L’histoire du T-Club, club gay mythique de Prague, racontée en photographies
Le T-Club, c’est le nom d’un des deux anciens clubs gays de la ville de Prague. Aujourd’hui disparu, ce lieu de rencontre où se retrouvaient lesbiennes, gays, trans, prostituées, drags queens et autres habitants de la nuit a été immortalisé par la photographe Libuše Jarcovjáková. A l’occasion de la neuvième édition du Prague Pride Festival, l’exposition est visible dès ce lundi au Café Langhans, à Prague. Colin Gruel a rencontré l’artiste.
Le T-Club ouvre ses portes à Prague dès les années 1960. S’y retrouvent alors les membres d’une même famille : celle de la nuit. Une famille que Libuše Jarcovjáková va commencer à fréquenter dans les années 1980…
« A cette époque, c’était l’un des clubs les plus connus pour les homosexuels, mais aussi pour les… gens de la nuit, disons. Des conducteurs de taxi, des prostituées… Des gens qui venaient pendant la nuit des endroits les plus sombres de Prague. Le T-Club était au cœur de Prague, à côté de la place Venceslas. Plus précisément dans l’une des petites rues du côté de la place Jungmann (Jungmannovo náměstí). Le club était caché dans une cave, au bout d’un long couloir avec des marches. Il y avait toujours des gens qui attendaient là en espérant pouvoir rentrer. Parce que ce n’était pas ouvert à tout le monde ! Il y avait des vigiles à l’entrée qui contrôlaient les visiteurs… Nous, les habitués, on avait pas besoin de faire la queue, on rentrait directement. Mais cela a pris beaucoup de temps avant que je sois considérée comme telle… »Au T-Club, on croise de tout. Des drags queens, des costumes burlesques, des hommes en petite chemise qui semblent à peine de sortir du travail, une famille complètement disparate réunie par un point commun : ils se retrouvent tous dans un endroit où ils peuvent vivre sans se cacher.
A l’époque, nous sommes donc au début des années 1980, sous la Tchécoslovaquie communiste. Officiellement, l’homosexualité n’est pas illégale, mais officieusement, la taire reste largement conseillé si l’on ne veut pas risquer une mise au ban. Dès lors le travail photographique de Libuše Jarcovjáková devient extrêmement sensible…« C’est la raison pour laquelle j’utilisais le flash : je ne voulais pas faire mes photos en cachette. Je n’avais pas toujours mon appareil avec moi. Je n’ai pas commencé à prendre des photos comme ça… J’ai attendu qu’on me demande. Et l’opportunité est arrivée quelques mois plus tard. Le T-Club avait une vie sociale dense, il y avait toujours une bonne raison de faire la fête, comme les anniversaires par exemple. Lors de ces fêtes, de ces jours spéciaux, les gens étaient apprêtés, il y avait des personnes trans déguisées… Et on m’a demandé d’immortaliser ces moments. C’est comme ça que ça a commencé. »
Pendant longtemps, Libuše Jarcovjáková garde ces photos pour elle, elle en donne aux personnes photographiées, elle en fait paraître quelques autres, sans faire y prêter trop attention. Et puis au bout de deux ans et demi de photos, elle arrête brutalement.
« Un jour, la police criminelle m’a demandé de montrer les photos que j’avais prises lors de la soirée précédente. Ils avaient sans doute de bonnes raisons : quelqu’un, qui aurait rencontré quelqu’un d’autre au T-Club, avait été retrouvé mort. Donc cela faisait partie de l’enquête, cela paraissait très logique, très légal, mais cela me posait un problème moral. Je ne voulais pas montrer mes négatifs à la police. Par chance, cette nuit-là, j’avais deux négatifs surexposés, et il était difficile d’y discerner quoi que ce soit, c’est ce que je leur ai donné. Je n’ai pas eu le moindre remords, mais après, j’ai décidé d’arrêter les photos. Parce que ce jour-là j’ai compris à quel point ces photos étaient sensibles. »Ces photos seront ensuite conservées discrètement, avant d’être publiées pour la première fois en 2008 sur Internet, et de devenir l’exposition T-Club (1983-1985). Une exposition à voir donc jusqu’à la fin du mois d’août dans la galerie du Café Langhans, c’est dans la rue Vodičkova, au cœur de Prague, à quelques pas, tiens donc, de l’ancien club gay…