L'histoire du Palais des foires
Il y a 40 ans, un incendie a ravagé le Palais des foires (Veletržní palác) dans le 7e arrondissement de Prague, le condamnant à une démolition presque certaine, avant que le projet de reconversion en musée d'art moderne de la Galerie nationale ne le sauve, dans les années 1980. Les péripéties du bâtiment dans lequel l'Epopée slave a été pour la première fois présentée au public à l'occasion de son inauguration, en 1928, et qui a surpris Le Corbusier par ses dimensions impressionnantes, sont au coeur d'une exposition « L'Histoire du Palais des foires » ouverte dans ses locaux le 21 mars dernier. La commissaire Radomíra Sedláková est l'invité de Radio Prague dans ce magazine historique :
« La destinée du Palais des foires a été dramatique dès le début, dès qu'un concours pour la construction d'une cité des foires a été lancé. En effet, l'idée de départ était de créer tout un quartier des foires, pour faire de Prague un centre des foires en Europe centrale. Les projets présentés ont apporté des solutions architectoniques admirables, jusqu'alors inédites, aux qualités inespérées. Parmi eux, le jury a préféré le projet réalisé par Josef Fuchs et Oldřich Tyl. »
Dès le début, le palais attire l'attention sur lui. Il étonne par son style résolument moderne et par ses dimensions impressionnantes : un plan de 140 mètres sur 80, dix étages destinés à l'organisation d'expositions et accentués par des galeries s'élevant jusqu'au 7e étage, et un grand hall d'entrée. En 1928 quand il est inauguré, le palais en béton armé est un exemple de la première architecture officielle de style fonctionnaliste à Prague. Les premières réactions sont cependant contradictoires. Certains sont choqués par son austérité : une façade excentrique purement constructiviste, avec une rangée de fenêtres l'une à côté de l'autre.C'est l'équipe de Karel Skorkovský, un des meilleurs spécialistes de la statique, qui se voit confier les travaux de construction, en collaboration avec l'architecte de renom Stanislav Bechyně. Le palais est partiellement achevé dix ans après la fondation de l'Etat tchécoslovaque. Ainsi, en septembre 1928, trois de ses dix niveaux accueillent pour la première fois une foire. A cette occasion, l'Epopée slave du peintre Art Nouveau Alfons Mucha est présentée au public, en présence de l'auteur :
« L'Epopée slave de Mucha a été exposée dans les locaux du nouveau palais des Foires jusqu'à la fin de l'année 1928. Dommage qu'elle n'ait pas pu y rester plus longtemps. »Plus tard, le cycle de vingt panneaux monumentaux illustrant l'histoire des peuples slaves est transféré au château de Moravský Krumlov avant de retourner, en 2012, à nouveau au Palais des foires à Prague. Mais revenons à l'histoire du palais. Après son achèvement en 1928, des foires y sont organisées régulièrement au printemps et en automne. Pour le reste de l'année, le bâtiment reste inexploité. Radomíra Sedláková développe :
« Au fur et à mesure, les locaux sont loués par la Société des foires praguoises. Plusieurs sociétés ainsi que quelques rédactions s'y installent. Des expositions d'œuvres d'art y sont organisées, un cinéma pour 300 personnes est ouvert au sous-sol. Il n'empêche que le palais reste relativement peu visité, car une liaison directe fait défaut à l'époque entre Holešovice et le centre de Prague. »
En 1951, la Société des foires praguoises est dissoute et l'organisation des foires se déplace vers Brno. La société Kovo devient le nouveau propriétaire des locaux. Malgré le scepticisme de certains critiques, le bâtiment sert de centre d'exposition et de siège de sociétés de commerce extérieur jusque dans les années 1970. Des restaurants et des cafés se trouvent à chaque étage. Plusieurs magasins et boutiques y ouvrent dont Tuzex, une chaîne de magasins vendant des produits d'importations où il faut payer soit en devises étrangères, soit avec des coupons appelés « bons ».
