L'histoire du 1er mai
L'histoire du 1er mai, fête du travail, dans notre pays, sera le thème de cette page d'histoire. Depuis 116 ans, le 1er mai est la fête du travail, en hommage à une grève d'ouvriers à Chicago, le 1e mai 1886, pour la journée de travail de 8 heures. Ils étaient 40 000 grévistes, en lutte depuis février. Lors d'un meeting, une bombe, acte de provocation, a éclaté. Huit militants syndicaux furent arrêtés, sept condamnés à mort. Les martyrs de Chicago sont entrés dans l'histoire.
Dans notre pays, l'histoire du 1er mai est pratiquement aussi longue - il a été pour la première fois fêté en 1890. L'histoire de cette fête a eu ses hauts et ses bas. Jusqu'à 1918, date de la fondation de la Tchécoslovaquie, le 1er mai a eu une forte empreinte patriotique, compte tenu de la situation du pays au sein de l'Autriche-Hongrie. Sous le socialisme pendant plus de 40 ans au pouvoir, le sens initial du 1er mai a été réduit à une cérémonie de glorification des avantages de ce régime. La participation obligatoire aux festivités a beaucoup marqué le rapport des gens envers le 1er mai. Depuis la chute du communisme, les défilés massifs n'ont plus lieu, à l'exception des rassemblements réguliers convoqués par les communistes. Des anarchistes et des skinheads sont deux autres forces qui ne laissent pas échapper une telle occasion. Mais arrêtons-nous plus en détail sur l'histoire de la fête du travail dans notre pays.
Le 14 juillet 1889, trois ans après la grève de Chicago pour la journée de travail de 8 heures, le premier congrès de la IIe Internationale se tient à Paris. Trois délégués tchèques sont présents: Josef Hybs, Vilem Körber, et Jiri Habrovsky. La réduction du temps de travail est à l'ordre du jour. Le congrès décide l'organisation d'une manifestation internationale à date fixe: de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à 8 heures la journée de travail. En hommage aux martyrs de Chicago, et compte tenu du fait que la Fédération américaine et canadienne du travail ont décidé, en décembre 1888, d'organiser une manifestation de ce genre, le 1er mai 1890, ce jour est décrété fête internationale.
Le 1er mai 1890, Paris, Londres, Vienne, Prague, tiennent les rues. L'atmosphère de ce jour-là à Prague est saisie par l'écrivain tchèque Jan Neruda dans son feuilleton qui s'appelle Le 1er mai 1890:
"De pas calme et de fer, les bataillons des ouvriers, immenses et majestueux, se forment le 1er mai 1890, en rang serré d'hommes marchant coude à coude, d'un pas uni, pour rejoindre nous autres, une fois pour toujours, dans la recherche des idéaux nobles de l'homme: tous ayant les mêmes droits, les mêmes soucis, les mêmes bonheurs. Leur avance était puissante, irrésistible, comme la marée de l'océan. Tous ceux qui étaient présents ont fini par comprendre ce que c'est la force élémentaire... Tu sens que la force est dominée par l'idée. Tout d'un coup, et comme par miracle, tu finis par comprendre ce 1er mai de cette année 1890, tu réalises que toute la situation sociale et politique a changé d'une seule secousse, et pas seulement pour aujourd'hui...."
C'était un témoignage de Jan Neruda sur le 1er mai 1890 à Prague. A noter que cette première manifestation a eu lieu à l'Ile des tireurs, où une plaque commémorative rappelle toujours l'événement. Mais on peut trouver à Prague encore un autre témoignage de cette journée-là: en se baladant dans les rues de la Nouvelle-Ville, on ne peut pas passer inaperçue une plaque située à la porte de la maison numéro 201, rue Pstrossova, à quelques pas du quai de Vltava. C'était là, dans cette maison appartenant à l'un des maires de Prague, Frantisek Pstross, que naissait le premier 1er mai en Bohême. C'est ici que siégeait le Club politique et ouvrier tchèque. Sur invitation de Vilem Körber, rédacteur du journal social-démocrate "Nouvelle ère de liberté" et délégué du congrès de l'Internationale à Paris, des centaines d'ouvriers s'y sont réunis, le 2 février 1890, pour se pencher sur les moyens d'obtenir la journée de travail de 8 heures et pour préparer le prochain 1er mai. Il a été décidé de convoquer des réunions publiques, pour présenter la proclamation sur le 1er mai et pour expliquer les revendications et les objectifs des ouvriers. Le Club, regroupant presque 4000 membres, a distribué quelques 40 000 tracts invitant à venir célébrer le 1er mai. Et le résultat? Le 1er mai 1890, 35 000 personnes sont venues à la première fête du travail dans Prague.
