Quand le régime se battait contre les ondes

Erstes RFE-Studio in München

Les médias peuvent représenter un enjeu politique, cela n’est pas nouveau. Et depuis la Seconde Guerre mondiale, la radio joue un rôle de poids dans ce domaine. Ce sera également le cas dans la Tchécoslovaquie de la normalisation, avec les radios étrangères diffusées illégalement dans le pays.

Radio Europe Libre/Radio Liberté
En juillet 1960, la Tchécoslovaquie devient officiellement la "République socialiste tchécoslovaque", la seule à porter cette dénomination avec l’URSS. Et pourtant, les apparences sont alors bien trompeuses. Car au moment où le pays semble s’aligner de plus en plus sur le grand frère russe, la société, elle, commence à décrocher, comme nous le rappelle Pavel Pecháček, journaliste à Radio Europe Libre/Radio Liberté pendant les années 1970…

« C’est vraiment à partir des années 1960 que des tendances à la libéralisation sont clairement apparues dans la Tchécoslovaquie communiste. Ce nouveau courant a également touché des personnes qui s’étaient d’abord inclinées face au pouvoir. En effet, ils voyaient que l’impopularité du régime grandissait chaque jour un peu plus. »

Pavel Pecháček
« Et comme tout le monde le sait aujourd’hui à travers le monde, la Tchécoslovaquie a essayé, en 1968, de construire un "socialisme à visage humain", selon la désormais célèbre expression. Bien sûr, cela n’a pas marché et je pense que cela ne pourra jamais marcher. Le socialisme à visage humain me semble incompatible avec le communisme. »

De toute façon, après la chute du Printemps de Prague, le socialisme reprend un visage plus inhumain en Tchécoslovaquie. La période de la remise au pas succède au temps des illusions. Et alors que, dans les années 1950, le régime exécutait, dans les années 1970, il utilisait l’arme sociale. Pavel Pecháček :

« Bien sûr, la période de la normalisation (à partir de 1969) n’avait rien à voir avec celle de Dubček et de ce qui avait précédé l’occupation de la Tchécoslovaquie. La plupart des gens avaient peur. Beaucoup essayaient de s’adapter. Mais je ne leur jette pas la pierre ! Il était très difficile de s’opposer au régime quand celui tenait par exemple l’avenir de vos enfants dans ses mains. Pour les parents compromis politiquement, impossible de placer leurs enfants dans une école supérieure ou à l’université. Pour le régime, c’était juste un exemple parmi d’autres, des menaces qui pesaient sur les gens qui n’approuvaient pas la normalisation. »

Radio Free Europe,  photo: Archives de RFE
Pavel Pecháček dirigea, durant les années 1970, la section tchécoslovaque de Radio Europe Libre, la célèbre radio américaine. Il ne vivait donc pas dans le pays, mais il était mieux placé que quiconque pour voir l’impact des radios étrangères sur le régime. C’est à partir de la Seconde Guerre mondiale, une guerre des armes mais aussi des mots, que la radio commence à jouer un rôle crucial en terme de propagande. Qu’ils soient démocratiques ou totalitaires, tous les pays en guerre l’utilisent.

Ce ne sera pas différent dans la Tchécoslovaquie des années 1970 et le régime aura fort à faire pour lutter contre l’écoute clandestine des différentes radios occidentales : Radio Luxemburg, AFN Münich, Autofahrung Unterwegs (Vienne) et bien sûr Radio Europe Libre.

« L’arme privilégiée du régime contre la diffusion de Radio Europe Libre et les autres stations étrangères, c’était tout simplement leur suppression. Parfois, les autorités étaient très efficaces à ce petit jeu. Mais les Tchèques ont alors pris l’habitude d’aller au chalet, à la campagne – une spécialité tchèque encore bien vivante. Les petites mains du régime n’arrivaient pas jusque là. Ils écoutaient donc Radio Europe Libre le week-end principalement. »

« Il existait des endroits où l’on pouvait mieux capter. Il y avait aussi des radios qui étaient construites avec beaucoup d’ingéniosité, équipées pour recevoir les radios étrangères dans les grandes villes, comme à Prague. Pour écouter Radio Europe Libre, le mieux était de passer par Radio Soviet. Le régime avait très peur de l’écoute des stations illégales. »

Et c’est cette peur du régime qui rendra celui-ci parfois dangereux envers les journalistes tchèques basés à l’étranger. Basé à Munich sous le communisme, Pavel Pecháček nous confie les menaces qui pesaient sur lui et sa famille :

« J’ai moi-même porté plusieurs pseudonymes. A Radio Europe Libre, c’était Petr Horák, et à la Voix de l’Amérique, c’était Pavel Skála. Ce n’était pas vraiment pour notre propre défense, bien qu’il y ait eu aussi des attaques sur nos vies. Non, c’était d’abord pour nos familles, qui étaient restées en Tchécoslovaquie. Le but : que la police oublie peu à peu notre vrai nom afin que nos proches ne soient pas inquiétés. Il pouvait cependant arriver que le régime découvre qui se cachait derrière tel pseudonyme. »

Cette conscience du danger ne rendit Pavel Pecháček pas seulement prudent mais également sage. Et juste avant la chute du communisme, il fera preuve d’un sens de la retenue salutaire.

1989
« Alors que les événements de novembre 1989 se sont rapprochés, j’ai dit à mes collègues : informez et ne faites que ça ! Ce sont les Tchécoslovaques qui doivent se décider seuls sur la base de vos informations. En aucun cas, nous ne devons provoquer ou tenter de hâter les événements. C’est à eux de le faire. Et je leur ai aussi dit : la meilleure propagande, c’est la vérité. »


Rediffusion du 15/6/2011