Les critiques contre les droits de l’Homme : encore d’actualité ?
Miloš Zeman, le président de la République tchèque, proposait en octobre dernier de déporter les migrants économiques dans les « zones vides » d’Afrique du Nord ou sur les îles grecques inhabitées… Un discours marquant une rupture avec l’héritage de Václav Havel, premier président de la République tchèque, connu pour son militantisme en faveur des droits de l’Homme. A l’heure où le repli sur soi et le nationalisme ont un écho sur la scène politique européenne, justifiant des propos critiques à l’égard des migrants, certains intellectuels décident de s’engager. C’est le cas de la professeure de science politique Justine Lacroix et du philosophe Jean-Yves Pranchère, tous deux invités mardi dernier à la Bibliothèque Václav Havel de Prague par l’Institut français. Ils reviennent sur les critiques historiques et actuelles faites aux droits de l’Homme, sur la crise des réfugiés européenne, ou encore sur le populisme.
Les droits de l’Homme et les migrations
« Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays », voici un extrait de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, adoptée par l'ONU en 1948. Une déclaration qui a pour but de protéger les droits dits naturels des hommes, sans aucune limite spatiale ou temporelle. Pourtant, certains intellectuels reprochent à ce corpus, ou plus précisément à l’usage qui en est fait, d’être la cause des nombreux maux de nos sociétés. La critique nationaliste, historiquement liée aux partis d’extrême-droite, bénéficie encore d’un écho sur la scène politique. Jean-Yves Pranchère détaille :« Dans les faits, cela se traduit dans le débat par, je dirais, une argumentation très ambiguë, c’estàdire justement, cette opposition entre les droits de l’Homme et la souveraineté. On peut lui donner aussi bien un sens disons social-démocrate. Et on peut lui donner une inflexion beaucoup plus nationaliste où l’on va insister sur non pas la solidarité sociale, mais l’homogénéité des mœurs, auquel cas la critique sera beaucoup plus ambiguë. »
Face à ces attaques, Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère mettent en avant une vision politique des droits de l’Homme, et des droits qui ne doivent pas servir de « gadget » au néolibéralisme ou à des politiques d’imposition des valeurs occidentales, comme lors de la deuxième guerre du Golfe. Ils défendent une vision réaliste des droits de l’Homme, pour penser leurs réalisations concrètes, et pour combattre les attaques contemporaines, notamment contre les migrants.
Une hostilité envers les migrants qui est d’autant plus forte depuis le Printemps arabe et la crise des réfugiés. Notons que la République tchèque se classe parmi les pays de l’Union européenne où les migrants font le moins de demandes d’asile. Selon le ministère de l’Intérieur, 1475 personnes ont demandé la protection de la République tchèque en 2016, soit 50 de moins qu’en 2015.
Les droits de l’Homme et l’Union européenne
Outre la crise des réfugiés, la construction européenne est aussi un sujet clivant. Le groupe de Visegrad (V4), dont la République tchèque fait partie, a à maintes reprises refusé les quotas européens de répartition des réfugiés, des quotas que Bohuslav Sobotka, le Premier ministre tchèque, qualifiait de « contraignants » en octobre dernier. Justine Lacroix donne des pistes de réflexion sur le rôle de l’Union européenne vis-à-vis des droits de l’Homme :
« C’est surtout la Convention européenne des droits de l’Homme qui dépend du Conseil de l’Europe, qui a beaucoup fait évoluer les choses, parce qu’effectivement, cette convention permet à toute personne établie sur le territoire d’un Etat membre, de saisir la Cour européenne des droits de l’Homme d’un certain nombre de manquements aux droits fondamentaux. Et il est vrai que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme a été absolument essentielle sur un certains nombres de cas. »
Ces critiques de l’Union européenne sont parfois analysées comme « populistes », surtout lorsqu’elles sont liées à la crise des réfugiés, et au terrorisme. En février dernier, le ministre de l’Intérieur Milan Chovanec du parti social-démocrate a fait une proposition que certains ont qualifié de populiste : la possibilité, pour les personnes qui détiennent légalement une arme à feu, d’en faire usage en cas d’attaque terroriste. Jean-Yves Pranchère alerte toutefois sur l’ambiguïté qui recouvre le terme « populisme » :
« Je pense que quand l’on parle de populisme à l’heure actuelle, on commet une erreur parce qu’on désigne ainsi des mouvements qui sont en réalité des mouvements nationalistes, mais où la dimension égalitaire, populaire, de solidarité sociale et de redistribution est tout à fait absente, et où les mots d’ordre porteurs ne sont pas des mots de l’ordre de la solidarité, mais sont au contraire des mots de l’ordre de l’exclusion, de la réservation des droits sociaux comme des privilèges à un petit nombre, et de ce point de vue, l’hostilité aux migrants est assez typique. »
Invités à la Bibliothèque Václav Havel, les deux intervenants ont eu quelques mots à l’attention du premier président tchèque. On écoute Jean-Yves Pranchère :
« C’est un symbole très fort… Mais disons qu’il y a deux moments chez Václav Havel : il y a Václav Havel, le militant des droits de l’Homme et il y a Václav Havel, qui en tant qu’homme politique, a dû assurer la gestion d’un Etat et d’un pays avec tout ce que le politique implique de charges, de stratégies, et là, on peut discuter. Mais ça reste un symbole extrêmement fort d’une défense des droits de l’Homme.. »
Cette conférence a été organisée comme un moment précurseur au Fonds d’Alembert 2017, un programme de promotion du débat d’idées dans les Instituts français à l’étranger. La semaine prochaine, nous reviendrons sur la conférence inaugurale de ce cycle, en compagnie de la philosophe Cynthia Fleury, sur le thème : « La démocratie en crise. Quel diagnostic ? Quel remède ? »