Les Tchèques aussi vivent au rythme de la Coupe du monde de rugby
Bien que le rugby ne soit pas, loin s’en faut, le sport national en République tchèque, la Télévision publique tchèque diffuse, en clair et essentiellement en direct, trente matchs de la Coupe du monde sur sa chaîne sportive. En 2007 et 2011 déjà, les deux premiers Mondiaux dont des matchs avaient été retransmis par Česká televize avaient été un succès auprès du public. En 2011, alors que la rencontre était disputée un dimanche matin, la finale entre la Nouvelle-Zélande et la France avait ainsi rassemblé plus de 200 000 téléspectateurs devant leur petit écran, un chiffre très honorable à l’échelle d’un pays de 10 millions d’habitants*. Ancien international passé par la France durant sa carrière de joueur et actuel directeur technique de la Fédération tchèque de rugby (ČRU), Antonín Brabec a évoqué pour Radio Prague cet intérêt grandissant de ses compatriotes pour le rugby :
-Cet intérêt des Tchèques et des médias vous surprend-il ?
« Non, je ne suis pas surpris, parce que le rugby, du moins ailleurs dans le monde, est un grand sport et la Coupe du monde une grande manifestation, comme le sont la Coupe du monde de football et les Jeux olympiques. Cela, les médias tchèques le savent. Le problème est plutôt que nous avons besoin que le rugby tchèque passe aussi à la télé… On verra si celle-ci restera intéressée une fois la Coupe du monde finie. »
-Qu’est-ce qui, selon vous, plaît aux téléspectateurs tchèques ? Malgré tout, le grand public n’est pas très connaisseur et les règles du rugby sont relativement compliquées notamment pour un néophyte.
« Par exemple nous avons préparé en coopération avec la télévision des petites vidéos qui expliquent simplement les règles et les principes de base du jeu. Ces vidéos sont diffusées à la mi-temps des matchs (intitulées ‘Poznáváme ragby’ – littéralement ‘Nous découvrons (ou faisons la connaissance) le (du) rugby', ces vidéos sont présentées par Antonín Brabec, ndlr. Cf. pour exemple celle sur la phase de jeu dite du ‘ruck’ : http://www.ceskatelevize.cz/sport/ms-v-ragby/momenty-sestrihy-reportaze-rozhovory/321831-poznavame-ragby-ruck/?page=2). Les équipes de commentateurs en studio sont aussi composées de journalistes de la Télévision tchèque qui ne sont pas des spécialistes de rugby mais sont accompagnés et aidés par des experts, un ancien joueur ou un arbitre. Et je pense que cela convient bien à tout le monde, à nous comme aux téléspectateurs. »
-On avait ressenti cet intérêt pour le rugby déjà lors deux dernières coupes du monde. Pour vous, à la ČRU, quelles en avaient été les retombées concrètes après la compétition ?
« Après chaque coupe du monde nous avons eu plus de licenciés. Il y a les enfants qui ont envie d’essayer et les parents qui ont envie de mettre leurs gamins au rugby. Mais il y a aussi des adultes, et il ne faut pas oublier les filles, car il y en a pas mal aussi. Donc, oui, cela fait du monde, et nous nous attendons à une nouvelle augmentation du nombre de licenciés après cette Coupe du monde. »-Quel est actuellement le nombre de licenciés et de pratiquants, et le nombre de clubs qui existent en République tchèque ?
« Nous avons à peu près 4 000 licenciés et vingt-six clubs, plus trois autres qui attendent de rejoindre la ČRU. Cela progresse d’année en année. »
-Les nouveaux licenciés et les jeunes, c’est très bien, mais les clubs disposent-ils des infrastructures et des moyens humains, des éducateurs surtout, pour former, encadrer ces enfants et leur donner envie de continuer à jouer au rugby ? En voir à la télé, c’est une chose, mais le rugby est un sport dur et physique, ce qui ne plaît pas forcément à tout le monde, et puis il y a un certain nombre de choses techniques qu’il faut apprendre à maîtriser…
« Nous avons à la ČRU un programme de formation des entraîneurs. Chaque club est tenu de suivre ce programme en sachant que la formation est gratuite pour les nouveaux entraîneurs. Elle est prise en charge par la fédération. Ceci dit, certains clubs souffrent d’un déficit d’entraîneurs et il faut qu’ils en trouvent pour les nouveaux licenciés. Mais d’autres clubs sont prêts pour accueillir tout le monde. »
-Depuis sa professionnalisation en 1995, le rugby a beaucoup évolué. Même si cela a toujours été un sport de combat, celui-ci est devenu de plus en plus exigeant dans la préparation physique avec une multiplication des plaquages et des affrontements de plus en plus virulents. On voit aujourd’hui l’équipe de France jouer avec un centre, Mathieu Bastareaud, de 125 kilos, des joueurs avec une musculature extrêmement développée, ce qui laisse d’ailleurs planer le soupçon du dopage, et puis des blessures de plus en plus nombreuses et souvent graves. Du coup, on se dit que si une maman tchèque voit ces images à la télé, elle n’aura pas forcément envie d’inscrire son enfant dans une école de rugby…
« Oui, le rugby est devenu comme cela au haut niveau avec effectivement beaucoup de contacts. Mais c’est aussi un sport de combat et il faut être prêt à cela. Les blessures font partie du jeu, même si, c’est sûr, les images de joueurs sortant du terrain sur une civière ne sont pas ce que l’on fait de mieux à la télé. Mais il y a aussi, je pense, beaucoup d’autres choses positives qui donnent envie aux garçons et aux filles de se mettre au rugby. »
-Est-ce donc ce que vous expliquez aux parents : que le rugby est un sport pour tous les types de gabarit ?
