Les routes de la liberté
Le 31 août prochain verra Gdansk et la plupart des autres villes de Pologne célébrer le 25e anniversaire de Solidarnosc. Tout commence à l'été 1980. Une augmentation des prix déclenche une révolte généralisée. Partie d'une usine de tracteurs de Varsovie, une vague de révolte s'étend à d'autres villes et aboutit à la grève des chantiers navals de Gdansk. Le mouvement aura marqué par son ampleur mais quelle influence a-t-il eu sur l'opposition tchécoslovaque dans les années 1980 ?
A Gdansk, on peut voir, ces derniers mois, d'immenses affiches pour l'exposition "Les Routes de la Liberté" portant ce slogan : "C'est ici que tout à commencé". S'ensuivent les noms des autres pays du bloc de l'Est avec la date de la chute de leur régime. Solidarnosc aurait donc été l'impulseur de la chute du communisme en Europe de l'Est.
Ce n'est pas aussi simple bien sûr. Car des années 1950 aux années 1980, on assiste, dans les pays du bloc soviétique, à des cycles réguliers de résistance au régime. Les influences sont réciproques. Ainsi, l'année 1956 voit la Pologne et surtout la Hongrie s'enflammer. Cette dernière sort même du Pacte de Varsovie. Pendant ce temps, en Tchécoslovaquie - et ce même après la dénonciation du culte de la personnalité lors du XXe Congrès du PCUS - on en est encore au stalinisme pur et dur : l'équipe en place veut y rester et opte pour la stagnation politique. Construite en 1955 et debout jusqu'en 1962, l'immense statue de Staline sur la colline de Letna à Prague est totalement anachronique, le dictateur est mort depuis 1953 !
En 1968, c'est la Tchécoslovaquie qui explose et l'on peut voir un peuple uni dans la résistance aux chars soviétiques. Le Printemps de Prague exercera d'ailleurs une grande influence sur les étudiants polonais, qui, à Varsovie, se soulèvent après l'interdiction de la pièce de théâtre de Mickiewicz, "Les Aïeux". Mais ce qui frappe en Pologne, à partir de 1980 et de la création de Solidarnosc, c'est l'ampleur que prend le mouvement.
Différence fondamentale entre les deux personnages emblématiques de la dissidence en Pologne et en Tchécoslovaquie : les dérives verbales antisémites de Walesa et de certains membres de Solidarnosc, déplorables et totalement absentes du discours de Havel.
Point commun : le pragmatisme. Chez les deux hommes, il y a une conscience aiguë de l'inutilité de la révolte ouverte sur le long terme, qui ne peut appeler que la répression armée du pouvoir. Au contraire, on utilise le moindre recours légal aux droits de l'homme, comme une clause des accords d'Helsinki signés en 1975 entre les USA et l'URSS. On essaye aussi, quand cela est possible, de discuter avec les autorités.
La spécificité de Solidarnosc est bien dans l'ampleur du phénomène. Et l'Eglise n'y est pas pour rien. La visite du pape en 1978 a eu un rôle moteur indéniable dans un pays resté profondément catholique. Depuis le décès de Jean-Paul II, le 2 avril dernier, l'entrée des chantiers navals de Gdansk est ornée d'un portrait du pape.
Les origines du premier syndicat libre à l'Est remontent à l'année 1976. Suite à une augmentation brutale du prix des denrées alimentaires, des ouvriers se révoltent et fondent le KOR, le Comité de Défense des ouvriers. C'est le premier pas vers une union à l'échelle nationale dans l'opposition au régime. L'Eglise polonaise s'est rendu compte que le réformateur Gierek comptait restreindre les libertés religieuses et elle décide de soutenir le mouvement ouvrier. Tout en canalisant le mécontentement grandissant de la population, elle s'engage dans la dissidence. A l'été 1980, celle-ci a pris une ampleur considérable : 100 000 ouvriers occupent leurs usines, à l'ombre de drapeaux polonais et de portraits géants de Jean-Paul II.
En Tchécoslovaquie, le mouvement d'opposition n'a pas connu une telle ampleur. Après la normalisation, l'Etat muselle, plus étroitement qu'en Pologne, toute velléité de dissidence. Parallèlement, il tente, à travers une politique de consommation, d'endormir la population. En 1980, La Charte 77 ne recueille que 1065 signatures. Parmi celles-ci, on compte 40 % d'ouvriers et 12 % de techniciens, le reste étant composé d'intellectuels. Face à des conditions défavorables, la dissidence reste isolée.
Par tradition, l'Eglise ne représente pas, en Bohême du moins, un pôle aussi fédérateur qu'en Pologne. Après la répression du Printemps, l'Eglise tchécoslovaque bénéficie d'une certaine clémence de la part des autorités. Mais le mouvement "Pacem in terris", fondé en 1971, est en fait une résurgence du "Mouvement de la Paix" des années 1950. Télécommandés par le Parti, ses membres sont chargés de paralyser de l'intérieur les activités de l'Eglise. "Pacem in terris" contrôle la seule publication ecclésiastique, l'hebdomadaire Katolické Noviny (les Nouvelles catholiques). Non renouvelé depuis 1948, le clergé est de toute façon en piteux état en Tchécoslovaquie. En 1972, le pays ne compte que 3 évêques sur 13 diocèses.
L'élection de Jean-Paul II à la tête du Pontificat change la donne. En 1981, l'archevêque de Prague, Monseigneur Tomasek, fait condamner par le pape l'association "Pacem in terris". Après 1985, on verra se former des pèlerinages spontanés rassemblant, en Moravie, de 100 000 à 150 000 personnes. Le phénomène est plus symbolique que politique mais les chiffres rappellent l'été 1980 de Gdansk ! Et si Jean-Paul II avait fait autant que Walesa et Havel dans la chute des régimes communistes en Europe ?