Élections européennes : en Tchéquie aussi, les populistes s’en sont bien sortis
Marquées par une participation certes record mais néanmoins toujours très faible (36%), les élections au Parlement européen en Tchéquie ont abouti à une nette victoire du mouvement ANO, avec 26,14 % des suffrages, devant la coalition de centre-droit SPOLU (Ensemble), qui réunit trois des cinq partis de la coalition gouvernementale dirigée par Petr Fiala. À un peu plus d’un an des élections législatives, ce résultat confirme que la formation populiste dirigée par l’ancien Premier ministre Andrej Babíš demeure la principale force politique dans le pays.
« Nous ne sommes ni ravis, ni déçus. » Dimanche soir, lors de la conférence de presse qui a suivi l’annonce des résultats, ce n’est qu’à demi-mots que le Premier ministre, Petr Fiala, par ailleurs pas très disert et peu souriant, a reconnu que ces élections européennes n’ont pas été une franche réussite pour SPOLU, une coalition composée du parti conservateur ODS, dont Petr Fiala est le leader, du parti de centre-droit libéral TOP 09 et du parti chrétien-démocrate (KDU-ČSL).
Avec un score de 22,26% et six mandats au prochain Parlement européen, cette alliance conservatrice, qui a vu le jour avant les dernières élections législatives en 2021 pour faire front commun contre un maintien au pouvoir d’Andrej Babiš, est arrivée en deuxième position, assez loin, donc, du mouvement ANO.
Membre de l’ODS et leader de la liste de SPOLU, Alexandr Vondra, qui siège déjà actuellement au Parlement européen (dans le groupe eurosceptique ECR), fait partie de ces six heureux élus. Si lui aussi espérait un meilleur résultat et même une victoire de la coalition de centre-droit, il se satisfait néanmoins de cette deuxième place, tout en affirmant ne pas être surpris par le virage très à droite pris par l’ensemble de l’Europe :
« C’est une réaction au fait que l’UE a exagéré sur des sujets tels que le traitement de l’immigration et le Green Deal, et c’est la réponse qu’elle a obtenue. Tout le monde s’attendait à ce que le Parlement européen penche très nettement à droite. Cela fait au moins un an qu’il en est question. Bien sûr, les bons résultats de certains partis ne me réjouissent absolument pas, comme par exemple celui de l’AfD en Allemagne. Flirter avec le sombre passé allemand est totalement inacceptable pour moi. Mais cela n’enlève rien au fait que ces résultats sont le reflet de la situation. Je pense qu’il va falloir que les partis politiques dominants réagissent à cette évolution en faisant preuve d’un plus grand degré de réalisme dans les différents projets politiques. Et je ne considère certainement pas cela comme la fin du monde. »
Avec sept représentants, le mouvement ANO occupera un tiers des sièges réservés aux députés tchèques au Parlement européen (21 au total). Mais au-delà du nouveau succès de la troupe d’Andrej Babiš, dont la critique du gouvernement a rythmé l’essentiel d’une campagne au cours de laquelle il a pour le reste été assez peu question d’Europe, ces élections européennes, les cinquièmes de l’histoire en Tchéquie, ont aussi été marquées par les très bons résultats de deux nouvelles coalitions figurant aux deux extrêmes de l’échiquier politique tchèque.
Les « Motoristes » et les communistes, deux partis contre l’UE, en bonne position
Grâce à un score de 10,26 %, la coalition appelée « Přísaha a Motoristé » (littéralement « Serment et Motoristes »), avec un programme reprenant de nombreux thèmes habituellement brassés par les partis populistes ou d’extrême droite, a non seulement obtenu deux mandats mais arrive aussi en troisième position.
« Super leader » de la liste de cette improbable coalition entre deux partis qui ont fait de la lutte contre la limitation de la souveraineté de la Tchéquie ou de la protection des frontières de l’UE deux de leurs priorités, l’ancien pilote automobile et homme d’affaires Filip Turek aura été une des principales figures de la campagne qui a précédé ce scrutin européen en Tchéquie.
Opposé notamment à l’interdiction de la production de véhicules équipés de moteurs thermiques, ce nouveau trublion sur la scène politique locale, qui dans une interview a déclaré collectionner des objets sur le thème du nazisme, estime que c’est autre chose que son combat pour le maintien du modèle traditionnel de l’industrie automobile qui lui a valu les faveurs des électeurs :
« Il s’agit plutôt d’un symbole. Plus globalement, le Green Deal constitue le principal enjeu pour nous. Je pense là aux quotas d’émission, à leur commerce, aux investissements chinois, à la hausse des prix de l’énergie, à la vie plus chère et à la destruction d’une activité économique qui nous nourrit. Pour avoir travaillé dans l’industrie automobile pendant de nombreuses années, je pense savoir de quoi je parle. Mais le Green Deal n’est pas notre seule préoccupation. Il faut aussi arrêter de mentir sur la question de la migration et envisager les choses autrement que ce qui a été fait jusqu’à présent dans le cadre du Pacte migratoire. Notre ministre de l’Intérieur ne nous dit pas la vérité. Durant la campagne électorale, nous avons évoqué ces différents sujets de manière très claire et très franche. Nous ne proposons pas de solutions populistes comme le fait par exemple le (parti d’extrême droite) SPD ou (le parti libéral) STAN, mais faisons des propositions réalistes et je crois que c’est ce qui nous a permis d’obtenir ce résultat. »
En quatrième position, avec un score très légérement inférieur à 10 % et deux mandats, le Parti communiste, intégré au sein d’une coalition de gauche appelée « Stačilo » (« Ça suffit ! »), effectue, lui, un retour remarqué sur le devant de la scène. Un succès que les « Rouges » doivent d’abord à l’efficace campagne menée par leur leader Kateřina Konečná, partisane, entre autres, de l’ouverture de négociations avec la Russie de Vladimir Poutine pour mettre fin à la guerre en Ukraine.
Bien que quelque peu contrebalancées par le faible score de 5,73 % réalisé par la coalition d’extrême droite « SPD a Trikolora » (1 mandat), ces différentes réussites, tant des partis populistes que des « presque extrêmes », sont aussi synonymes d’échecs pour d’autres formations, et notamment le Parti pirate, qui a dû se contenter de 6,20 % des suffrages et ne sera désormais plus représenté que par un seul de ses membres au Parlement européen. Il s’agira de Markéta Gregorová, qui siège déjà actuellement à Strasbourg et a exprimé sa profonde déception dimanche soir :
« Je pense que les résultat des partis libéraux pro-européens dans toute l’Europe, et pas seulement en Tchéquie, démontrent qu’il existe actuellement une demande en Europe pour une orientation plus conservatrice. C’est peut-être parce que l’avenir inquiète les électeurs, parce que nous avons une guerre à nos frontières, et pour d’autres raisons similaires. Cependant, je ne pense pas que cela vaille seulement pour le Parti pirate tchèque, c’est un phénomème dont nous sommes désormais les témoins dans toute l’Europe. Et nous tous qui sommes les partisans d’une politique pro-européenne et libérale allons certainement devoir y réfléchir et en tirer les conséquences. »
Parmi eux figurent aussi les libéraux de STAN (Maires et personnalités pour l'Europe), un des cinq partis de la coalition gouvernementale avec les Pirates, qui avec un score de 8,70 % (2 mandats), auront eux aussi leur (petit) mot à dire au Parlement européen.
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