« Oui, le rugby n’est pas un sport professionnel en République tchèque. C’est pourquoi il faut parler avec les parents pour leur expliquer que le rugby est un sport de combat et qu’il y a par conséquent un risque de blessures. En même temps, nous nous efforçons de faire pratiquer un jeu avec moins de contacts. Nous voulons faire évoluer le style qui est prôné par beaucoup d’entraîneurs en République tchèque. Dans les formations que nous leur proposons, nous travaillons le jeu dans les espaces justement pour éviter les contacts dans la mesure du possible. Après, encore une fois, en rugby, il y aura toujours un affrontement. C’est la nature du jeu. Il faut trouver un juste milieu. »-Sur quels aspects mettez-vous l’accent à la ČRU pour faire la promotion du rugby ?
« Ce n’est pas évident de faire la promotion avec le modeste budget dont nous disposons. Malgré tout, nous avons quand même beaucoup investi dans la télé. Nous avons acheté nous-mêmes les droits de retransmission de certains matchs. Nous avons aussi un magazine régulier dont nous finançons la diffusion. Nous avons participé également pour que la Coupe du monde soit présentée à la télévision. Le plus important est qu’il y ait du rugby à la télé. Après, nous mettons des affiches dans les écoles et les universités, et puis les clubs sont là aussi… »
-Ce samedi, alors que se disputera la première demi-finale de la Coupe du monde, l’équipe nationale tchèque recevra la Suisse pour un match comptant pour le championnat européen des nations en Division 2A, l’équivalent de la quatrième division européenne, avant de se déplacer à Malte en novembre. Comment expliquez-vous cette dégringolade du rugby tchèque ces dernières années, alors qu’auparavant vous affrontiez en division 1A, donc juste en-dessous du Tournoi des Six nations, des équipes comme la Roumanie et la Géorgie qui participent régulièrement à la Coupe du monde et qui ont d’ailleurs fait plutôt bonne figure cette année ? Désormais, vous jouez contre la Croatie, Malte ou la Suisse. C’est quand même triste…
« Oui, c’est triste. Nous nous débrouillions mieux avant. Je pense que c’est un problème de générations. Nous jouions effectivement contre la Géorgie et la Roumanie et avons battu des équipes comme la Russie ou l’Espagne (cf. nos reportages de l’époque : http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/magazine-le-rugby-en-tchequie et http://www.radio.cz/fr/rubrique/sport/le-rugby-tcheque-reve-dune-coupe-du-monde). Nous avions une bonne génération avec des joueurs qui évoluaient dans des clubs en France et en Angleterre, certains dans le Top 14, en Pro D2 ou en Fédérale 1. Mais depuis que cette génération a arrêté, nous sommes descendus d’un niveau pratiquement à chaque fois. Il faut donc travailler avec les jeunes qui sont arrivés après nous pour former noN pas des professionnels mais des joueurs capables d’évoluer plus haut qu’en deuxième division en Europe. »
« La deuxième chose est que nous avons beaucoup de joueurs qui sont dans des clubs à l’étranger et ne venaient pas en équipe nationale. Mais depuis la saison dernière, nous avons un nouvel entraîneur, Thomasz Putra. C’est un Polonais, il vit en France, où il a joué, et il a beaucoup parlé avec les joueurs à l’étranger. Depuis, tous ceux qui avant ne venaient pas en équipe nationale sont revenus (neuf joueurs évoluant dans des clubs français depuis le Top 14 avec Lukáš Rapant à Oyonnax jusqu’en Fédérale 2 figurent dans le groupe de vingt-cinq joueurs convoqués pour le match contre la Suisse, ndlr). Du coup, nous sommes premiers de notre poule en Division 2A et entendons bien remonter en Division 1B avec des pays comme la Pologne, la Moldavie, l’Ukraine, la Belgique et les Pays-Bas. Et si nous travaillons bien, nous pouvons espérer retrouver la Division 1A, mais il faut être patient. Cela se fera sur le long terme, dans dix ou quinze ans, car nos moyens sont limités. »-La Fédération tchèque de rugby a une histoire presque centenaire, pourtant le rugby est toujours resté un sport mineur. Alors comment envisagez-vous l’avenir ?
« C’est vrai, on joue au rugby depuis longtemps. Mais le problème est que nous ne sommes pas un grand pays. Ici, vous trouvez tous les sports auxquels vous pouvez penser. Vous avez non seulement le football et le hockey sur glace, mais aussi tous les sports olympiques. Il faut se battre pour tout : pour les jeunes, pour les sponsors, etc. Ce n’est pas simple. Le rugby est plus une affaire familiale. C’est une passion qui se transmet de père en fils. Mon père a joué au rugby, moi-même j’y ai joué et mon fils joue aussi. Nous avons besoin de nous montrer, de progresser et de gagner, d’affronter des grandes équipes, mais sans argent, c’est impossible. Nous sommes des amateurs et je ne sais pas ce qu’il faudrait pour que cela change… »
*
A titre de comparaison, la finale de la dernière Coupe du monde de football en juillet 2014 avait intéressé 1,15 million de Tchèques, tandis que le quart de finale à Prague en mai dernier entre la République tchèque et la Finlande lors du Mondial de hockey sur glace, événement sportif de l’année pour les Tchèques, en avait attiré près de 2,5 millions.