Les dialogues européens de Václav Havel à l’ombre de la crise en Ukraine
La Bibliothèque Václav Havel organisait, vendredi et samedi derniers, deux jours de débats intitulés « Les dialogues européens de Václav Havel ». Il s’agissait de la première conférence d’un cycle qui se poursuivra à Berlin, Bruges, Sarajevo et peut-être même à Kiev un jour. Sujet incontournable actuellement, la situation en Ukraine a été en effet le dénominateur commun de chacune des interventions sur l’avenir de l’Europe entendues à Prague.
« Il y a des crises qui divisent et des crises qui unissent. En règle générale, les crises géopolitiques et de politique extérieure ont un effet unificateur et permettent de créer une alliance interne. En revanche, pour ce qui est de la crise économique, celle-ci se manifeste en Grèce, mais ne se fait pratiquement pas ressentir en Allemagne. C’est pourquoi il est beaucoup plus difficile d’y répondre, car elle ne touche que certains pays de l’Union. »
Par ailleurs, Ivan Krastev estime que, plus qu’un effet transformateur, cette crise économique a d’abord eu un effet révélateur:
« On prétend en Europe que la crise économique a tout changé. A mon sens, elle nous a surtout permis de voir ce qu’il y avait déjà. Les éléments constituants de l’intégration européenne ne sont plus là pour encourager l’adhésion à ce projet, comme cela s’est produit pour la mémoire partagée de la Seconde Guerre mondiale ou la menace des chars soviétiques à la frontière. Au contraire, pour la nouvelle génération, un certain nombre de facteurs, comme la paix ou la prospérité, sont considérés comme des acquis. Les éléments unificateurs ne peuvent pas être facilement compensés et si certains croient pouvoir les compenser en fondant une narration ou un rêve commun à l’Europe, je leur rétorque que rêver ensemble est difficile. »
La paix est statique : il s’agit d’un état qui est ou qui n’est pas. Il est donc plus compliqué de la désigner comme une finalité si elle est déjà présente. Dans ce sens, les événements en Ukraine peuvent servir de miroir à l’attraction exercée par le projet européen. Pour Ivan Krastev, cette crise géopolitique nous apprend beaucoup également sur la définition de la politique étrangère européenne :« Dans la politique étrangère, il y a trois types de direction. Dans la politique de l’élargissement, c’est la Commission européenne qui occupe le devant de la scène, car c’est là où se situent la légitimité décisionnelle, les fonds de préadhésion et bien d’autres choses encore. Quand il s’agit de négocier avec l’Iran, ce n’est pas la Commission qui décide, mais les trois plus grands Etats : la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne. Enfin, la situation en Ukraine montre qu’il existe encore un troisième modèle de leadership : par le pays le plus concerné. C’est pour cette raison que la Pologne, qui a des intérêts vitaux dans l’affaire, s’implique tellement dans la résolution de la situation en Ukraine. Ici, la capacité la plus importante est de former des coalitions à l’échelle européenne. »
Outre Ivan Krastev, plus d’une vingtaine d’intervenants de référence ont présenté leur analyse lors de la conférence des Dialogues de Václav Havel. Néanmoins, si en vertu de l’essai de Václav Havel « La force des sans-pouvoir », les organisateurs entendaient s’adresser surtout au grand public, ils ont probablement raté leur cible. L’expertise pointue de sujets spécialisés et le choix de l’anglais comme langue du travail (malgré une traduction simultanée en tchèque) n’étaient assurément pas accessibles à tous. Mais l’apport de la conférence, qui sera prochainement disponible en ligne, résidait avant tout dans sa capacité à offrir un certain regard sur les débats intellectuels les plus actuels sur l’Europe d’aujourd’hui.