« Dans le rugby tchèque, je n’ai encore jamais vu de bagarre comme en France »

Thomas Mendes

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la sélection féminine de rugby à 7 incarne aujourd’hui la dernière chance de voir au moins une équipe tchèque de sports collectifs participer aux Jeux olympiques à Paris l’été prochain. Pour savoir si les Lionnes tchèques parviennent à décrocher leur billet, il faudra attendre un dernier tournoi de qualification qui se tiendra en juin 2024. Mais le seul fait qu’elles aient obtenu le droit d’y prendre part témoigne des progrès effectués par le rugby féminin tchèque ces dernières années.

Informaticien dans un grand groupe brassicole, Thomas Mendes est français et vit à Prague depuis huit ans. De sa Picardie natale, il a emmené avec lui sa passion pour le rugby. Tout à la fois arbitre dans le championnat Élite tchèque et entraîneur de l’équipe féminine de Řičany, un des principaux clubs de rugby du pays, Thomas Mendes témoigne, au micro de RPI, de son expérience de l’intérieur du rugby tchèque et du rêve olympique de son équipe nationale féminine.    

« Je m’appelle Thomas Mendes, je suis éducateur des féminines ici, à Říčany, depuis maintenant presque trois ans. »

Qu’est-ce qui vous a amené à Říčany, qui est un peu la capitale du rugby tchèque, où du moins l’endroit où le cœur du rugby tchèque bat le plus fort ?

« C’est le fruit des rencontres. Je suis également arbitre depuis quelques années. Sur un match féminin, j’ai rencontré la responsable du rugby féminin tchèque, Hana Schlangerová. Elle m’a dit qu’ils n’avaient plus d’entraîneur pour les filles à Říčany et qu’ils cherchaient quelqu’un. Comme ce n’était pas très loin de chez moi et que j’avais déjà coaché une équipe féminine en France, à Saint-Quentin, j’ai manifesté mon intérêt. J’ai rencontré les dirigeants, cela a bien ‘matché’ et cela fait maintenant trois ans que je suis là. »

Dobré Říčany - Turnaj Ženského Rugby 19.3.2016

C’est donc d’abord en tant qu’arbitre que vous avez découvert le rugby tchèque. Décrivez-nous un peu, quand on est arbitre au niveau amateur, à quoi ressemble ce rugby tchèque ?

« Le mot ‘amateur’ est bien choisi. Au-delà de ça, la compétition élite chez les hommes est assez physique. Si je devais comparer à la France, je la rapprocherais du niveau de l’ancienne Fédérale 1 (aujourd’hui Nationale, soit le 3e échelon des compétions nationales). C’est très physique, les lacunes sont plutôt tactiques et techniques. Cela est sûrement dû à un manque de diversité au niveau du coaching et à une pénurie de moyens humains, au niveau des joueurs, notamment. Le renouvellement est moindre, car il y a moins d’habitants et aussi tout simplement parce que le rugby n’est pas le sport numéro un en Tchéquie. »

« C’est donc encore très amateur, mais aussi très chaleureux, comme pourrait l’être le rugby de clocher en France. En tant qu’arbitre, et c’est là une grande différence avec la France, depuis que je suis arrivé il y a huit ans, je n’ai encore jamais été confronté à la moindre bagarre. Des accrochages ou un mauvais geste de temps en temps, ça oui, mais ce n’est pas ce que j’ai pu connaître en France avec les bagarres générales, etc. Pourtant, les clubs se rencontrent assez souvent, il pourrait y avoir des animosités, mais non, ce n’est vraiment pas le cas, car ils se connaissent tous de l’équipe nationale ou depuis les équipes de jeunes. Il y a bien quelques gestes durs ou agressifs, mais des bagarres, je n’en ai jamais vues comme en France. »

Comment expliquez-vous cette différence ?

