Etre une personne LGBT en République tchèque: le respect en ligne de mire

Photo: Kristýna Maková

Du 12 au 18 août dernier, la désormais traditionnelle Prague Pride a animé les rues de la capitale tchèque. Le rendez-vous annuel de la communauté LGBT (lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres) a donné l’occasion de réfléchir sur la place des minorités sexuelles en République tchèque et sur les problèmes auxquels elles doivent toujours faire face malgré la tolérance et l’ouverture dont se flatte le pays.

Photo: Kristýna Maková
Pavel Kuča, guide professionnel à Prague depuis quatre ans, est gay et ne le cache pas. A l’occasion du festival, il a guidé en tant que bénévole un tour LGBT de la ville pour la société « Prague4gay ». Il souligne ce qui fait la spécificité du rendez-vous pragois par rapport aux autres Gay Prides dans le monde :

« J’aime beaucoup la façon dont le festival Prague Pride est organisé. Par rapport aux festivals similaires dans pas mal de pays, il est plus intellectuel. Dans beaucoup de pays, cela s’est tourné vers du business tandis que nous avons un programme riche avec des conférences sur les gays âgés, sur les personnes avec des handicaps. »

Un programme varié au cours d’une semaine destinée à combattre des préjugés encore tenaces et à montrer les différentes facettes d’une communauté formée par des individus aussi distincts et riches les uns que les autres. Le samedi 17 août, la désormais traditionnelle marche des fiertés a vu la participation de 20 000 personnes, soit 5 000 de plus que l’an dernier. Un défilé placé sous le signe de la couleur et de la bonne humeur devenu incontournable et rentré dans les mœurs pragoises :

« Par rapport à Paris, Londres, nous sommes un peu plus conservateurs, vous allez voir un peu moins de personnes nues et plus de groupes comme les « bears », des hommes qui veulent se présenter comme masculins, pas nécesssairement bien vêtus et beaux, des gays chrétiens, des gays handicapés… C’est plus intellectuel mais à part cela ça restera comme les parades dans les autres pays sauf que c’est un peu moins provocateur. »

Pavel décrit ainsi la République tchèque comme un pays ouvert, même si l’homosexualité est longtemps restée un sujet tabou :

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
« Nous sommes le seul pays post-communiste où le PACS (sous le nom de partenariat enregistré, ndlr) existe à ma connaissance et en général l’atmosphère est libérale. Au contraire de la Pologne par exemple qui est plutôt conservatrice, les Tchèques sont des libéraux. En tant qu’homo, je me sens accepté. Je travaillais avant dans une boîte informatique ; tous mes collègues étaient au courant. A Prague, je me sens bien. »

Ce n’est qu’en 1961 que les relations homosexuelles entre personnes majeures et consentantes n’ont plus été considérées comme un crime. L’homosexualité était jusqu’alors perçue comme un problème médical. La décriminalisation de l’homosexualité en 1961 n’implique cependant pas une égalité de traitement avec les hétérosexuels. En effet, la limite légale pour les relations sexuelles était de quinze ans pour les hétérosexuels et de dix-huit ans pour les homosexuels. Mais ce n’est vraiment qu’au début des années quatre-vingt et plus encore après la chute du communisme qu’un véritable activisme LGBT prend forme au sein de la société tchèque.

Christophe et Frédéric connaissent Prague depuis quelques années maintenant et ont décidé de faire le grand saut en s’installant plus durablement dans la capitale tchèque. Une ville où la vie et la culture LGBT ont une place à part entière selon Frédéric :

« A Prague, c’est quand même assez ouvert, on ne sent pas de discrimination. Il n’y a pas de ghetto comme à Paris avec le quartier du Marais, c’est assez disséminé dans la ville. On peut trouver des endroits gay-friendly dans la plupart des quartiers même si principalement on les trouve dans le quartier de Vinohrady. »

Prague, une ville gay-friendly, où hétérosexuels comme homosexuels peuvent se rencontrer dans des lieux comme le ‘Café café’, le bar ‘Friends’ ou bien le sauna gay ‘Babylonia’.

Selon une récente étude de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, la République tchèque fait partie des pays les plus tolérants en Europe vis-à-vis des minorités sexuelles. Une tolérance qui peut même être une marque de distinction pour les hétérosexuels selon Pavel Kuča :

Photo: Archives de Radio Prague
« Même les hétéros l’acceptent. C’est à mon avis une mode pour les jeunes hétéros d’avoir un ami homo. Ils se présentent en tant que tolérants. »

Toutefois, cette même étude souligne que 36% des homosexuels déclarent avoir été victimes de discriminations ou de harcèlements l’an passé. Si la situation des personnes LGBT en République tchèque s’améliore, la Prague Pride reste un évènement essentiel pour une communauté dont de nombreux membres souhaitent s’approprier de nouveaux droits et un espace public dont ils sont souvent exclus.

