Les enjeux économiques de l'affaire Louis Vuitton

Nous revenons aujourd'hui sur l'affaire Louis Vuitton, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre dans les médias tchèques. Nous l'avions évoquée il y a quelques jours, le double événement, course automobile et mini-concert de Madonna, ne se déroulera finalement pas sur le Pont Charles, comme prévu. La protection du patrimoine a soudé de nombreuses personnalités contre le projet. Mais le scandale fut également économique. Retour sur les enjeux financiers de la polémique.

Le Pont Charles,  photo: CzechTourism
Durant ce week-end, le Pont Charles aurait normalement dû être fermé au public. La société Louis Vuitton avait souhaité le louer dans le cadre de sa traditionnelle course de voitures anciennes. La coupe Louis Vuitton Classic Boheme Run, qui a commencé en Hongrie le 6 septembre dernier, finira dimanche prochain à Prague, après avoir traversé l'Autriche. Lors de ce rallye, une cinquantaine de voitures anciennes seront filmées dans le cadre d'un documentaire publicitaire pour le célèbre maroquinier de luxe.

Parallèlement, et toujours dans le cadre d'une promotion de la marque, la pop star Madonna devait selon la presse chanter deux ou trois chansons sur le Pont Charles. La chanteuse se produit, en effet, à Prague dans le cadre de sa tournée européenne. Pour privatiser ce lieu-phare du patrimoine historique, la société Louis Vuitton République tchèque avait dû demander un permis de location, qu'elle a reçu le 11 juillet dernier après avoir signé un contrat avec le Service de communication technique de la mairie de Prague. En contrepartie du manque à gagner, la ville devait dédommager les acteurs du secteur touristique à hauteur de 1,25 millions de couronnes, soit environ 42 500 euros.

D'après le projet initial, un couloir de trois mètres de large devait être créé sur le Pont Charles à l'occasion de l'événement. Changement de programme le 27 juillet dernier, le Service de communication technique autorise la location de 5 000 mètres carrés, soit la superficie totale du pont. Celui-ci devait donc être entièrement "réservé" pour Louis Vuitton, et ce du samedi 9 septembre 16 heures jusqu'au dimanche 10, 14 heures. Durant cet intervalle, il aurait dû être totalement fermé aux touristes et aux piétons.

Les défenseurs du patrimoine historique ont alors réagi sans attendre. Certes, la privatisation de sites culturels est déjà pratiquée et notamment par les agences de voyages. Des agences de tourisme d'affaire peuvent ainsi louer une salle de la Maison municipale, de l'abbaye de Strahov ou même du Château pour une conférence ou un dîner professionnel. Mais la location du Pont Charles ne risquait-elle pas d'endommager gravement ce site unique ? Le Département de la Culture, du Monument et du Tourisme de la Ville de Prague s'en est inquiété à voix haute.

Pour les agences de voyages elles-mêmes, la nouvelle a sonné comme un scandale. L'Association des Tour Opérateurs et des Agences de Voyages de République tchèque (ACCKA) a ainsi mis en avant le fait que le mois de septembre est particulièrement important pour les revenus du tourisme. Ce sont alors 4 millions de touristes environ qui génèrent 88 milliards de couronnes, soit environ 3 milliards d'euros. En comparaison, les 1,25 millions de couronnes proposés en guise de dédommagement font bien pâle figure. Rappelons également que filmer sur le Pont Charles pour quelques heures seulement coûte environ 250 000 couronnes, soit presque 9 000 euros. On en vient ainsi à se demander quel bénéfice réel la ville de Prague pouvait en tirer. Un coup médiatique et publicitaire ? Le centre-ville est tellement visité qu'il n'en a pas besoin ! D'autant plus que le manque à gagner ne concerne pas que les agences de voyages mais aussi les commerçants et artistes qui, chaque jour, travaillent sur le pont et ont payé pour cela un permis et des taxes spéciales auprès de la mairie de Prague.

Le château de Hluboká
L'affaire tombait d'autant plus mal que le Pont Charles connaît actuellement d'importants travaux de rénovation. Ceux-ci s'effectuant de manière progressive, le pont reste ouvert au public mais il n'est que partiellement visible. Quand on sait que la majeure partie des touristes ne reste qu'un week-end dans la capitale tchèque et se limite au centre historique, on comprend les inquiétudes des professionnels du secteur.

Face à l'indignation générale, le projet a dû être abandonné. Ceci dit, la mairie a donné à la disposition de la société Louis Vuitton une partie du quai de la Vltava. La trajectoire de la course serait modifiée : au lieu du Pont Charles, elle emprunterait le Pont Cech/Cechuv most pour se terminer au Château, où aurait lieu la remise des médailles ainsi qu'une cérémonie officielle. C'est en outre le château de Hluboka, dans le sud de la Bohême, qui a été envisagé pour une fête.