L’explosion d’une usine d’engrais aux Etats-Unis fait découvrir aux Tchèques le « Texas tchèque »

Photo: CTK

La violente explosion survenue mercredi soir dans une usine d’engrais au Texas a soulevé une émotion toute particulière en République tchèque. Trois quarts des habitants de West, la commune où s’est produit l’accident, sont en effet des descendants d’immigrés tchèques. Pour manifester sa solidarité avec les victimes, le ministère des Affaires étrangères a d’ailleurs demandé à l’ambassadeur aux Etats-Unis de se rendre sur place.

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Quinze morts et environ 160 blessés : tel était le bilan officiel provisoire vendredi. Parmi ces victimes figurent donc de nombreuses personnes possédant des origines tchèques. Il s’agit essentiellement de civils, mais aussi de pompiers touchés lors de la deuxième des trois explosions alors qu’ils avaient commencé à intervenir sur les lieux.

A l’annonce de l’accident, la République tchèque a aussitôt manifesté sa volonté d’apporter son aide à la communauté de West, dont près de 75 % des 2 700 habitants ont des racines tchèques. Toutefois, l’aide en provenance de Prague ne devrait pas être d’ordre humanitaire, les premiers secours s’étant rapidement organisés. L’ambassadeur aux Etats-Unis Petr Gandalovič voit donc le rôle du gouvernement sous un autre angle :

Petr Gandalovič,  photo: Marián Vojtek,  ČRo
« Je pense qu’il ne s’agira pas d’une aide directe ou immédiate comme cela est généralement le cas, notamment lors des catastrophes naturelles. Néanmoins, c’est une localité véritablement tchèque et il est de notre devoir de manifester notre solidarité à ses habitants. La République tchèque devrait plutôt apporter une aide en amont, par exemple pour renouveler certaines installations ou soutenir matériellement certaines associations qui ont été frappées par l’explosion. »

« Ils mangent des koláče (gâteaux tchèques traditionnels), boivent de la plzeň et dansent la polka dans une salle de Sokol ». C’est un des titres qu’a choisis au lendemain de l’accident le quotidien Mladá fronta Dnes pour présenter ce que le journal Lidové noviny appelle, lui, le « Texas tchèque ». Rédactrice en chef de Český dialog (Le Dialogue tchèque), magazine consacré, comme son nom l’indique, au dialogue entre les Tchèques de République tchèque et les Tchèques de l’étranger, Eva Střížovská en dit plus sur cette place forte de la diaspora tchèque aux Etats-Unis :

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« D’abord, je pense qu’il est triste que nous apprenions ici en République tchèque l’existence d’une commune aussi intéressante à travers cet accident. C’est quand même une localité où la grande majorité des habitants ont des origines tchèques. Ce sont leurs ancêtres qui l’ont fondée il y a 150 ans de cela. »

Vers le milieu du XIXe siècle, des milliers de Tchèques ont émigré pour différentes raisons aux Etats-Unis. Beaucoup d’entre eux, pour la majorité des agriculteurs qui vivaient dans le sud de la Moravie, avaient entendu dire qu’il était possible d’acquérir des terres à relativement bon marché de l’autre côté de l’Atlantique :

Eva Střížovská,  photo: Barbora Kmentová
« Ce n’était pas seulement le Texas. La vague d’immigration a touché plus largement le centre et l’ouest des Etats-Unis. C’est une zone géographique fertile et propice à l’agriculture. C’est la raison principale pour laquelle les fermiers tchèques, et notamment moraves, s’y sont installés. »

Depuis, les descendants de ces agriculteurs n’ont pas oublié leurs origines puisque, selon certaines estimations, le tchèque, derrière l’anglais et l’espagnol, serait la troisième langue la plus répandue au Texas, Etat dans lequel vivraient jusqu’à un million de personnes possédant des aïeux de Bohême ou de Moravie. Aujourd’hui encore, le tchèque est enseigné dans les écoles et des messes y sont régulièrement célébrées dans cette langue. Eva Střížovská revient sur les débuts de ces aventuriers et de leur rêve américain :

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« Ils avaient besoin d’être ensemble pour pouvoir s’entraider. Ils arrivaient dans un pays qu’ils ne connaissaient pas, sur une terre dont ils ne savaient rien et qu’ils ne savaient pas comment exploiter. Tout était nouveau pour eux, il leur a fallu s’adapter à un environnement complètement étranger. Ils ont dû par exemple apprendre à vivre avec des animaux sauvages qu’ils n’avaient jamais vus de leur vie. Cela peut prêter à rire aujourd’hui, mais n’oubliez pas que tout cela remonte à plus d’un siècle et demi. L’entraide entre les familles était donc indispensable si elles voulaient survivre. Et cet esprit de solidarité, cette conscience de l’importance de la communauté sont encore très présents aujourd’hui. Dès que quelqu’un a un problème quelconque, les voisins sont là pour l’aider. »

Et comme le précise également la rédactrice en chef du Dialogue tchèque, cette conscience d’appartenir à une communauté bien précise existe toujours :

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« Ils disent : ‘Je suis fier d’être un Américain. Je suis fier d’être un Texan. Je suis fier d’être un Tchèque.’ C’est leur façon de voir les choses. Ce sont des patriotes tchèques mais éloignés. Les années ont fait leur effet, mais ils aiment venir en République tchèque et s’intéressent à ce qui s’y passe. »

Une caractéristique qui différencie quelque peu ces émigrés des premières heures de nombre de ceux qui plus tard, en 1948 et 1968 notamment, ont quitté la Tchécoslovaquie dans de tout autres circonstances.