Guillaume Pellé, spécialiste de la question LGBT à l’ambassade de France en Lituanie, constate la difficulté des anciens pays du bloc communiste à respecter un cadre légal :

« Dans tout l’ex-bloc communiste européen, on retrouve un peu le même cas de figure. L’entrée dans l’Union européenne a incité les Etats à faire évoluer leur cadre réglementaire. Ils doivent reprendre tout l’acquis communautaire, une partie de la législation des Nations Unies également, ils doivent se mettre au niveau par rapport aux Droits de l’Homme et ils sont surtout surveillés par le Parlement européen. D’un point de vue légal, tous ces pays doivent apparaître comme relativement tolérants vis-à-vis des personnes LGBT mais dans la pratique on remarque que ce n’est pas toujours le cas, que la mise en application pose parfois problème ou même que de façon totalement ouverte les hommes politiques bafouent totalement la législation. »

Photo: Filip Jandourek,  ČRo
Sur une scène politique tchèque où aucune personnalité n’a osé le coming-out, un président de la République ouvertement homophobe, Miloš Zeman, a en effet succédé à un autre, Václav Klaus, dont le très recherché néologisme « homosexualisme » désignait selon lui l’idéologie rampante de la promotion de l’homosexualité contre l’hétérosexualité.

En République tchèque, les homosexuels n’ont toujours pas le droit de se marier comme bon leur semble ou d’adopter des enfants. En 2006, une union dite du partenariat enregistré, l’équivalent du PACS en France, est entrée en vigueur. Au mois de mai, un collectif de députés s’est lancé dans la rédaction d’un amendement à la loi sur le partenariat enregistré visant à légaliser l’adoption dans le cadre d’un couple de même sexe. Il s’agit en l’occurrence du cas où un enfant, issu d’un précédent mariage ou d’une union hétérosexuelle, pourrait être adopté par le partenaire d’un de ses parents. A l’heure actuelle, 57% des Tchèques se disent toujours opposés à l’adoption d’un enfant par un couple homosexuel.

Lors de la traditionnelle marche des fiertés, certains groupes traditionalistes ont exprimé leur opposition à cette nouvelle mesure. Petr Jurčík, le président de l’association des Jeunes démocrates-chrétiens et organisateur de ‘La marche pour la famille’ menée parallèlement au défilé des fiertés, explique ses motivations :

Photo: Ignacio Leonardi,  stock.xchng
« La minorité homosexuelle a voulu obtenir une avancée avec le partenariat enregistré, maintenant nous parlons de l’adoption des enfants, et nous devons le prendre comme un facteur de risque qui pourrait compromettre ou mettre en danger le statut de la famille traditionnelle en tant que tel. »

Malgré ces propos que certains jugeraient archaïques, Guillaume Pellé souligne que l’ancrage de la communauté LGBT est beaucoup plus important en République tchèque que dans les pays baltes. Décriminalisée suite à la libération du joug soviétique, l’homosexualité reste perçue par une majorité des Lituaniens comme une maladie ou une anormalité à soigner :

« C’est une région qui est à des années lumières de l’Europe occidentale. On n’en est même pas à parler de l’adoption et du mariage, ni même d’une union civile. Ce qui pose problème, c’est l’homosexualité et ce qu’on appelle sa propagande. Cette année a eu lieu la Baltic Pride à Vilnius, un évènement qui se déroule tous les ans dans une des trois capitales des pays baltes. Les organisateurs ont bien expliqué que leur objectif n’est pas de demander l’ouverture de l’union civile ou de l’adoption aux couples LGBT mais uniquement de se battre pour l’égalité légale mais aussi sociale. »

Le thème de cette troisième édition de la Prague Pride était le coming-out. Une question importante quand on sait que seuls 11% des gays et des lesbiennes assument leur homosexualité sur leur lieu de travail. Pour Czeslaw Walek, le président du festival, une sensibilisation doit être opérée dès l’enfance pour que cette question ne soit plus existentielle et mortifère:

« Dans le même temps, le coming-out se rapporte à notre famille et à notre environnement. Ce processus d'acceptation doit passer par nos parents, et il n’est pas toujours facile d’obtenir une aide de leur part. »

Une prise de conscience de la réalité sociale actuelle, une bonne dose de courage et une pointe d’humour, telle est la recette que la société tchèque devrait appliquer pour que la simple tolérance laisse place à un réel respect mutuel. Pavel Kuča nous offre à ce sujet une information édifiante :

Photo: Kristýna Maková
« Nous, les Tchèques nous aimons nous moquer de nous-mêmes, provoquer un peu, détrôner les héros de leur piédestal. Moi, en tant qu’historien, en lisant les légendes sur Saint Venceslas, j’ai fait la conclusion qu’il était homosexuel. Il est écrit dans les légendes qu’il n’a jamais connu de femmes, il était très gentil avec les soldats, il lavait leurs pieds. Tous les soirs, il invitait son prêtre préféré dans son lit et ils étudiaient la Bible ensemble. Apparemment, il était donc homo et le défilé partait l’année dernière devant la statue de Saint Venceslas, l’endroit où les Tchèques font les manifestations. »

Alors, légende ou réalité historique ? Que le saint patron de la République tchèque ait été homosexuel ou non, peut-être faut-il au moins méditer cette phrase de Marcel Proust : « Il n’y avait pas d’anormaux quand l’homosexualité était la norme ».