Parmi les premiers mai à venir, lesquels ont été les plus significatifs, du point de vue de l'histoire? Depuis 1898, un grand rôle dans les célébrations du 1er mai a été joué par les personnalités de la culture tchèque réunies autour de la première scène populaire au sens le plus profond du mot - le Théâtre national. Le 1er mai 1898, la direction du théâtre a décidé de laisser cette scène, édifiée grâce aux collectes de toute la nation, à la disposition des groupements socialistes pour qu'ils y célèbrent la fête du travail. Sur cette première scène, le 1er mai a toujours eu un aspect patriotique. C'était la défense de la langue et de la culture tchèque devant l'élément germanique, tant à la mode dans les milieux bourgeois tchèques à la charnière des 19e et 20e siècles. Des représentations données à cette occasion, telles que Jan Zizka - le fameux leader des hussites tchèques, témoignent de l'engagement du Théâtre national pour la conscience de la nation.
Dans l'histoire des premiers mai, on note ceux de 1918 et 1938: face au danger de la guerre, les manifestations d'unité et de solidarité étaient des plus puissantes. Le 1er mai 1938, année du 20e anniversaire de la République tchécoslovaque, les célébrations ne devaient pas avoir lieu, pour la première fois depuis 50 ans. Telle fut, au moins, l'intention du gouvernement, face à la situation politique. Les couches progressistes de la société ont cependant refusé cette première concession sur la voie de la capitulation. Les célébrations ont eu lieu sous le mot d'ordre de toute actualité à l'époque: "Nous ne livrons pas la clé des portes de Prague à l'ennemi fasciste".
Après la guerre, les premiers mai en Tchécoslovaquie se sont déroulés selon une mise en scène presque identique. Non pas une fête du travail et de l'expression syndicale, mais une glorification de la victoire du socialisme. L'une des choses les plus redoutées qui aurait pu perturber l'homogénéité des célébrations, c'était l'effort des étudiants tchécoslovaques de faire renaître la tradition séculaire des fêtes estudiantines du mois de mai, les dits Majales. La tradition a repris pour une très courte période après 1945. Ensuite, il n'en était rien jusqu'aux années 60, période de détente relative. Les étudiants ont manifesté leurs problèmes et leur critique de la société par des procédés typiques d'expression sur un ton léger, mais sur les choses sérieuses: happenings, canulars, marches allégoriques, élection du roi. Au fur est à mesure, cela commençait à être mal vu par les autorités. Les années 70 de la dite normalisation ont mis fin aux manifestations estudiantines. Leur tradition a repris le 1er mai 1990: un premier 1er mai de nouveau normal: pas de tribunes officielles, pas de discours, pas de défilés et de mots d'ordre absurdes.
Le 1er mai est jour férié en République tchèque, et il est, pour la plupart des Tchèques, un jour de repos. Ceux qui pourraient répondre par l'affirmative à la question de savoir, le 1er mai, ça te dit, sont en baisse constante. Les étudiants ont leur fête estudiantine, Majales, les communistes leur rassemblement à l'esplanade de Letna, les anarchistes leur rencontre à l'Ile des tireurs, les skinheads leurs marches dans les rues. Pour la plupart, le 1er mai reste le symbole du printemps et de l'amour, lié au plus grand poète romantique tchèque, Karel Hynek Macha, et à son poème "Le Mai". Une tradition qui ne tombe pas dans l'oubli veut qu'on se rende, le 1er mai, auprès de la statue du poète, sur la colline pragoise de Petrin, pour y déposer les lilas. Si le muguet est le symbole du 1er mai pour les Français, pour les Tchèques, c'est le lilas...