L’épopée de Radio Free Europe, service tchécoslovaque
Pavel Pecháček est à sa manière un vétéran de la lutte contre le régime communiste. En 1968, il entre, à Munich, au service tchécoslovaque de Radio Liberté (Radio Free Europe), la célèbre radio américaine. Il en assume la direction en 1989, après celle de Voice America. Il lève notamment le voile sur l’affaire Martin Šmíd.
« Il est intéressant de remarquer que l’opposition au régime, en Pologne, est venue du monde ouvrier, alors qu’en Tchécoslovaquie, ou en Bohême, elle émanait des intellectuels. Ici, il s’agissait surtout de jeunes gens, qui essayaient de s’accorder à cette culture des années 1960. Il y avait la musique, le jazz, c’était déjà le cas dans les années 1950, la pop, le rock, et puis sont venus, même peu nombreux, les cafés littéraires, la poésie, et petit à petit, durant les années 1960, les gens ont essayé de briser le joug de l’art officiel réaliste-socialiste ».
« Je vais vous dire quelque chose que peu de gens savent. En Tchécoslovaquie, durant la seconde moitié des années 1960, cette musique se développe fortement. Le régime n’a pas pu l’empêcher mais a su l’utiliser à son profit. Radio Free Europe diffusait dans les années 1950 et 1960 des après-midis musicales, très prisées par la jeunesse. Le succès de ces émissions a poussé le régime à proposer à la radio tchécoslovaque une émission, Mikroforum, reprenant le même créneau. Le but était de couler l’audimat de Radio Free Europe, très important. »
Le 21 août 1968, les chars du Pacte de Varsovie mettent fin au Printemps de Prague. C’est le temps de la normalisation. Vous émigrez en Allemagne de l’Ouest et, à Munich, vous commencez à travailler pour Radio Liberté, Radio Free Europe. Quels programmes étaient diffusés en Tchécoslovaquie ?« Quand je suis entré à Radio Free Europe, fin 1968, la radio diffusait beaucoup de matchs de football ou de hockey. Je me rappelle encore, Václav Havel -c’était encore sous le communisme, suggérait que, dans les programmes de la Voix de l’Amérique, j’avais beaucoup de sport et qu’il était peut-être dommage d’y consacrer tellement de temps. Et je lui ai dit : comment ça ? Les gens écoutent ces émissions de sport avec beaucoup de plaisir, ils veulent savoir ce que font les émigrés (Martina Navrátilová...), comment jouent nos hockeyeurs à l’Ouest. J’étais convaincu, que par le sport, les gens restaient à l’écoute de la radio, et donc qu’ils écoutaient aussi les nouvelles politiques. Pour cela, c’est moi qui ai eu raison et non pas Václav Havel ! »
Radio Liberté aurait joué un rôle important dans la Révolution de velours, en 1989. Elle annonce d’ailleurs la mort de l’étudiant Martin Šmíd, une information erronée mais qui mettra le feu aux poudres. Que s’est-il réellement passé ?
« Après le jour du massacre sur la rue Narodní, j’ai reçu un visa pour la Tchécoslovaquie et j’étais ainsi le seul journaliste de langue tchèque à couvrir les événements de la place Venceslas! Ce reportage appartient à la catégorie de ce qui a fait accélérer les événements car tout le pays a pu apprendre ce qui se passait réellement et les gens prenaient conscience de leur force. C’était très important. Des étudiants slovaques ont même reconnu qu’il avait mis le feu en Slovaquie. L’histoire de l’étudiant Šmíd est intéressante. De fausses informations avaient été diffusées sur lui et Radio Free Europe a été le dernier média à diffuser ces informations car j’étais très pointilleux sur la confirmation avant diffusion et je suis très sensible à ne pas faire d’intox. Mais ça s’est emballé et la nouvelle de la mort de l’étudiant, assassiné par la police politique, était déjà diffusée par tous les autres médias, la Voix de l’Amérique, la BBC, Reuters, etc… Nous avons donc finalement fait de même. »
« Il y avait là-bas plusieurs groupes de la STB (police secrète tchécoslovaque) qui avaient des opinions différentes. L’un d’entre eux a fait courir le bruit de la mort de Šmíd. Pour les familles, la STB s’attaquait à des enfants et cela les a poussés, après les étudiants, à s’attaquer au régime. Quand à Šmíd, il a fait des études et a aujourd’hui un très bon groupe de jazz à Prague. Jusqu’à aujourd’hui, cette affaire n’a pas été complètement éclaircie mais elle a sans doute dû être manigancée par la STB elle-même. L’étudiant qui a joué le rôle de Šmíd était un collaborateur de la STB. Je ne sais s’il s’agissait d’effrayer les gens ou, au contraire, de les pousser à s’engager dans l’opposition. Moi-même, je ne peux pas répondre avec assurance à cette question et j’en suis encore réduit à des spéculations. »
Radio Liberté devait représenter la bête noire du régime communiste. Aviez-vous peur pour votre vie ? Avez-vous été l’objet d’espionnage ?
« Oui, il s’est passé différentes choses. Et pourtant, je reste étonné qu’il y ait eu si peu d’attaques pendant les dix ans ou j’ai travaillé à Radio Free Europe, surtout depuis que j’ai appris, après la révolution de velours, toutes ces histoires d’espionnage sur notre station. Il s’est quand même passé quelques sérieuses affaires. Ainsi, on avait versé, à la cafétéria de Radio Free Europe, de l’atropine dans les salières, ce qui a effrayé tout le monde. En février 1981, il y a eu une grande explosion à la radio. Le bâtiment s’est fendu. Les secours ont sauvé trois personnes du service tchécoslovaque : une jeune fille, journaliste, qui portait son visage dans ses mains explosées, les nombreuses opérations qu’elle a subies ne lui ont pas rendu son visage. C’était une attaque qui avait été probablement organisée depuis la Roumanie. Il a surtout atteint le service tchécoslovaque. Les habitants de Bavière étaient du côté de Radio Free Europe et n’ont pas demandé la fermeture de la station. Ils nous au contraire encouragé. Mais c’était une attaque particulièrement odieuse. J’ai moi-même eu de graves problèmes avec la STB. Celle-ci avait émis la possibilité de kidnapper mon fils, qui avait alors cinq ans et ce n’est pas du tout une blague ! Le plan prévoyait de l’emmener à Vienne et de le garder jusqu’à ce que j’accepte de divulguer les noms de collaborateurs de Radio Free Europe en Tchécoslovaquie. Cela, je ne l’ai appris qu’après 1989, par le ministère de l’Intérieur. »En 1995, Pavel Pecháček participe à la création de la station Český rozhlas 6, qui assure la continuité de Radio Free Europe en République tchèque.