là s'est manifesté l'aide des gens qui ne voit pas dans un Rom seulement un voleur. L'un des employés de l'entreprise du bâtiment, Zemstav, eut pitié du jeune homme arraché de ses racines et le logea chez lui. Il lui trouva du travail dans l'entreprise. Il lui a appris à faire des économies, à réfléchir. Ladislav Goral dit de lui que cet homme lui a fait connaître les secrets de la population blanche. Par exemple, une simple chose qui pourrait vous paraître drôle. L'employé de Zemstav a divisé la paye de Ladislav Goral en trois part : une à dépenser, la seconde à épargner et la troisième à envoyer à sa famille. Pourquoi drôle, alors que cela vous semble normal ' Tout simplement du fait que la mentalité des Roms est tout à fait différente de celle du reste de la population. En effet, un Rom, en général, ne pense pas à l'avenir. Il vit au jour le jour. Il n'a aucun sens de ce qu'est la vie sédentaire. On n'appelle, d'ailleurs, pas pour rien, les Tziganes, les gens du voyage... Ils ne ressentent pas, non plus, le besoin de s'instruire et pour cela, leur niveau d'éducation reste très bas. Mais il ne faut pas les mettre tous dans le même sac, comme l'on dit. Un autre exemple d'un Rom qui fait partie de l'élite.
Stanislav Daniel est aussi d'origine rom. Sa vie ne fut pas facile, et il en parle ainsi : « Mes parents voulaient que je fasse des études, mais ils avaient du mal à m'aider. En effet, ils ne savaient ni lire ni écrire. Ce fut ma soeur qui m'aida avec l'école, à faire mes devoirs. C'était le premier membre de ma famille qui allait à l'école ». Stanislav Daniel termina l'école primaire - ce qui n'est pas le cas de beaucoup de Roms - et entra dans un centre d'apprentissage. Il était persévérant et décida de continuer ses études à l'école de police. Il la termina avec succès, le seul Rom de l'école et entra dans la police criminelle, le seul Rom aussi. A Zlin, la ville de la chaussure de Moravie du sud, il fit rapidement carrière, devenant l'un des meilleurs enquêteurs de la criminelle de la région. Aujourd'hui, il est commissaire divisionnaire de la Direction de la police de la République tchèque.
L'élite rom ne se recrute pas seulement dans l'administration. La famille des Ferenc, à Karvina, en Moravie du nord a toujours considéré le fait d'aller à l'école comme une chose tout à fait naturelle. Aujourd'hui, le clan des Ferenc, très respecté dans la région, est à la tête d'une coopérative de construction. L'un d'eux, Milan Ferenc, fut le premier de la famille à passer son bac. En parlant des générations plus jeunes que lui et ses frères et soeurs, il déclare : « Ils sont différents de nous. Ils possèdent plus de connaissances. La plupart d'entre eux ont passé le bac. La famille a son premier ingénieur ».
L'élite des Roms connaît, pourtant, des problèmes. D'un côté, la majorité blanche, les « Gadjos » en langue tsigane, ne lui font pas tellement confiance, du moins au début. De l'autre côté, elle est, quelque peu, rejeté par sa propre communauté. Le prêtre Vojtech Vagai le confirme, mais est persuadé que gravir les marches du progrès ne veut pas dire qu'on abandonne et oublie ses racines. Monika Horakova, d'origine rom, est actuellement député du Parlement de la République tchèque. Elle a fondé une association de formation pour les Roms, Anthingoi. Claudia Lavickova en est membre et se souvient du passé en disant : « Je sais que certains Roms reprochaient à mon père de ne pas nous apprendre le tsigane. Lui, il pensait qu'il faisait pour notre mieux. Le problème est, qu'après mes études, je ne savais pas où me ranger. Je ne savais pas si je devais me comporter comme une Tchèque ou une Rom ». Ceci est un problème aussi, car lors du dernier recensement, beaucoup de Rom ont nié leur origine rom. Le fait qu'on parle sans cesse, en Tchéquie, du problème de la communauté rom est aussi contrariant pour certains Roms qui ont fait carrière. Monika Horakova, député, déclare : « J'en ai assez qu'on parle de moi en tant que député rom. J'ai fait des études supérieures de psychologie et je pense que je suis capable de faire autre chose. J'ai peur de devenir un Rom de profession ». Ces derniers mots sont quelque peu symbolique. En effet, beaucoup de Roms qui participent à la vie publique sont qualifiés de professionnels de la question rom, aussi bien par la majorité blanche que par les Roms. Jana Horvathova est du même avis. Elle a fait des études supérieures d'histoire et a travaillé à la Télévision tchèque. Vous vous rappelez, peut-être, que la Télévision tchèque avait eu des problèmes, au début de cette année. Un nouveau conseil devait être élu. Jana Horvathova a présenté sa candidature. Tout le monde l'a considérée comme une candidature d'une Rom, qui devrait défendre les intérêts de la communauté rom à la Télévision. Horvathova n'est pas d'accord en affirmant : « J'ai fait des études d'histoire, j'ai travaillé à la télévision, je connais la problématique. Personne ne comprend que je peux représenter toute la société, pas seulement les Roms. Devenir un Rom professionnel me déplaît énormément, mais il est difficile d'échapper à cette éventualité ».
C'est le plus gros problème des Roms qui ont choisi de vivre autrement que le reste de la communauté rom, de s'instruire, de démontrer qu'ils sont capables. Ils sont rejetés aussi bien de la part des blancs que de la part des Rom. Jusqu'à quand ? Espérons que pas longtemps encore, car c'est le seul chemin conduisant à la solution de ce qu'on a coutume d'appeler le problème rom.