Pourquoi les gays tchèques sont-ils chauds ?
Des chansons tchèques traduites en français, vous le pensez bien, il n’en existe pas des mille et des cents. Et pourtant, nous avons trouvé la version française, que vous venez d’entendre, de la chanson intitulée « Globální oteplování – Já jsem gay » - « Réchauffement global – Je suis gay », signée du groupe Nightwork. A l’occasion de la Prague Pride, qui se tiendra pour la quatrième fois dans la capitale tchèque la semaine prochaine, nous allons vous expliquer, entre autres, pourquoi le rapport est fait dans cette chanson entre le réchauffement climatique et le fait d’être gay… Mais pour ceux qui comprennent ne serait-ce qu’un peu le tchèque, voici d’abord la version originale de cette même chanson, qui existe également en anglais et en allemand (pas en russe) et qui, à l’échelle locale, a fait un carton lors de sa sortie en 2008…
Dans cette fameuse chanson « Globální oteplování – Já jsem gay » - « Réchauffement global – Je suis gay », les paroles du refrain sont « Já jsem gay, jsem gay, jsem teplej! Buď taky gay! ». Si l’on traduisait littéralement en français, cela nous donnerait « Je suis gay, suis gay, je suis chaud ! Sois gay toi-aussi ! » Pourquoi pas, mais là n’est pas la question. La question est plutôt de savoir ce que cela signifie « être chaud ». En français, cette expression peut prendre différents sens. On demande par exemple à quelqu’un de façon familière s’il est chaud pour faire quelque chose de concret, par exemple pour aller boire un verre. On cherche alors à savoir si l’ami est motivé par cette perspective, s’il en a envie. On peut « être chaud » également dans le sens de se mettre facilement en colère, d’avoir la tête chaude ou le sang chaud. On parlait de l’ami chaud pour aller boire un verre, et celui-ci sera d’autant plus chaud s’il s’agit d’un ami chaud, d’un ami qui est chaud en amitié. Il s’agit alors d’une amitié ardente, zélée, passionnée. Ceci dit, on peut être également un chaud partisan de quelque chose ou encore, autre exemple, être chaud sur une affaire, même chaud comme la braise ou, bien sûr, tout en n’étant frais comme un gardon, être chaud comme un lapin, ou plus précisément être un chaud lapin. On le voit, les possibilités sont nombreuses. Mais en français, on ne peut pas « être chaud » - « být teplý » dans le sens, assez particulier il faut bien le dire, qu’utilisent les Tchèques.
« On s'amuse tellement plus quand on est entre hommes - Tous les plaisirs de Vénus, moi, cela m'assomme - A priori, j'aime quand on rit avec des bons amis - Pourquoi n'aimes-tu pas les femmes ? Henri, Henri, Henri, c'est pas gentil. » Voilà ce que chantait, sur un ton incongru, Dranem en 1929. Le texte du chanteur et fantaisiste français est avant tout humoristique (humour toutefois scabreux qui aurait sans doute bien du mal à passer près d’un siècle plus tard), n’empêche, si l’on compare son contenu à celui de la chanson intitulée « Globální oteplování – Já jsem gay » du groupe tchèque Nightwork, on se rend compte que, sur le fond et sur certains points, les deux sont finalement assez semblables. En somme, « být teplý » - « être chaud », c’est être homosexuel, gay ou « homo » comme le veut l’usage familier et comme cela est traduit dans la version française de la chanson tchèque. D’abord, notons que le mot anglais « gay », qui tire, rappelons-le quand même, son origine du vieux français « gai » dans le sens que l’on connaît toujours de « joyeux », est bien présent aussi en tchèque. Ce terme est apparu dans la langue de Václav Klaus (ancien président qui avait vivement critiqué l’organisation de la Prague Pride il y a quelques années de cela) dans le courant des années 1990, après donc la révolution et le changement de régime, mais surtout comme un peu partout ailleurs dans le monde. Concernant l’orthographe de ce néologisme, comme souvent en tchèque, il y a bien entendu eu des tentatives pour faire valoir la transcription phonétique tchèque du mot, qui serait alors devenue « gej », comme en slovaque et en polonais, et comme cela fut le cas par exemple avec « víkend » pour « week-end ». Pour ce qui est du mot « teplý », synonyme donc de gay, son usage a d’abord constitué une forme d’insulte, une manière méprisante de désigner un homosexuel. Si l’on s’en tient aux quelques recherches que nous avons effectuées sur internet, ce terme provient de l’allemand « schwul » qui, lui aussi, est dépréciatif. A l'origine, la forme « swōl », « swūl » signifiait en vieil allemand « chaud », mais une chaleur étouffante, oppressante, comme avant un orage. Le terme a ensuite été repris en allemand sous cette forme « schwul », puis vers le XVIIIe siècle le terme a commencé à s'écrire et à se prononcer de même avec la présence d'un Umlaut pour devenir « schwül ». Aujourd'hui, « es ist heute schwül » signifie « il fait lourd aujourd'hui ». Mais la forme ancienne est restée, désignant, elle, un homosexuel, avec cette référence à la chaleur humide, oppressante.La connotation de « teplý » a cependant évolué depuis pour devenir plus positive. Si le mot d’argot « teplouš », qui en découle directement, est bien une insulte, comme bien d’autres encore, en revanche, le terme « teplý » est aujourd’hui couramment employé par les gays tchèques eux-mêmes, qui s’en servent donc entre eux pour se désigner. Et confirmation en est, encore une fois, avec son usage dans la chanson « Globální oteplování – Já jsem gay » où le chanteur, bien qu’il ne soit pas en réalité homosexuel, clame haut et fort qu’il est gay, oui gay, mais aussi « chaud » ou si vous préférez homo – « Já jsem gay, jsem gay, jsem teplej! ». Et on imagine mal qu’il aurait repris ce refrain à pleine voix si le mot« teplý »était resté une insulte.
Quant à la première partie du titre de la chanson « Globální oteplování », vous l’aurez compris, elle possède un double sens en faisant référence à la fois au réchauffement climatique de la planète, les mots « teplý » et « oteplování » appartenant à la même famille avec une racine identique, mais aussi à ce que l’on peut considérer comme une « homosexualisation globale » de la société…
C’est donc sur cette invitation du groupe Nightwork à « être chauds » nous aussi que se referme ce « Tchèque du bout de la langue ». Très prochainement, dans le cadre de la Prague Pride, nous évoquerons un guide de Prague qui vient de sortir et qui s’intitule « Teplá Praha ». Maintenant que vous connaissez les différents sens de l’adjectif « teplý », nous vous laissons le soin de traduire ce titre comme bon vous semble. Réfléchissez donc bien. On se retrouve dans quinze jours pour d’autres découvertes sur la langue tchèque. D’ici-là, faites comme d’hab’, portez-vous du mieux possible - mějte se co nejlíp !, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj !