Liberté de la presse : la République tchèque plutôt bonne élève
Paru ce mercredi, le classement mondial de la liberté de la presse 2014 de l’ONG Reporters sans frontières est plutôt flatteur pour la République tchèque qui arrive en treizième position sur 180 pays, gagnant même trois places par rapport à l’année précédente. Responsable du bureau Union européenne et Balkans pour Reporters sans frontières, Antoine Héry a commenté cette enquête pour Radio Prague en cette deuxième Journée mondiale de la radio. Il évoque tout d’abord la méthodologie employée pour évaluer le niveau de la liberté de la presse dans un pays.
La République tchèque a gagné trois places et se trouve à la treizième position du classement RSF de la liberté de la presse. Qu’est-ce que cela signifie sur la liberté de la presse dans le pays ?
« Déjà, il faut minorer cette évolution ou en relativiser l’importance. Le score est vraiment la performance qui est comparable d’une année à l’autre et cette performance, ce score, sont quasiment les mêmes. C’est vrai qu’il y a une évolution mais qui est plus due au mouvement autour de la République tchèque dans le classement. La première chose, c’est donc qu’il ne faut pas s’imaginer que la République tchèque a particulièrement progressé entre l’exercice précédent et l’exercice présent.
Ensuite sur la situation de la République tchèque, effectivement c’est un très bon classement. Mais certaines perspectives se profilent à l’horizon qui sont peut-être un peu moins brillantes, notamment depuis l’élection du président Miloš Zeman. »
Comment peut-on comparer la situation en République tchèque avec celle des pays de la région Europe centrale ?« On se rend compte que la République tchèque a progressé à une vitesse assez impressionnante puisque dans les premières éditions du classement, en 2002, 2003, 2004 jusqu’en 2006, une quarantaine de places avaient déjà été gagnées. Donc, aujourd’hui la République tchèque s’en sort très bien, elle fonctionne par rapport à ses voisins de manière performante en termes de liberté des médias. C’est plutôt un quasi-modèle régional finalement. »
Concrètement, comment travaillez-vous avec la République tchèque ? Vous avez un questionnaire que vous envoyez à des personnes ici qui le remplissent. Quelles sont ces personnes, des journalistes, des spécialistes des médias ?
« Les journalistes constituent forcément une large partie du panel mais pas seulement puisque nous avons aussi des chercheurs en sciences sociales, des chercheurs spécialistes du secteur médiatique et des avocats, ainsi que parfois des militants des droits de l’homme lorsqu’ils font preuve d’une expertise. »
Vous avez sept critères pour mesurer la liberté de la presse. Certains, comme l’environnement et l’autocensure, sont difficiles à mesurer. Comment faites-vous ?
« La plupart de ces questions de perception qui figurent dans les questionnaires sont effectivement difficiles à mesurer. Ce sont des questions très subjectives qui dépendent de ce que vivent les journalistes. On ne leur demande pas de se mettre à la place de la profession, nous n’en sommes pas capables. Un journaliste ne peut pas exprimer ce que ressentent l’ensemble de ses collègues à l’échelle d’un pays. Mais enfin, nous demandons à ces journalistes que nous considérons représentatifs d’une certaine idée du journalisme, et aux chercheurs qui observent ces professions des acteurs de l’information, de traduire dans quelles conditions ils exercent leur métier. C’est-à-dire de quelle liberté de paroles ils disposent quand ils veulent s’exprimer sur les agissements du pouvoir politique, économique, éventuellement religieux… »
Par exemple en République tchèque, en 2013, il y a eu au sein du service d’informations de la Télévision publique des accusations de censure en faveur du chef de l’Etat Miloš Zeman. Quelles peuvent être les implications de tels soupçons ?« Nous n’avons pas relevé d’impact direct. Il faut comprendre qu’entre un événement précis, des accusations ou des soupçons et la traduction dans la note permettant de classer un pays, il y a un temps de latence. Il faut quand même que la tendance soit lourde pour se refléter dans le score du pays. Cela n’a pas été le cas cette année en l’occurrence, on a une note qui est très semblable. Cependant, si ce genre de soupçons se répète et que ces accusations sont avérées, le classement de la République tchèque pourrait à l’avenir en souffrir. »
Au niveau de la concentration des médias en République tchèque, l’actualité 2013 a également été riche puisque l’entrepreneur Andrej Babiš, l’un des hommes les plus riches du pays, devenu récemment ministre des Finances, a racheté un important groupe de médias et est ainsi le propriétaire de deux quotidiens parmi les plus lus. On voit ici le problème de collusion entre les sphères politique, économique et médiatique. Votre méthode de calcul prend-elle cela en compte ?« Absolument. Nous avons des questions qui concernent la concentration économique. Nous n’avons pas vraiment de modèle de référence pour dire que tel système est meilleur que tel autre. Il y a en Finlande ou aux Pays-Bas, les deux premiers pays du classement, une concentration des médias qui est quand même exacerbée. En Finlande, il y a trois grands propriétaires de médias et pourtant cela n’empêche pas d’avoir un vrai pluralisme. Donc, nous n’avons pas de présupposés sur des modèles donnés.
En revanche, c’est vrai qu’il faut s’inquiéter de ces phénomènes de concentration lorsqu’ils sont dans les faits à l’origine d’une réduction du pluralisme. Et en l’occurrence, vous parliez du président Zeman, nous avons une inquiétude d’un virage à l’est, c’est-à-dire vers le modèle russe, oligarchique, contre le modèle UE, où les fondamentaux de la liberté d’information, du droit à l’information, sont inscrits dans les textes fondateurs. »