Les écrivains tchèques se mobilisent

Photo: Bohdan Holomíček / Asociase spisovatelů

Quelle est la place de la littérature dans notre société ? Avons-nous encore besoin de littérature ? Ces questions et encore beaucoup d’autres ont été posées lors du Congrès des écrivains qui a eu lieu les 5 et 6 juin derniers à Prague. C’était la première manifestation de ce genre organisée en Tchéquie depuis la chute du régime communiste en 1989.

Les animosités de la scène littéraire tchèque

Photo: Bohdan Holomíček / Asociase spisovatelů
Les réactions suscitées par le congrès reflètent la diversité de la scène littéraire tchèque et une certaine animosité entre les organismes qui se proposent de représenter les écrivains tchèques. Actuellement, il y a en République tchèque trois organisations de ce genre. Outre le centre tchèque du PEN club international, ce sont la Communauté des écrivains tchèques (Obec spisovatelů) et l’Association des écrivains (Asociace spisovatelů). Tandis que la Communauté représente plutôt les générations intermédiaire et moyenne des auteurs tchèques, l’Association réunit ceux qui n’étaient pas contents du travail de la Communauté. Parmi les membres de l’Association, il y a plusieurs auteurs renommés qui sont relativement jeunes et déjà lauréats de prix littéraires. Elle a été également l’organisatrice du congrès qui s’est réuni en juin à Prague. Jan Němec, président de l’Association, évoque les raisons pour organiser une telle manifestation :

Jan Němec,  photo: Bohdan Holomíček / Asociase spisovatelů
« L’Association des écrivains n’a été fondée qu’il y a six mois et le congrès devait être donc une espèce de second début, un début plus ouvert vis-à-vis des autres. Nous avons voulu démontrer que nous ne sommes pas une organisation élitiste pour quelques jeunes auteurs, ce qu’on nous reproche parfois, mais que nous voulons agir dans le milieu littéraire comme une plateforme ouverte. Et puis nous avons voulu mettre en évidence aussi les possibilités actuelles de la scène littéraire. Aujourd’hui il y a dans ce milieu beaucoup d’illusions, beaucoup de ressentiments et on ne peut s’en défaire qu’en donnant à tous ces gens la possibilité de montrer ce dont ils sont capables et ce qu’ils arrivent à formuler. »

La tâche des organisateurs du congrès n’a pas été facile parce qu’ils se sont heurtés à des problèmes techniques. Ne disposant pas d’une base de données sur les personnalités de la vie littéraire, ils ont fait la publicité du congrès par tous les moyens possibles, affiches, invitations sur Facebook, courriels. L’écrivain Ondřej Lipár, membre de l’Association, avoue cependant que malgré les efforts déployés, cette campagne de publicité n’a pas tout à fait réussi et parmi les nombreux participants il y a eu relativement peu d’auteurs. Selon lui, l’objectif du congrès a été de mettre en évidence l’état réel de la scène littéraire et d’obtenir de nouvelles impulsions, et cet objectif a été largement accompli car plusieurs grands thèmes ont surgi dans les interventions et dans les débats :

« On s’interrogeait notamment sur le sens de la création littéraire dans la situation actuelle. Un autre grand thème a été la distinction entre les professionnels et les amateurs de littérature, entre les écrivains professionnels et amateurs. On se demandait où est la limite séparant le professionnalisme et l’amateurisme dans la littérature, comment distinguer ces deux catégories, car ce n’est pas qu’une question d’argent. L’écrivain professionnel n’est pas seulement celui qui réussit à gagner sa vie en écrivant mais il se distingue avant tout par son approche de la littérature. »

