4) Jeseník, des eaux thermales au creux des montagnes
Après avoir exploré les trois villes principales formant le triangle thermal de Bohême de l’Ouest, nous partons cette semaine à l’autre bout du pays, à Jeseník, une ville située à l’extrême nord-est de la République tchèque, dans la région de Silésie, à quelques kilomètres de la frontière polonaise. A deux kilomètres de la ville et plus de 600 mètres d’altitude se trouvent la station thermale Priessnitz, du nom de son fondateur.
Depuis l’un des sommets des monts Jeseníky qui ont donné leur nom à la ville non loin de là et à la station dont il est question aujourd’hui, le grand sanatorium principal Priessnitz de 1910 domine la vallée qui s’ouvre sous lui et la dizaine d’autres bâtiments thermaux qui accueillent les curistes. Le site thermal puise ses eaux curatives dans plusieurs dizaines de sources minérales naturelles environnantes. C’est à un homme né non loin de là en 1799 qu’est associée la station thermale : Vincenz Priessnitz, comme nous le raconte le guide local Jiří Glabazňa :
« Il y a 200 ans, il n’y avait aucune station thermale ici. Un paysan local a eu un fils nommé Vincenz, particulièrement doué et bourré d’intuitions, avec un vrai talent d’observation. Ce sont ces qualités qu’il a mises à profit en soignant les animaux, le bétail, mais aussi ses propres blessures qu’il s’est mis à soigner les gens. Il y est tellement bien arrivé qu’en 1851, à sa mort, il a laissé en héritage un établissement thermal de renom. »
A l’âge de huit ans, son père devient aveugle, quatre ans plus tard, son frère aîné décède, et c’est donc le jeune Vincenz qui doit aider à la ferme. C’est là qu’il apprend à observer et soigner les animaux. Des blessures ou inflammations qui le font souffrir le poussent à trouver de remèdes par lui-même, notamment après qu’un médecin estime qu’une côte brisée lui sera fatale ou le handicapera à vie. Refusant ce diagnostic, le jeune homme entame un traitement empirique à base de bandages humides sur sa poitrine et consomme de grandes quantités d’eau. Sa guérison le convainc que ses intuitions sont les bonnes et il se forge une petite réputation de guérisseur dans les environs, avec des méthodes et des protocoles à base de l’hydrothérapie. Toutefois, ces expériences thérapeutiques ne plaisent alors ni aux médecins officiels qui le traitent d’imposteur, ni aux autorités impériales :
« Sous la monarchie austro-hongroise, une loi interdisait d’être payé pour des activités médicales sans être diplômé ou formé. Les médecins locaux, qui eux, étaient formés, n’appréciaient guère ce que faisait Priessnitz. Cela a mis au moins vingt ans, avant que les autorités autrichiennes lui accordent l’autorisation pour son établissement hydrothérapeutique. C’était en 1838. »
Quoiqu’on pense de ces méthodes thérapeutiques alternatives, plus de 180 ans plus tard, la station thermale est toujours recherchée. On n’y croise certes plus nécessairement le gratin des cours nobiliaires de l’époque, conquises par les procédures de Priessnitz, ni même de grands écrivains ou musiciens (Gogol et Liszt sont passés par là en leur temps), mais on se rend à Jeseník pour soigner divers maux jusqu’à nos jours, comme le détaille Kateřina Tomášková, directrice de l’établissement thermal :
« Nous essayons de suivre les principes qui régissaient la pensée de Vincenz Priessnitz. Son idée était de reconnecter l’être humain à la nature. Ainsi nous essayons de profiter au maximum de l’air frais des montagnes, de l’eau potable qui coule ici en abondance, nous bénéficions d’un personnel spécialisé et d’appareils thérapeutiques destinés aux soins. En raison du climat de la région, nous soignons notamment les problèmes respiratoires, que ce soit chez les enfants ou chez les adultes. Mais l’environnement calme de la région nous permet aussi d’accueillir des gens souffrant de troubles psychiatriques. Nous soignons également des personnes qui viennent de subir un cancer, ou les problèmes dermatologiques ou gastriques. »
La station Priessnitz n’est d’ailleurs pas la seule à accueillir des curistes dans la région : parmi les autres stations, la plus pittoresque est sans doute Karlova studánka où l'on traite des maladies respiratoires, et qui est recherchée aussi comme une station de villégiature. L’ancien président Václav Havel y a en son temps passé un séjour de convalescence. Découvrir la station thermale est aussi l’occasion de sillonner la région qui, avec ses airs de Jura français, offre de nombreuses possibilités d'excursions dans la nature, souvent vierge.
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La région de Jeseník est également liée à un chapitre sombre de l’histoire tchèque, mais qui permet de replacer la naissance des protocoles de Priessnitz dans un contexte spécial : c’est en effet ici que se sont déroulés entre 1622 et 1684 les plus grands procès en sorcellerie du royaume de Bohême, en pleine Guerre de Trente ans et alors que l’Europe subissait ce que l’on nomme le petit âge glaciaire, aux conséquences directes sur l’agriculture.
Dans une région où les traditions populaires et les croyances dans les pouvoirs de guérison d’herboristes étaient encore très ancrées, plusieurs vagues de procès ont vu la condamnation au bûcher de nombreuses femmes – et même certains hommes qui leur étaient associés. On estime à plus de 500 le nombre de victimes de cette inquisition brutale qui a marqué trois générations d’habitants.