Les 80 ans de l'écrivain Ludvik Vaculik
Ludvik Vaculik, l'une des grandes figures de la littérature tchèque, a fêté, récemment, ses 80 ans.
Ludvik Vaculik est, avant tout, écrivain. Mais tout le monde en Tchéquie sait qu'il est aussi un brillant journaliste. On a encore en vive mémoire que Ludvik Vaculik fut l'un des plus importants personnages de la dissidence tchèque, sous la dure normalisation communiste dans les années 70 et 80.
Le chemin de vie de Vaculik reflète, en quelque sorte, le chemin mouvementé du pays dans la seconde moitié du XXe siècle. Membre dès sa jeunesse du parti communiste, il a travaillé comme rédacteur dans les structures éditoriales officielles pour devenir dans les années 60 rédacteur du très célèbre hebdomadaire « contestataire » Literarni noviny. Au congrès des écrivains de 1967, il a prononcé un brillant discours sur la situation politique dans le pays, qui était alors perçu, et pour cause, comme l'une des hirondelles augurant le fameux Printemps de Prague dans lequel il s'est par la suite beaucoup engagé. Après son écrasement, il a rédigé les « Deux milles mots », texte galvanisant le pays guetté par l'invasion soviétique. Les structures gouvernementales diront que c'est une plate-forme de la contre-révolution. Ludvik Vaculik est dès lors exclu du parti communiste. Dans les années soixante-dix et quatre-vingts, il est mis au ban de la société. Il devient l'une des figures majeures de l'édition souterraine, Petlice, Editions sous les verrous.
On doit à Ludvik Vaculik plusieurs oeuvres sublimes qui ont marqué toute une génération. C'est le cas de son premier roman à grand succès, de la fin des années soixante, « La Hache », ou de « La Clef des Songes », de 1980, donnant une chronique au jour le jour de la vie en Tchécoslovaquie dans les années soixante-dix. Ce dernier roman n'a pu être distribué, à l'époque, que clandestinement. Aujourd'hui, il est perçu comme l'un des chefs-d'oeuvre de la littérature tchèque du XXe siècle. « La Clé des songes » et « La Hache » ont d'ailleurs été publiées, aussi, en version française.
Après la chute du régime communiste, Ludvik Vaculik, père de quatre fils et d'une fille, publie trois ouvrages à caractère autobiographique. Et il collabore, régulièrement, avec des journaux. Histoire de commenter, toujours au jour le jour, la vie, la politique, les moeurs. Ses gloses qui paraissent une fois par semaine dans le quotidien Lidove noviny ont leurs fidèles lecteurs, provoquant souvent des réactions on ne peut plus controversées. Ce n'est pas pour rien si son ami de toujours, l'écrivain Pavel Kohout, dit que « les gens se divisent en deux camps, ceux qui aiment Vaculik et ceux qui le détestent ».
Tout porte à croire que pour Ludvik Vaculik, ses 80 ans ne sont pas un âge de repos. Et s'il y a repos, c'est souvent en musique. Les chants moraves sont ceux qu'il préfère et qu'il sait d'ailleurs admirablement interpréter.
Dans une récente édition du complément du quotidien Lidove noviny, journal auquel Vaculik demeure fidèle depuis de longues années, le philosophe Karel Kosatik, décrit les actes et les activités que l'écrivain développait sous la normalisation communiste. Parmi ces dernières, il met notamment en relief le travail pour les éditions Petlice, un travail digne de respect, témoignant selon lui de la fermeté de caractère de l'auteur.
Près de 360 titres sont parus dans ces éditions, pour la plupart des oeuvres d'auteurs tchèques interdits : Jaroslav Seifert, prix Nobel, Grusa, Havel, Hrabal, Kolar, Skacel, Trefulka... La distribution de toutes ces oeuvres se faisait souvent par Vaculik lui-même, sinon dans sa régie. C'est d'ailleurs pour son travail pour les éditions « Petlice » que Ludvik a été dans les années 70 et 80 l'objet de poursuites persévérantes de la police d'Etat, la tristement célèbre STB.
Les livres ainsi distribués ont vécu leur propre vie, passant entre les mains de milliers de lecteurs tchèques. Comme l'écrit Karel Kosatik : « Ils ont permis de briser les grilles de la prison idéologique, dans laquelle le pouvoir communiste non culturel a voulu enfermer les citoyens de la Tchécoslovaquie ».
Karel Kosatik rappelle dans les pages de Lidove noviny le fameux discours que Vaculik a prononcé en 1967 au congrès des écrivains et que nous avons déjà mentionné. Il écrit :
« Vaculik a présenté une excellente analyse du pouvoir communiste. Le passage dans lequel il est dit que « aucune question humaine n'a été résolue en l'espace de vingt ans » demeure le plus connu aujourd'hui encore. Choquée, la délégation du parti communiste, présente alors dans la salle, l'a quittée en signe de protestation. Dès lors, la direction du parti a déclenché une vague de représailles contre les écrivains. Mais le pouvoir n'a pas pu empêcher la diffusion du discours parmi les gens qui est devenu une sorte de déclencheur du Printemps de Prague ».
Kosatik met aussi en relief les phrases qui caractérisent parfaitement la philosophie de l'écrivain. Ce dernier déclarait se sentir citoyen d'un Etat qu'il ne voudrait jamais abandonner, mais dans lequel il ne pouvait pas mener une vie satisfaisante...Chose dite, chose faite. Ludvik Vaculik n'a jamais quitté le pays, ne rejoignant pas les rangs de ses amis littéraires ou amis tout simplement qui avaient préféré prendre le chemin de l'émigration. Sa présence dans le pays, que les circonstances ont rendue parfois beaucoup trop « discrète », a d'ailleurs été perçue par beaucoup de ses concitoyens qui avaient décidé à leur tour de rester dans le pays comme une confirmation de la justesse de leur décision et comme une sorte de réconfort... Aujourd'hui, alors que Ludvik Vaculik atteint l'âge de 80 ans, son esprit décapant et son intelligence ne cessent d'étonner, de contrarier, d'émouvoir et d'amuser. Ses lecteurs ne semblent pas vouloir s'en lasser.