L'Europe face à ses "passés douloureux", exemples historiques et mécanismes de gestion: c'est sous ce titre que se tient, du 7 au 9 décembre, un colloque au siège pragois du CEFRES: le Centre français de recherche en sciences sociales. Le colloque est placé sous le patronage des ambassadeurs de France, d'Allemagne et de Pologne. Historiens, chercheurs, journalistes et diplomates prennent part à cette manifestation de prestige, dont Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères, venu présenter quelques réflexions sur la gouvernance européenne et la gestion des passés douloureux. Les traumatismes du passé et les manières de les surmonter pour accepter de vivre dans une Europe commune sont le thème de tous les exposés. Valérie Rosoux, de l'Université de Louvain, a consacré son exposé à la place de la mémoire historique dans la politique étrangère. Propos recueillis par Jaroslava Gissubelova:
"Mon objectif est de vous convaincre de l'importance de la mémoire dans les relations internationales. Au lendemain des conflits tels que ceux qui viennent de ravager les Balkans, ceux qui continuent de ravager l'Afrique des grands lacs ou le Proche-Orient, il ne suffit pas de se demander que s'est-il passé, il importe aussi de se demander que faire avec ce passé. Comment imaginer que d'anciens adversaires puissent un jour devenir partenaires. Quel regard poser sur le passé conflictuel afin de favoriser la normalisation des relations avec l'autre. Derrière ces questions, il y a une hypothèse, celle que la mémoire n'est pas seulement une contrainte pour les acteurs de politique étrangère, mais qu'elle est aussi un instrument. Que dire sur le poids du passé en politique étrangère? Il y a au moins trois types de situations où l'on sent le poids du passé. Certains événements sont à ce point marquants qu'ils vont participer à la mise en place d'un prisme, d'un filtre à travers lequel va être lu tout nouvel événement. Un des cas les plus douloureux mais aussi les plus frappants en la matière, que tout le monde connaître très bien ici, à Prague, les accords de Munich. Ces accords ont été à ce point marquants pas seulement à Prague, mais aussi à l'échelle internationale, qu'ils vont devenir une véritable clé de lecture. Les hommes politiques vont faire référence à ces accords pendant la guerre d'Indochine, pendant la crise de Suez, pendant la guerre d'Algérie, la guerre du Golfe, celle de l'ex-Yougoslavie, maintenant, aujourd'hui, au Proche-Orient. Comment expliquer le travail des mémoires? Seul le travail de mémoire qui est perçu comme avantageux par l'ensemble des parties en présence, ce qui n'est pas le cas au Proche-Orient, pour l'instant, a, peut-être la chance d'être mené à bien. Quelles que soient ses limites, il demeure la seule manière de dégager des compromis. La mémoire permet aussi de créer des liens entre les hommes."