« Je pense que cela vient de la culture du pays. Je le vois bien dans ma belle-famille, où les gens sont plus réservés, davantage en retrait. Et puis je pense qu’il n’y a pas ce côté passion qu’il peut y avoir en France pour le rugby. Inversement, en termes d’engagement, je suis à peu près sûr que c’est l’inverse en hockey. Je suis originaire de Picardie, et je me souviens quand on affrontait avec mon club un autre club situé à vingt kilomètres de chez nous, c’était le match qu’il ne fallait absolument pas perdre, alors que l’on avait absolument rien contre eux à la base. Ici, il n’y a pas cette rivalité. Les Tchèques veulent gagner, bien évidemment, mais ils veulent ‘bien’ gagner, sans mauvais coup. »

Vous connaissez bien le rugby tchèque non seulement en tant qu’arbitre, mais aussi en qualité d’entraineur. Qu’est-ce qui fait donc la force de ce club de Říčany ? Pourquoi le rugby est-il si bien implanté dans cette petite ville de la banlieue de Prague ?

« Le rugby est très bien implanté dans les écoles, il y a eu un gros travail sur ce point-là. Par exemple, chaque année, une compétition regroupe toutes les écoles de la ville. Cela permet aux jeunes de découvrir ou d’essayer le rugby et, au fil du temps, ce sport s’est imposé comme un des principaux, que ce soit en termes de licenciés, de jeunes joueurs ou de palmarès. Il y a aussi du football ou du basket comme partout ailleurs, mais le rugby est vraiment le sport numéro un à Říčany. Les parents y ont joué, les enfants ont presque tous déjà essayé, et, du coup, c’est très familial. Tous les enfants portent le maillot du club, qui est fourni avec la licence, il y a vraiment une forte identité. Les infrastructures sont bonnes aussi, il y a deux terrains, ce qui est un luxe dans la région. C’est d’ailleurs même le seul club avec le Tatra Prague à posséder deux terrains pour le rugby. C’est un facteur important aussi pour attirer du monde. »

Personnellement, en tant que Français amateur de rugby, c’était important pour vous de retrouver cette culture rugby dans votre pays d’adoption ?

« Quand j’ai quitté la France, j’ai d’abord totalement arrêté le rugby. Mais au bout de six mois ici, j’ai rencontré le responsable des arbitres qui m’a proposé de replonger. C’était une bonne idée. C’est arrivé à un moment où je ne connaissais personne, à part ma future femme. Cela m’a permis de retrouver un univers familier. Même sans parler le tchèque, j’y avais des repères. Dans le rugby, on arrive toujours à se comprendre avec certains termes anglophones ou francophones. Cela m’a permis de faire des rencontres, de me faire des amis... Aujourd’hui, cela fait presque huit ans que j’arbitre, trois ans que j’entraîne les filles et c’est bien parti pour un nouveau cycle. »

N’est-ce pas trop handicapant de ne pas maîtriser la langue quand on est arbitre ? D’autant plus que le rugby est un sport où les arbitres échangent beaucoup avec les joueurs. Il y a aussi des rapports à remplir après les matchs...

« Sur le terrain, j’ai la chance d’arbitrer la Top ligue, tous les joueurs ou presque sont en équipe nationale et sont assez jeunes, ce qui signifie qu’ils parlent anglais ou du moins comprennent les termes essentiels. J’emploie tout de même quelques mots tchèques sur le terrain, je ne pourrais pas soutenir une discussion, mais pour l’arbitrage, cela suffit amplement. Les rapports sont en anglais, le responsable des arbitres parle très bien anglais aussi. Quelques autres arbitres sont étrangers, hongrois, autrichien, il y a donc une communauté à laquelle on peut s’accrocher en communiquant en anglais. »

« C’est un peu différent dans les catégories de jeunes, comme ceux qui s’entraînent aujourd’hui, les U14 (moins de quatorze ans). Ils commencent à peine l’anglais à l’école, donc je fais plus d’efforts, de dire les commandements en tchèque. Les joueurs rigolent un peu, à cause de l’accent, mais cela fait partie du truc et cela me fait plus sourire qu’autre chose. Globalement, ça se passe bien. »

U14 RCM ŘÍČANY VS RC TATRA 21.5.2023

Est-ce un avantage d’être français, de venir d’un pays traditionnel du rugby ? L’arbitre a besoin d’être respecté, les joueurs vous considèrent-ils donc différemment parce que vous êtes français ?