Ces écrivains qui n’arrivent pas à gagner leur vie

Photo: Bohdan Holomíček / Asociase spisovatelů
Parmi les thèmes discutés, il y a eu les différentes possibilités d’aider les écrivains tchèques désireux de se consacrer entièrement à la littérature. Pour écrire un livre l’auteur tchèque a besoin en moyenne d’un an et demi. Cependant pour obtenir les honoraires équivalents au salaire moyen gagné par un travailleur pendant cette période, l’auteur devrait vendre 19 000 exemplaires de son livre. Le marché des livres tchèques étant relativement petit, un tel succès ne se produit que tout à fait exceptionnellement et les auteurs tchèques n’arrivent pas en général à gagner leur vie par le travail littéraire. Les intervenants au congrès ont cherché donc les possibilités pour faciliter la situation économique des écrivains. Selon un des projets, une toute petite taxe devrait être prélevée sur chaque livre emprunté dans les bibliothèques publiques ce qui permettrait de subventionner la création littéraire. Les subventions pour la littérature ont été discutées au congrès également avec les délégués du ministère de la Culture. Ils ont promis d’inviter les représentants de la littérature à la préparation du budget et des lois concernant la culture mais déploraient de ne pas trouver sur la scène littéraire tchèque un organisme qui serait un partenaire suffisamment représentatif pour ce genre de travail.

Le présent et l’avenir de la littérature

Photo: Bohdan Holomíček / Asociase spisovatelů
Pour lancer la discussion, le président de l’Association des écrivains Jan Němec a évoqué dans son discours d’ouverture l’impuissance et la marginalisation de la littérature dans la société actuelle. Sous le régime totalitaire, toujours d’après Jan Němec, le pouvoir cherchait à dominer la littérature, aujourd’hui la littérature devient impuissante parce qu’elle n’intéresse plus le pouvoir politique et les mass medias, et sa voix se perd dans la cacophonie du marketing et des médias commerciaux. La création en souffre et très peu d’ouvrages parus au cours des 25 dernières années peuvent rivaliser avec les exploits de la littérature tchèque de l’entre-deux-guerres ou avec ceux des années 1960. Un grand roman ne peut pas être créé dans un milieu qui ne l’attend pas.

Cette image sombre qui ne présage rien de positif pour l’avenir de la littérature tchèque n’est pas partagée cependant par Ondřej Lipár, également membre de l’Association. Bien qu’il voie, lui aussi, le désintérêt des « grands » médias, il décèle aussi certaines tendances positives et constate que la littérature arrive à se frayer un chemin vers le lecteur :

« Je pense que beaucoup d’éditeurs qui n’arrivent pas aujourd’hui à entrer en contact avec les lecteurs par l’intermédiaire des grands médias, le font directement sur le web et sur les réseaux sociaux. Ils essaient également d’amener les auteurs vers les lecteurs, dans les bibliothèques publiques et dans les librairies. Le manque d’intérêt des grands médias est donc évidement un problème, ce n’est pas bien. Mais je pense que cela dépend beaucoup de l’attitude des propriétaires et des rédacteurs en chef qui manquent de courage parce qu’ils pensent que la littérature n’intéresse plus le public. Mais ce n’est pas le cas. On lit toujours beaucoup en Tchéquie et cultiver ce qu’on lit, ça demande sans doute du courage mais ça vaut la peine. »

Le premier Congrès des écrivains depuis la chute du communisme

C’est donc aussi pour cultiver les lecteurs tchèques que l’Association a organisé le premier Congrès des écrivains depuis la chute du communisme. Face aux critiques parues dans la presse, les organisateurs admettent que leur action n’a pas été une réussite parfaite mais rappellent que le congrès a non seulement lancé un débat sur l’importance de la littérature et le métier d’écrivain dans la société actuelle, mais qu’il a apporté aussi quelques résultats pratiques dont la coopération avec le ministère de la Culture. Jan Němec précise :

« Nous nous sommes mis d’accord d’une façon non formelle pour organiser des rencontres et donner aux représentants du ministère les informations nécessaires et la possibilité de s’orienter dans cette problématique. Il est difficile cependant de parler des résultats concrets parce que le congrès a eu le caractère de conférence. C’était donc une confrontation des idées et on ne peut pas s’attendre tout de suite à des résultats concrets. Je pense que le débat n’a pas pris fin avec le congrès. Nous le voyons déjà sur Facebook et sur d’autres serveurs. Le débat continue et continuera aussi dans des revues littéraires. Cependant, il est trop tôt pour faire le bilan. »