Les chars entraient dans Prague il y a 45 ans

Photo: Archives de Pavel Macháček

Ce mercredi, cela fait 45 ans, jour pour jour, que les armées de cinq Etats du Pacte de Varsovie ont envahi la Tchécoslovaquie. C’était dans la nuit du 20 au 21 août 1968, « la nuit la plus longue » telle qu’on l’appelle désormais. Cette invasion a eu pour conséquence le durcissement du régime communiste, après avoir mis un terme au « Printemps de Prague », ère réformiste durant laquelle des dirigeants communistes tchèques de l’époque, avec en tête Alexander Dubček, souhaitaient instaurer un « socialisme à visage humain ». La période qui a suivi, dite de « Normalisation » a purgé la société de ses éléments non orthodoxes et renforcé l’hégémonie soviétique sur ses pays satellites. Une période qui ne s’est achevée qu’avec la Révolution de velours, le 17 novembre 1989.

Photo: Kristýna Maková
C’est sous des tirs incessants que la Radio tchèque a fait savoir que le territoire tchécoslovaque était envahi par les armées de cinq pays. Près de 500 000 soldats, 6 300 tanks et 800 avions ont participé à cette invasion inattendue dans la nuit du 20 au 21 août. Les conséquences ont évidemment été dramatiques, ouvrant la voie à l’établissement d’une période dite de « Normalisation », qui a duré près de 21 ans. 45 ans après, les souvenirs sont toujours présents. Des représentants importants issus du monde politique, des vétérans militaires et civils, ainsi que des membres du mouvement gymnastique national tchèque, le Sokol, interdit durant la Normalisation, se sont réunis ce mardi matin devant le bâtiment historique de la Radio tchèque, pour commémorer les 108 victimes décédées lors de cette invasion, une agression militaire qui a changé non seulement la donne au niveau de la politique nationale, mais aussi la vie de milliers de personnes. Le Premier ministre démissionnaire, Jiří Rusnok s’est exprimé à cette occasion, en soulignant l’importance du rappel du passé :

Jiří Rusnok,  photo: Kristýna Maková
« Nous devons sans arrêt nous rappeler notre passé, où nous pouvons trouver des modèles qui, au nom de l’idéal de liberté et de l’indépendance de leur pays, étaient déterminés à risquer la chose la plus précieuse : leur propre vie et leur santé. Et nous devons en même temps être capables de réagir face aux menaces, auxquelles nous faisons face dans le présent. »

Vice-présidente du Sénat, Alena Gajdušková s’est exprimée sur l’importance de l’indépendance de l’information, condition indispensable au bon fonctionnement de la démocratie et de la liberté, qui n’est pas « la liberté des parrains et de leurs associés » :

Alena Gajdušková,  photo: Kristýna Maková
« Le souvenir de l’année 1968 n’est pas qu’un regard vers le passé, mais aussi une motivation pour nos réflexions d’aujourd’hui. Les médias publics ont une influence considérable sur les libertés civiles. Ceci fait aussi partie du legs de ces jours que nous sommes en train de commémorer. Notre radio tchèque, nous devons la protéger aussi maintenant. »

La présidente de la Chambre des députés, Miroslava Němcová, n’a pas manqué de faire un parallèle entre le vote, il y a 45 ans, des dirigeants communistes tchèques donnant le feu vert à l’occupation soviétique et celui, hier, de la dissolution de la Chambre des députés de ce mardi. Miroslava Němcová :

Miroslava Němcová,  photo: Kristýna Maková
« Etant donné que la Chambre des députés s’est dissoute ce mardi, nous ne devons pas oublier ce qui s’est déjà passé une fois dans notre pays, et ce qui peut se passer en un laps de temps très court. Car c’est ici qu’étaient les tanks, c’est ici que gisaient les morts, c’est ici que nous avons pu entendre la radio. Et dans deux mois, on pourrait découvrir que la dissolution de la Chambre des députés n’aura pas été une démarche qui nous aura servi à tous, dans le cadre d’une vie dans la liberté et la démocratie. »

Le maire de Prague Tomáš Hudeček a souligné que même si la période après 1989 a apporté un discernement lucide, quatre décennies de régime totalitaire n’ont pas facilité le chemin vers la démocratie. A l’heure actuelle, il est selon lui plus qu’essentiel de ne pas bifurquer de la voie mise en place en 1989.

Josef Zima, témoin de l’époque, a évoqué l’atmosphère incertaine des rues de Prague et notamment de celle de la Radio tchèque en ce jour d’août 1968 :

Photo: Archives de Pavel Macháček
« A cette époque, j’avais exactement 20 ans et 6 jours. Je revenais des vacances et j’allais au travail, et il n’était plus possible de circuler dans la rue ; des trams et des voitures barraient la route partout. C’était horrible. On avait du mal à y croire, parce qu’à l’époque, sous le président Antonín Novotný, le socialisme prospérait. Il est tout de même admirable que le bâtiment de la Radio ait survécu, parce qu’il y avait des flammes ; pleins de tanks étaient en feu aussi dans la rue. Avec mes collègues de travail, nous nous montrions les photos que nous avions prises discrètement. Car la police ramassait tous les négatifs, pour que rien ne soit conservé. »

Mais l’invasion ne se termine pas au mois d’août 1968, et le nombre de victimes n’a fait qu’augmenter les mois suivants, ainsi que l’année d’après. Janvier 1969 est marqué par l’immolation d’un étudiant, Jan Palach, qui sera suivi par plusieurs autres pour protester contre l’occupation. L’esprit commémoratif de ce 21 août 2013 est porté par les paroles de l’ancienne sénatrice et femme politique Jaroslava Moserová, qui avait dit un jour : « Inclinons nous devant ceux qui ne se sont pas inclinés ».