« Peut-être au début, les premières années, oui, il y a cette peur de l’inconnu, le fait que je sois français, et donc l’idée que je pourrais avoir un niveau d'expertise un peu plus poussé. Mais ce côté respect parce que je suis français s’est perdu avec l’habitude, c’est aussi une preuve de mon inégration réussie. »

Aux chiottes l’arbitre !, quoi…

« Peut-être pas, mais disons que je suis plus intégré en tant qu’arbitre tchèque. Je ne suis pas plus respecté qu’un autre arbitre. Cela m’a sûrement aidé au début. mais désormais, c’est à moi de faire le nécessaire pour être respecté. »

« L’objectif ? Que les filles tchèques participent au tournoi olympique de Los Angeles en 2028 »

Quid de votre travail auprès de l’équipe féminine ?

« Le groupe est assez hétéroclite, ça va de 17 à 44 ans avec entre 12 et 14 joueuses, ici à Říčany. Depuis un an, on travaille avec un club de Prague, Petrovice, qui a aussi 5 ou 6 joueuses, de manière à pouvoir former une équipe compétitive pour les tournois. La saison se divise en deux parties, la première au printemps avec quatre tournois, puis la seconde avec la coupe d’automne et quatre autres tournois. Comme pour toutes les filles, leur motivation est de faire un sport collectif. Parmi les joueuses, deux ou trois sont en équipe nationale et ont pour objectif de décrocher une place pour les Jeux olympiques, car elles peuvent toujours se qualifier. »

2022 - ragby ženy 7's

Précisons qu’on parle donc là de rugby à sept...

« D’ailleurs, ici, tout ce qui est rugby féminin, est à sept. On n’a pas l’effectif, ou du moins on n’a plus l’effectif, pour faire un championnat à quinze. Tous les tournois sont à sept. Il y a bien une équipe nationale à quinze, mais il n’y a pas de championnat, elles jouent uniquement des matchs amicaux. »

Pour ce qui est des JO, la qualification vous semble-t-elle être un objectif raisonnable ou davantage un rêve ? Pour l’année prochaine à Paris, aucune équipe tchèque n’est pour l’instant qualifiée...

« Grâce à leurs bons résultats, les féminines ont encore un tournoi qualificatif pour les Jeux. Elles y affronteront huit autres équipes européennes, dont certains cadors, cela risque donc d’être très compliqué, mais l’objectif, de toute façon, c’est Los Angeles 2028. Avec la jeune génération qui, depuis deux ans, obtient de bons résultats en championnat d’Europe, c’est possible. En élargissant un peu le nombre d’équipes aux JO, cela devrait être jouable, et on espère bien y parvenir, car ce serait une belle vitrine. D’ici-là, c’est vrai, les rugbywomen pourraient être la seule équipe tchèque d’un sport collectif à se qualifier pour les Jeux de Paris. On croise les doigts ! »

Comment présenteriez-vous l’ambiance autour d’un match de rugby à Říčany, par exemple quand on vient voir l’équipe première ?

« Comme un peu partout en tchéquie, c’est vraiment très chaleureux, très familial, généralement il y a du monde dans les tribunes et autour de la main courante. On pourrait retrouver ces ambiances en France, avec les enfants qui regardent leurs parents jouer, avec les femmes, ou inversement les maris quand les féminines jouent. C’est idéal pour découvrir un club de rugby tchèque avec un bon niveau et une bonne ambiance, et ça reste accessible depuis Prague, en voiture ou avec les transports en commun. »

Avec comme dans tout sport tchèque, l’inévitable bière dans une main et saucisse dans l’autre...

« C’est tout à fait ça : des grillades, de la bière, il y a toujours aussi quelques alcools tchèques en réserve. Bref, il y a tous les ingrédients qu’on aime dans le rugby : bière, ballon, saucisse, même si je n’en suis pas trop adepte, et kofola (limonade locale) pour la petite note tchèque. »