Les enseignements alternatifs, au secours de l’éducation tchèque ?
Si l’enseignement scolaire tchèque était une personne, comment la décririez-vous ? Bien que surprenante, c’est en tout cas la question à laquelle ont répondu une trentaine de parents d’élèves tchèques, dans le cadre d’une étude commandée par le quotidien Deník N, en juillet dernier. Personnifié en vieil homme grincheux, têtu et qui n’aime pas le changement, l’enseignement scolaire classique a montré ses limites, selon les personnes interrogées. A la lumière de cette description, qu’en est-il des écoles alternatives ?
En République tchèque, l’enseignement scolaire interroge. Déjà, en juin dernier, l’organe de recherches The Economist Intelligence Unit, dans son classement annuel des villes les plus viables au monde, pointait du doigt l’éducation comme l’un des points faibles de la République tchèque, de par les enseignements donnés et le manque d’investissement financier.
En juillet dernier, c’était le quotidien Deník N qui publiait une enquête sur le système scolaire classique tchèque. Trente parents d’élèves de primaire avaient alors été sondés sur l’éducation actuelle. Il en est ressorti que bien qu’elle soit gratuite et ouverte aux langues étrangères, l’éducation tchèque serait trop rigide et les programmes obsolètes. Les méthodes d’apprentissage ont également été critiquées.
Bien que majoritaire en nombre d’établissements et d’inscrits, l’enseignement classique n’est pas le seul en Tchéquie. Neuf formes d’éducation alternatives sont proposées dans le pays, notamment via les écoles Montessori, Steiner-Waldorf, les Forest schools, ou encore la pédagogie Dalton. Et selon les données du ministère de l’Education tchèque, le nombre de ces établissements n’aurait fait qu’augmenter, passant ainsi de 69 écoles pour 5 000 élèves en 2008-2009 à 145 écoles primaires pour 9 523 inscrits en 2015.
Pherooz Karani, directrice de l’école primaire internationale Montessori de Prague, confirme cet engouement :
« Je pense que ces dix dernières années, le niveau des écoles Montessori a vraiment augmenté en République tchèque. Quand nous avons commencé, ce n’était pas vraiment connu, c’était nouveau et nous avons vraiment vu une grande augmentation de l’intérêt pour Montessori, surtout ces dix dernières années. »
Même constat du côté des établissements Waldorf, comme nous l’explique Břetislav Kožušník, représentant de la République tchèque au Conseil européen de l’éducation Steiner-Waldorf :
« Je pense que c’est plutôt connu et populaire. Il y a 21 écoles Waldorf en République tchèque, quinze établissements élémentaires, cinq établissements supérieurs et une école pour les élèves avec des besoins particuliers. Actuellement, nous avons 3 563 inscrits, 3 037 en élémentaire et 504 en supérieur. Mais je ne dirais pas qu’il y a beaucoup de parents qui veulent inscrire leurs enfants. Cela dépend de l’endroit. A Ostrava, la situation est plus stable, il y a environ cinquante élèves par an et 25 étudiants. Mais à Prague, il y a plus de demandes d’inscription que de places dans les écoles. »
Du côté de l’éducation classique, Libor Slováček, directeur de l’école primaire de Vsetín, en Moravie, a son avis sur la question alternative :
« Je pense que ces établissements ont leur place dans le système éducatif tchèque, mais ils restent une minorité. Ils ne sont pas si nombreux que ça, comparés aux pays étrangers autour de la République tchèque. Mais ils ont leur place dans le système éducatif, ils peuvent être bons pour le développement des connaissances des élèves. »
Pour autant, malgré cet intérêt croissant au cours des dernières années, ces pédagogies alternatives pourraient-elles être une solution pour relever l’éducation scolaire tchèque ? Les deux représentants de Montessori et Waldorf ont des avis mitigés sur la question.
