Les photos en apesanteur de Kamil Vojnar

Photo: Kamil Vojnar

Jusqu’au 14 mars 2010, la Galerie Leica, à Prague, propose une exposition du photographe tchèque Kamil Vojnar. Intitulée Flying Blind, elle propose un ensemble d’images à mi-chemin entre la photographie et la peinture.

Photo: Kamil Vojnar
Un ange debout, trempé, les pieds dans une baignoire, une jeune fille au regard perdu, allongée, sorte d’Ophélie au milieu des fleurs, une équilibriste sur un fil électrique. Les personnages qui peuplent les photos de Kamil Vojnar sont des êtres éthérés, qui oscillent entre deux mondes. Les photos sont noir et blanc ou sépia, mais ce n’est pas tant le fait de réglages ou des pellicules que le résultat d’un long travail de la matière, d’une stylisation de l’image à l’extrême. Si Kamil Vojnar est photographe, il a besoin de revisiter et de transformer ses photographies et d’en faire un nouvel objet pictural :

'En l'air',  photo: Kamil Vojnar
« Une simple photographie, développée, imprimée, est certes jolie, la plupart des gens s’en contentent. Mais pour moi ce n’est que le début. Après l’avoir imprimée, c’est là que mon travail commence réellement. Avant de quitter la Tchécoslovaquie, je faisais de la peinture. J’aime la couleur, la texture. J’aime que l’on ait l’impression que l’image est charnelle, que l’on peut plonger les doigts dans la peinture. J’aime cette idée d’une photographie sensible, qui peut être détruite au moindre toucher. »

Kamil Vojnar est né en Tchécoslovaquie en 1962 et a émigré à New York au milieu des années 1980. Depuis un peu moins d’une dizaine d’années, il vit en France à Saint-Rémy-de-Provence. Après un passage par le graphisme, il décide de se consacrer exclusivement à sa propre création. Et pour obtenir ce qu’il appelle un « mixed media », Kamil Vojnar utilise une technique qui confère à ses photos une patine très particulière :

'Rebecca avec des ailes',  photo: Kamil Vojnar
« Je l’imprime en petite séries, par exemple sur du papier allemand très dur, qui est fait exprès pour l’impression numérique, ou sur du papier japonais. Ensuite je la vernis, puis la photo est incrustée dans le papier soit à l’aide d’acrylique, soit avec du vernis à céramique que j’ai un jour renversé par mégarde avant de réaliser le lendemain que c’était très bien. Ces amas de cire ou de peinture donnent à la photo un aspect comme vieilli par le temps... Par-dessus, il m’arrive aussi de gratter la surface. »

'Attirée par la lumière',  photo: Kamil Vojnar
L’atmosphère désuète qui en émane, une atmosphère très « dix-neuvième », évoque irrésistiblement les tableaux des Pré-Raphaélites. D’ailleurs, il n’est pas anodin de se souvenir que la photographe britannique Julia Margaret Cameron utilisa la photographie naissante pour réaliser des photos dans le style de ces artistes. Des photos auxquelles celles de Kamil Vojnar se rattachent finalement involontairement, moins par la technique que par les figures qu’il représente et la façon dont elles sont mises en scène. Côté tchèque, et plus proche de nous, on pensera aussi peut-être à la lueur des photos de Jan Saudek, en moins décadent toutefois.

L’ensemble de photos présentées à la galerie Leica est intitulé Flying Blind, un titre qu’explique pour nous Kamil Vojnar :

'Joachim avec des ailes',  photo: Kamil Vojnar
« En tchèque, et en français, c’est difficile à traduire, ça ne marche pas. Vol à l’aveugle, ça ne veut rien dire. Alors qu’en anglais américain, qui est une langue optimiste, Flying Blind a une connotation positive. Cela signifie que vous vous lancez dans quelque chose même si vous ne savez pas ce que ça va donner. En plus, quand j’ai commencé à New York, je lisais une autobiographie de Wim Wenders qui venait de sortir son film Les ailes du désir. On y retrouve ce point de vue multiple sur les choses qui m’inspire, ce regard à 360 degrés sur la vie. »

L’étrange apesanteur des photos de Kamil Vojnar ne tient pas tant à la figure récurrente de l’ange qu’à l’impression qu’à tout instant, la scène représentée va s’évanouir : l’ange va s’envoler, la jeune Ophélie va fermer les yeux, s’endormir ou peut-être mourir. Une réflexion sur le monde qui nous entoure, où la frontière est ténue entre le bonheur et le malheur, entre l’ombre et la lumière.