L’Europe centrale sous le règne des rois Jagellons (1386-1572)
« Europa Jagellonica » – arts et culture en Europe centrale sous le règne des rois Jagellons (1386-1572) est le titre d’une exposition internationale conçue par trois parties : tchèque, polonaise et allemande. Plus de 300 objets artistiques et historiques précieux ont été empruntés dans 120 institutions d’Europe, dont la Bibliothèque nationale de France. Pour la toute première fois, l’exposition présente les Jagellons en tant que dynastie européenne devenue l’une des plus puissantes aux temps où d’autres grandes dynasties comme celles d’Anjou ou de Luxembourg disparaissaient. Le pouvoir des Jagellons, exercé sur un espace borné par trois mers, la Baltique, l’Adriatique et la Mer Noire, a duré près de deux siècles. « Europa Jagellonica » a commencé le 20 mai à Kutná Hora, la première ville qui l’accueille, avant Varsovie et Potsdam.
Le règne des rois Jagellons atteint son apogée autour de l’an 1500. Leur pouvoir est exercé sur un vaste territoire d’Europe centrale et orientale borné par trois mers : la Baltique, l’Adriatique et la Mer Noire. Sur ce même territoire se trouvent aujourd’hui des pays comme la Lituanie, la Biélorussie, l’Ukraine, la Pologne, la Bohême, la Slovaquie, la Hongrie, la Croatie, ainsi qu’une partie de la Roumanie et de la Bulgarie.
Sur le trône de Bohême entre 1471 et 1526, les rois Jagellons suivent l’exemple de la dynastie des Luxembourg et ils profitent largement des réserves d’argent de la ville minière de Kutná Hora, raconte Jiří Fajt :« Depuis au moins le XIe siècle, Kutná Hora est réputée pour l’extraction de l’argent. En 1300, la réforme du monnayage adoptée par les derniers princes Přemyslides y est proclamée. Tout au long du XIVe siècle, Kutná Hora constitue un véritable trésor du royaume de Bohême. Sans ses importantes réserves d’argent, on n’aurait pas pu édifier la Nouvelle-Ville de Prague. Charles IV n’aurait pas pu réaliser ses projets grandioses en matière de construction. Ceci se poursuit encore sous le règne des rois Jagellons, même si la richesse des mines d’argent locales commence à faiblir, à la fin du XVe, pour être remplacée par la découverte de nouveaux gisements d’or et d’argent dans les monts Métallifères. C’est ainsi que la gloire de Kutna Horá en tant que ville royale minière prend fin avec l’ère des rois Jagellons. »
L’avènement des rois Jagellons sur le trône de Bohême marque la consolidation de l’œuvre de stabilité entreprise par le roi Georges de Poděbrady, après des décennies de conflits hussites. Les Jagellons sont de grands mécènes des arts. Des phénomènes comme l’humanisme, la piété, le passage du gothique tardif vers le style Renaissance sont caractéristiques de l’Europe jagellonienne. Prague perd son privilège de capitale d’Europe centrale, et c’est Cracovie qui lui succède. La salle Vladislav au Château de Prague, conçu dans le style appelé en Bohême gothique jagellonien, est la réalisation la plus connue liée à cette dynastie. Vladislav II Jagellon est le roi aussi bien des catholiques que des calixtins, ainsi que le raconte Monika Sybolová, guide à l’exposition Europa Jagellonica :« Le problème se pose avec la religiosité et la place des protestants par rapport aux catholiques et vice versa. Ces derniers réfléchissent à comment faire venir les gens à l’Eglise : finie la période des belles représentations de la Madone, la beauté ne suffit plus, elle a été détruite avec Jan Hus. Pour agir sur les sentiments, on a même recours aux émotions négatives : à la fin du Moyen-âge, la douleur et la souffrance sont omniprésentes dans les œuvres d’art, cela se voit le plus dans les représentations de la Vierge de douleur. Beaucoup de légendes apparaissent à cette époque, ainsi que de saints patrons. C’est le cas du Martyre de sainte Catherine, une œuvre impressionnante de Lucas Cranach qui est présentée à l’exposition du fait aussi que Catherine est la patronne des érudits. Il y a aussi beaucoup de représentations de saint Venceslas et de saint Adalbert, patron commun des Tchèques et des Polonais. »
Le relief de saint Venceslas, avec son casque de chevalier et son étendard protecteur, figure sur un immense chandelier de 800 kilos qui fait partie du trésor de la chapelle Saint-Venceslas au château de Prague. C’est pour la première fois, depuis sa création en 1532, qu’il a été déplacé et prêté pour cette exposition. De très nombreuses commandes pour les Eglises sont typiques pour l’époque des Jagellons. On écoute Monika Sybolová :« Le diptyque reliquaire qu’on expose ici mérite toute notre admiration. C’est, en fait, une sorte d’autel sculpté composé de deux panneaux mobiles servant à prier lors des voyages. Créé au XIVe siècle, ce diptyque est une œuvre polonaise : le roi Vladislav II Jagellon l’a offert à la cathédrale de Gnezdno en tant que trophée de la bataille de Grunwald où il a écrasé les chevaliers teutoniques. »
Il y a aussi le portrait du second souverain jagellon sur le trône de Bohême, Louis II, et son épouse, Marie de Habsbourg. Le jeune roi meurt, à l’âge de 20 ans, et c’est ainsi que la couronne de Bohême échoit à Ferdinand de Habsbourg, grâce à son mariage avec la sœur de Louis, Anne de Jagellon. Louis II Jagellon trouve la mort face aux forces de l’Empire ottoman, le 29 août 1526 :
« Louis Jagellon meurt à la bataille de Mohacs dans des circonstances pas entièrement élucidées. Sa mort a pour conséquence la perte des couronnes de Bohême et de Hongrie au profit des Habsbourg. La menace ottomane n’est toutefois pas écartée. La situation se complique, avec la fin du règne des Jagellons : la richesse des mines d’argent est épuisée, la noblesse cherche à affermir son indépendance, des bourgeois appellent eux aussi à plus d’autonomie, sans oublier le problème religieux que les Jagellons affrontent avec beaucoup de conciliation, ayant eux-mêmes dans leurs rangs des protestants. Quant à la dynastie des Habsbourg qui monte en 1526 sur le trône de Bohême, sa politique en matière de liberté de religion sera tout autre. »
Plus de 300 objets de valeur artistique et historique exceptionnelle présentés à l’exposition documentent le règne de la dynastie des Jagellons en Europe centrale. Parmi eux, des manuscrits richement illuminés, des documents historiques précieux, des œuvres graphiques, des bijoux, des sculpturs et des tableaux de maîtres tels que Albrecht Dürer, Lucas Cranach déjà mentionné, ou encore le maître de Levoča. Après Varsovie qui la proposera entre octobre 2012 et janvier 2013, l’exposition « Europa Jagellonica » refermera ses portes en juin 2013 à Potsdam.