Selon Břetislav Kožušník, « l’éducation tchèque doit être changée et bien sûr, nous soutiendrions tous ces changements. Je ne pense pas que notre pédagogie soit la solution, mais elle peut être un soutien, comme dans d’autres pays, comme c’est le cas aux Pays-Bas. L’orientation des écoles Waldorf est devenue, ces derniers temps, une approche publique. Donc oui, nous pourrions aider en partageant des méthodes par exemple, mais je ne pense pas que les écoles Waldorf, et même les autres pédagogies alternatives soient la solution car il faut des enseignants et des parents très engagés pour changer une telle institution. Nous pouvons soutenir en partageant des méthodes et en soutenant le processus mais nous ne sommes pas une solution ».
A contrario, Pherooz Karani considère que les écoles Montessori sont un bon exemple pour l’éducation scolaire tchèque :
« Je pense que la République tchèque a du chemin à faire pour développer son éducation. D’après mes observations en tant que professionnelle de l’éducation, je peux voir que les établissements classiques se concentrent sur la mémorisation, la répétition et l’apprentissage par cœur. Cela peut nuire à l’enfant en classe car cela n’aide pas spécialement à développer les compétences dont l’enfant aura besoin plus tard, dans sa vie. Donc je pense qu’il y a beaucoup de travail à faire sur l’enfant, le développement des besoins et des programmes en lien. Je pense aussi qu’l y a une certaine pression parmi les écoles Montessori, ici, en République tchèque, pour être davantage reconnues. Je pense personnellement que notre pédagogie va dans le sens de l’intérêt de l’enfant et qu’elle permet à chaque élève de développer son potentiel. »
Mais Pherooz Karani confie que la pédagogie Montessori a aussi besoin d’évoluer :
« Je pense que, définitivement, une part du problème est que le travail est coincé dans un vieux système et ne prend pas suffisamment en compte les besoins des enfants, au regard des changements de la société. Les besoins dans le monde ont évolué, donc il faut que nous changions les modèles d’éducation aussi. On en parle aussi dans les établissements Montessori. Il y a des personnes qui nous reprochent d’enseigner l’utilisation des ordinateurs, par exemple, en disant que les enfants ne devraient travailler qu’avec leurs mains. Et je suis d’accord avec ça, mais pour certaines circonstances. Dans certains cas, on doit apprendre aux enfants à utiliser un ordinateur et comment l’utiliser correctement. »
Certains a priori collent à la peau des écoles alternatives comme le fait d’être trop chères, sectaires ou sans réelle autorité sur les enfants. Břetislav Kožušník confie par écrit que l’accusation de sectarisme, par exemple, est surtout populaire en France et en Slovaquie :
« Dans les livres de notre fondateur Steiner-Waldorf, certaines citations peuvent être jugées critiques aujourd’hui. En tant que mouvement Waldorf, nous nous inspirons de ses citations, mais nous jugeons de manière critique ce qui fait partie du contenu historique et ce qui est encore actuel. Donc nous sommes capables de travailler avec d’autres formes d’enseignements et d’autres personnes. Car notre priorité est le bien-être de l’enfant, lui donner suffisamment de liberté. »
Libor Slováček partage l’idée de travailler avec d’autres formes d’éducation :
« Les écoles classiques doivent travailler avec ce genre d’établissements car nous pouvons apprendre d’eux, partager des idées d’enseignement avec de nouveaux éléments. Par exemple, les écoles alternatives n’ont pas de leçon séparée, comme d’un côté la physique, ensuite les mathématiques, la chimie, etc. Elles ont des sujets interchangeables, sur plusieurs jours. Après, bien sûr, ça dépend des écoles. »
En effet, le directeur rappelle que malgré les résultats des études de The Economist Intelligence Unit et de Deník N, chaque école est différente.
« Dans les écoles d’enseignement classique, les enfants peuvent aussi apprendre d’une bonne façon. Cela dépend vraiment de chaque école. Je pense qu’en République tchèque, nous avons fait des progrès sur la manière d’enseigner. »