L’histoire tchèque du XXe siècle au cœur des deux films dominant les nominations aux Prix de la critique

'Shadow Country', photo : ČT

Deux films dominent les nominations pour les Prix de la critique tchèque dont la sélection a été annoncée mercredi : le film Charlatan (Šarlatán) tourné par la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland et Shadow Country du réalisateur tchèque Bohdan Sláma. Pour la première fois, un documentaire est en lice pour le prix du meilleur film. Tour d’horizon des nominations alors que le Septième art, comme tout le secteur de la culture, vient de vivre une année sombre, entre la fermeture des cinémas, l’annulation des festivals et l’arrêt de nombreux tournages.

Le prix de l’Association des critiques tchèques du cinéma

Cette année, 18 films tchèques sont en compétition dans les dix catégories du prix de l’Association des critiques tchèques du cinéma. Ce prix est né en 2011 comme une alternative à la traditionnelle grand-messe des Lions tchèques, où le palmarès est décidé par les professionnels du cinéma. Cette année également, les organisateurs ont rajouté une dixième catégorie, celle du court-métrage.

Ce sont deux films qui ont pour cadre temporel deux périodes troubles de l’histoire de la Tchécoslovaquie au XXe siècle, qui ont raflé chacun cinq nominations dont celle du meilleur film.

Le film Charlatan (Šarlatán) tourné par la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, sorti le 20 août dernier après avoir été reporté pour cause de pandémie, s’inspire de la vie de Jan Mikolášek, un guérisseur qui aurait soigné des milliers de personnes en Tchécoslovaquie au cours de la première moitié du XXe siècle, dont le président communiste Antonín Zápotocký, mais aussi des dignitaires nazis pendant l’Occupation. C’est l’acteur tchèque Ivan Trojan qui incarne Jan Mikolášek, homme secret et ambivalent qui se retrouvera victime de la justice communiste dans les années 1950 et finira sa vie dans la pauvreté et l’oubli. L’été dernier, Agnieszka Holland nous avait confié ce qui l’avait attirée dans cette histoire :

Ivan Trojan et Agnieszka Holland,  photo: Cinemart

« Plusieurs thèmes étaient présents dans mes films précédents aussi. J’avais déjà fait un film sur un guérisseur. Puis, il y avait la notion du mystère de la foi, des méthodes non-scientifiques dans le rapport avec le corps humain et la nature : ce sont des choses qui m’intéressent aussi. Un don spécial et le prix que l’on paye pour ce talent. La question de savoir si l’on a droit d’être immoral au nom de ce talent-là. Quelle est la frontière entre l’officiel et le caché ? Il y a aussi le destin des habitants d’Europe de l’Est au XXe siècle et le fait qu’ils ne soient pas maîtres de leur destin, mais dépendants des jeux de pouvoir, des régimes qui les traitent comme des sortes d’objets… Tous ces thèmes-là sont présents dans Šarlatán. C’est un film épique, raconté de manière intimiste. A la fin c’est aussi une histoire d’amour peu traditionnelle et très douloureuse. »

Le film Charlatan représentera la cinématographie tchèque aux prochains Oscars.

L’histoire douloureuse de la Tchécoslovaquie au siècle dernier, marquée par deux totalitarismes, est également au cœur du dernier long-métrage de Bohdan Sláma, tourné en noir et blanc. Shadow Country (Krajina ve stínu, en tchèque) relate comment en mai 1945, quatorze habitants germanophones du petit village de Tušť, en Bohême du Sud, ont été assassinés par leurs voisins, dans le cadre des expulsions sauvages de la population allemande de Tchécoslovaquie. Lors de la sortie du film en septembre dernier, le scénariste Ivan Arsenjev avait détaillé la genèse de cette histoire basée sur des faits réels :

Ivan Arsenjev,  photo : ČT

« Evidemment, ce qui m’a intéressé en premier lieu, c’était l’événement en soi, c’est-à-dire le massacre des habitants du village par leurs voisins, ainsi que le contexte historique de l’expulsion de la population allemande de Tchécoslovaquie après la guerre. C’est un sujet très fort, un événement qui reste dans l’esprit des Tchèques comme quelque chose d’irrésolu, et qui n’a pas encore fait l’objet d’une véritable réflexion historique.  C’est une histoire dramatique qui ne laisse personne indifférent. Pour un cinéaste, c’est un défi. Personnellement, je trouvais que le plus intéressant était de montrer combien cet événement historique était d’actualité aujourd’hui. Le comportement des personnages est atemporel. Il serait naïf de penser que de telles situations ne peuvent pas se reproduire. Des événements semblables se sont déroulés il y a quelques années de cela dans les Balkans par exemple. »

Le film choc Caught in the Net (V síti), du réalisateur Vít Klusák, sur le danger posé par les prédateurs sexuels en ligne, est le premier documentaire à concourir dans la catégorie du meilleur film. Filmées pendant dix jours devant leurs ordinateurs, trois jeunes actrices avec de faux profils les présentant sur les réseaux sociaux comme des filles âgées de 12 ans ont été contactées par plus de 2 400 hommes, dont certains font aujourd’hui l’objet de poursuites judiciaires.

Etonnamment, le biopic Havel, consacré aux années de dissidence de l’ancien président tchèque, qui était l’autre film-événement de l’année écoulée, n’a recueilli que deux nominations, mais non des moindres : celles de la meilleure actrice pour Anna Geislerová qui incarne sa première épouse et celui de meilleur acteur pour Viktor Dvořák qui a endossé le costume de l’ancien dramaturge et dissident.

Le palmarès des Prix de la critique tchèque sera dévoilé le 6 février prochain lors d’une cérémonie officielle organisée au Théâtre Archa à Prague et retransmise par une des chaînes de la Télévision tchèque.