Tout cela devient du passé quand, dans la nuit du 14 au 15 août 1974 un incendie dévastateur se déclare dans le palais. Des murs intérieurs, des colonnes, des escaliers sont totalement détruits par le feu. Du palais, il ne reste que la charpente. Dans cette situation, personne ne s'envisageait une reconstruction qui paraissait impossible, poursuit Radomíra Sedláková :
« Durant les mois suivants, l'endroit sinistré fait l'objet d'un vif débat. D'une part, une démolition est envisagée, mais le bâtiment est inscrit à l'inventaire des monuments historiques. De l'autre, les architectes de l'atelier Sial de Liberec, après avoir prospecté les lieux, considéraient qu'il était déplorable qu'un monument de cette envergure disparaisse. Des projets de reconstruction et de transformation sont soumis, dont certains assez bizarres, proposant d'y installer un hôpital, un collège universitaire, un grand magasin, une salle de mariage, un service de poste. Il est question aussi d'un musée du mouvement ouvrier révolutionnaire. »En étudiant les différents projets, les architectes de Liberec tombent du coup sur l'idée d’une reconversion muséale du grand hall. Comme la Galerie nationale dispose, à l'époque, d'un espace très restreint au 3e étage de la Bibliothèque municipale, son directeur d'alors se montre favorable à l'idée d'une reconstruction du palais pour y exposer des collections d'art moderne, ainsi que le rappelle Radomíra Sedláková :
« D'autant qu'il s'agissait d'une situation analogue à celle en France qui était en train de transformer l'édifice de la gare d'Orsay pour en faire un musée des arts du XIXe siècle. Tandis qu'en France, le projet aboutit en cinq ans, la reconstruction du Palais des foires praguois se montre plus compliquée et plus longue que prévu. Les travaux se prolongent bien au-delà de la date arrêtée de 1988. En 1993, on termine trois niveaux du palais. Depuis 1995, date de l'achèvement des travaux de reconstruction, le Palais des foires accueille les collections d'art moderne. »Les collections d'art contemporain abritent plus de 2000 œuvres d'art des XIX-XXe siècle, sur un espace de 13 000 mètres carrés. L'exposition consacrée à l'histoire du Palais des foires révèle certains détails encore inconnus concernant le concours pour la construction du palais et les difficultés financières rencontrées lors des travaux. L'histoire des foires se présente sur des photos cachées du public jusqu'ici au fond des archives de la ville de Prague et montrant par exemple la présentation du tout premier téléviseur, qui était considéré à l'époque par les producteurs des postes de radio comme un outil sans avenir.
Dans ces mêmes archives, on a retrouvé une photo inédite documentant la triste histoire de l'endroit pendant la Seconde Guerre mondiale où il servait de lieu de rassemblement des Juifs déportés. Outre les affiches de la Société des foires praguoises, les projets de construction et les maquettes du palais, Radomíra Sedláková nous montre une lettre adressée en 1928 à la maison d'édition tchèque Aventinum par l'architecte français Le Corbusier :« Le Corbusier enviait aux Praguois ce palais. Dans sa lettre publiée en 1928 par Aventinum, il a écrit que c'était un bâtiment grandiose, bien que pas encore une vraie architecture. Plus loin dans sa lettre, il regrette que Prague puisse se permettre la construction d'un palais aussi monumental alors qu'il doit se contenter de la réalisation d'unités d'habitation et de villas en France. Il espère cependant que le palais de Centrosoyuz, siège de l'union des coopératives de l'URSS qu'il était en train de construire à Moscou, sera plus grandiose encore que le Palais des foires à Prague. Il regrette aussi que son projet de siège de la Société des Nations sur les rives du lac à Genève n'ait pas été sélectionné en raison de ses grandes dimensions, alors que le Palais des foires à Prague prouve que même les grandes constructions peuvent être jolies. Le Corbusier a admiré le Palais des foires et nous avons déchiffré une certaine jalousie dans ses propos... » L'exposition intitulée « L'Histoire du Palais des foires » a dans son logo trois dates : 1928, date de son inauguration, 1974, année d'un immense incendie qui s'est déclaré en son sein, et 2014 où de nouveaux locaux ouvrent au public : un café design au rez-de-chaussée, en face de la librairie, et Korso, qui est le nom d'un nouveau lieu de rencontre et de communication ouvert dans le cadre de l'actuelle exposition qui est à voir au 6e étage du Palais des foires jusqu'au 27 juillet prochain.