Lety: la mémoire ou la porcherie

La porcherie de Lety, photo: CTK
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Le Comité des droits de l’Homme de l’ONU a appelé ce jeudi la République Tchèque à fermer une porcherie située sur le site d'un ancien camp de concentration nazi destiné aux Roms. Sujet d’une polémique depuis la chute du communisme, cette exploitation porcine reste pourtant sur pieds, officiellement pour des raisons financières, malgré les protestations de la communauté rom qui dénonce l’irrespect des autorités tchèques face à la mémoire des victimes tsiganes de l’Holocauste. Plus qu’un simple problème d’argent, c’est la perception des Roms au sein de la société tchèque qui est au cœur du débat.

La porcherie de Lety,  photo: CTK
Située à Lety, au sud de la Bohême, une grande exploitation élève près de 13 000 porcs et représente l’un des poumons économiques de la région. Exactement au même emplacement, soixante-dix ans plus tôt, se trouvait un camp d’internement de Roms. 1308 Tsiganes ont été emprisonnés à cet endroit entre 1940 et 1943. 326 y ont trouvé la mort dont 241 enfants. D’autres ont été transférés vers les camps d’extermination, dont 500 à Auschwitz-Birkenau. Construite sous le régime communiste dans les années 70, la porcherie est passée entre des mains privées suite à la révolution de velours. Depuis plus de vingt ans maintenant, la question de sa destruction ou de son déplacement se pose mais rien n'a jusqu'alors été mis en œuvre.

Le motif principal reste celui du coût trop élevé d’une telle opération. En effet, elle pourrait représenter une enveloppe de plusieurs centaines de millions de couronnes, dont l’Etat affirme ne pas disposer. Une situation que reconnaît Monika Šimůnková, la commissaire chargée des droits de l’Homme au sein du gouvernement:

Monika Šimůnková,  photo: Jana Šustová,  ČRo
« Nous savons très bien que la volonté politique pour faire quelque chose concernant cet élevage de porcs n’a pas pu être approfondie principalement pour des raisons financières »

En République tchèque, les lieux qui ont été le plus touchés par les drames de la Seconde Guerre mondiale sont des endroits dont la mémoire tente d’être préservée du mieux possible et souvent avec succès, comme à Terezin ou à Lidice. Mais pas à Lety. Depuis 2010, un mémorial ainsi qu’une exposition permanente en souvenir des victimes existent pourtant, séparés de la porcherie par quelques arbres. L’an dernier, le mémorial a attiré plus de 12 000 visiteurs.

Le camp d’internement de Roms à Lety | Photo: public domain
Son but est notamment d’attirer l’attention du public face aux manifestations croissantes de l’intolérance de la société tchèque vis-à-vis de la minorité rom et de son histoire. Les récentes manifestations anti-Rom soulignent encore la discrimination subie par cette communauté dans l’ensemble du pays, notamment en Bohême du Sud. Pour l’historien Michal Pehr, c’est l’ignorance des faits historiques qui est à l’origine de la situation actuelle :

« L’holocauste des Roms est longtemps resté à l’arrière-plan. On n’a pas assez débattu de cela, on a peu écrit sur ce sujet. Il a fallu attendre les années 1990 pour commencer à en parler et reconnaître que les Rom ont été victimes de la persécution nazie sous le protectorat de Bohême-Moravie. »

Pour de nombreux militants, la majorité des politiciens tchèques redoutent de perdre leurs électeurs, s’ils prennent des décisions en faveur de la communauté rom alors même que le climat anti-tsigane se renforce dans le pays.

Le mémorial de Lety,  photo: Jana Šustová,  ČRo
Le Parlement européen a déjà demandé à plusieurs reprises aux autorités tchèques de faire disparaître la porcherie de cet endroit de recueillement. Un paradoxe quand on sait que des fonds européens ont permis aux propriétaires de la porcherie de financer un bassin de décantation.

Dans ce contexte, la demande du comité des Droits de l’Homme de l’ONU afin de mettre fin à la présence inopportune de cette porcherie a peu de chance d’être entendue, même si le comité a donné un délai d’un an aux autorités tchèques pour réagir et ainsi donner une preuve de respect envers la culture et l’histoire rom. Bien que la République tchèque adhère au pacte international relatif aux droits civils et politiques, celui-ci ne dispose pas en effet de mécanismes punitifs. Satisfait de l’initiative onusienne, le président du comité pour l’indemnisation de l’Holocauste rom, Čeněk Růžička ,est néanmoins conscient qu’elle n’aura certainement qu’une portée symbolique:

Čeněk Růžička | Photo: Jana Šustová,  ČRo
« Nous sommes convaincus que ce sujet n’a pas beaucoup d’importance dans le débat politique tchèque. Si cette initiative était appuyée par des sanctions, cela aurait un impact différent. »

Le camp de Lety n’était pas le seul camp d’internement des Roms sous le protectorat de Bohême-Moravie, un autre camp avait été construit en Moravie, à Hodonín. Il faisait office de centre de vacances jusqu’en 2009, avant de devenir un lieu de mémoire de l’Holocauste rom digne de ce nom.