« Les sept églises » : Quand l’histoire règle ses comptes avec le présent

Miloš Urban, photo: Smolik M., www.milos-urban.cz

« Le thriller néo-gothique » : c’est ainsi que la critique a qualifié le roman « Sedmikostelí – Les sept églises », de Miloš Urban. Ce livre où l’histoire côtoie la fantaisie et qui marie le roman gothique au genre policier a été traduit en plusieurs langues. Récemment il est sorti aussi en France.

Miloš Urban
Ce sont les fantômes qui semblent jouer un rôle important dans la création littéraire de Miloš Urban, auteur de plusieurs ouvrages qui peuvent être presque tous qualifiés de romans noirs. L’auteur lui-même s’interroge sur les origines de ses lugubres inspirations :

« D’où viennent les fantômes ? Je crois qu’ils viennent justement du subconscient. Ce sont des peurs enfantines qui ne nous quittent pas même lorsque nous sommes adultes. Au cours de ces années que j’ai consacrées à l’écriture, j’ai trouvé une excellente façon de me débarrasser de ces peurs d’enfant. Quand on écrit sur ses peurs, on arrive tout de suite à vivre plus facilement avec elles. On peut donc dire que l’écriture est une psychothérapie mais évidemment il y a beaucoup plus de raisons d’écrire. »

Né en 1967 à Sokolov, en Bohême du Nord, Miloš Urban passe sa jeunesse à Karlovy Vary. C’est cependant la ville de Doksy qu’il considère comme sa véritable patrie. Il étudie à la faculté des lettres de l’Université Charles de Prague, puis fait un stage d’un an à l’Université d’Oxford. L’influence de la littérature anglaise se fait d’ailleurs sentir dans sa création littéraire.

Le premier ouvrage de Miloš Urban, intitulé « Le point final aux manuscrits », paraît en 1998. Le livre, qui se présente comme une nouvelle littérature factuelle, exploite l’affaire des plus anciens manuscrits tchèques prétendument redécouverts au XIXe siècle, mais qui étaient en réalité des faux.

En 1999, Miloš Urban publie « Les sept églises » avec le sous-titre « Roman gothique de Prague », ouvrage inclassable qui situe une intrigue policière contemporaine dans la Nouvelle Ville, quartier pragois fondé au XIVe siècle par l’empereur Charles IV. Peu à peu, le lecteur se rend compte que ce quartier n’est pas que le simple décor d’une intrigue policière, mais que ses vieilles maisons et notamment ses églises sont des éléments essentiels de l’histoire. C’est sur cette scène que l’auteur fait évoluer le héros de son roman, Květoslav Švach, un jeune historien raté et reconverti en policier, un homme qui n’ose même pas dire son nom.

Photo: Éd. Au diable vauvert
« L’histoire de mes malheurs a commencé le jour où j’ai reçu mon nom ou même quand je suis né », dit ce policier auxiliaire. Cet homme extrêmement complexé est traqué par le sort et autour de lui se multiplient les meurtres les plus cruels et les plus incompréhensibles. Ce n’est que vers la fin du livre que Květoslav se rend compte qu’il se trouve au cœur d’un horrible complot et qu’il assiste à une révolution silencieuse et sournoise. Il commence finalement à réaliser que, sous ses yeux, l’histoire rejoint le présent et que de cette rencontre meurtrière naîtra quelque chose d’inattendu. L’atmosphère oppressante de ce roman situé à la fin du XXe siècle rappelle la littérature décadente et symboliste de la fin du XIXe. Miloš Urban est-il donc un décadent ? Il ne cache pas ses sympathies pour les auteurs de ce genre :

« Si je me voyais dans cette compagnie sympathique, ce serait probablement parce que j’aime le passé et aussi peut-être parce que j’ai peur. Je crains, comme les décadents, que quelque chose ne soit en train de finir et je crains encore plus que quelque chose n’arrive, quelque chose que je n’aimerais pas du tout. »


Roman d’horreur, roman gothique, roman policier, roman érotique, traité d’histoire, guide touristique, manuel d’architecture, science-fiction, humour noir – tous ces genres coexistent dans le livre de Miloš Urban et se fondent dans un mélange original. Cette curieuse alchimie doit beaucoup sans doute à Horace Walpole, auteur du roman gothique « Le Château d’Otrante », aux visions oniriques d’Alan Edgar Poe, à Gustav Meyrink, aux auteurs décadents tchèques Jiří Karásek et Julius Zeyer, mais aussi aux auteurs de best-sellers récents dont Umberto Eco. Et le lecteur sent intensivement que l’auteur a subi encore une autre influence importante. C’est l’ombre omniprésente de Franz Kafka qui plane sur ce livre plein d’angoisse, de mystère et d’absurdité. Mais Miloš Urban exploite adroitement aussi l’élément policier car il ne renonce pas à l’ambition d’amuser son lecteur et de le tenir en haleine :

« On a commencé à écrire les romans dans l’histoire pour amuser les gens. Et s’il y avait une valeur ajoutée, une conception personnelle de l’auteur, une vision originale du monde et de la société, même satirique, ce n’était toujours qu’un plus. »

C’est autour du rapport ambigu entre Květoslav Švach et Matyáš Gmünd, chevalier de Lübeck, que se noue l’intrigue de ce livre. Le jeune policier devient assistant de Gmünd, homme influent, énigmatique et passionné de l’architecture médiévale de Prague. Il l’aide d’abord à répertorier les monuments gothiques de la ville avant de commencer à soupçonner que les intentions véritables de Gmünd sont infiniment plus ambitieuses. A ce moment-là, cependant, il est déjà pris dans l’engrenage des événements auxquels il n’arrivera plus à échapper. Deux femmes représentent l’élément érotique dans ce récit – Roseta, jeune policière, elle aussi assistante de Gmünd, et Lucie, jeune mère mariée à un vieux professeur d’histoire. Tiraillé entre ces deux femmes, Květoslav n’en finit pas d’essuyer des échecs amoureux.

L’érotisme compliqué et complexé de Květoslav Švach n’est cependant qu’une des innombrables facettes de ce roman qui sert à son auteur aussi pour présenter toute une série d’idées critiques et provocatrices sur la société actuelle, sur l’art et l’architecture, sur notre rapport au passé et sur les dangers et les punitions qui guettent la civilisation humaine se dirigeant allègrement vers de nouvelles apocalypses. Mais laissons au livre ses mystères pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui choisiront de le lire.

Miloš Urban,  photo: Smolik M.,  www.milos-urban.cz
Aujourd’hui la liste des œuvres de Miloš Urban comprend six romans noirs. Il a déjà cherché à changer de registre. Sans succès. Tout ce qu’il écrit vire toujours au noir, seule sa méthode de travail évolue :

« Comment dire ? Tout d’abord j’écrivais avec facilité. Mais ces dernières années ça devient moins facile. Je n’ai plus ces jaillissements d’idées subites lorsque le roman vous tombe soudain sur la tête comme une pierre et vous ne savez pas que faire avec. Vous avez l’impression que c’est une idée fantastique mais vous craignez de ne pas savoir comment en faire une œuvre littéraire. Ces dernières années, c’est un peu différent. Les idées sont un peu plus lentes à venir et, parfois, ce que je veux dire ne devient évident que tout-à-fait à la fin du travail sur le livre. Il est vrai que c’est un peu plus amusant pour moi. Disons que ce n’est plus de la routine. »

( Le roman « Les sept églises » de Miloš Urban, traduit en français par Barbora Faure, est sorti aux éditions Au Diable Vauvert.)