Malgré les menaces et les pressions, le président du Sénat tchèque se rendra bien à Taïwan

Miloš Vystrčil, photo: ČTK /Michal Krumphanzl

« Na Tchaj-wan pojedu. » L’annonce était attendue, Miloš Vysrtčil l’a faite mardi et a confirmé son intention : « J’irai à Taïwan ». Malgré l’opposition conjointe du président de la République, du Premier ministre et du président de la Chambre des députés, et en dépit des avertissements de la Chine, le président du Sénat tchèque se rendra bien officiellement sur l’île qui se veut indépendante en septembre prochain.

Miloš Vystrčil,  photo: ČTK /Michal Krumphanzl

« Ma décision est motivée par plusieurs raisons. La première est que je suis convaincu que cette visite sera intéressante d’un point de vue économique. Elle nous permettra de développer notre coopération dans des domaines tels que la recherche ou les innovations. Mais je pense aussi, c’est vrai, qu’il convient de replacer notre relation avec la République populaire de Chine sur un pied d’égalité dans laquelle nous nous comporterons comme un Etat indépendant et souverain. Et puis je n’oublie pas non plus que mon prédécesseur a passé beaucoup de temps à préparer cette visite. »

Prédécesseur de Miloš Vysrtčil à la tête de la Chambre haute du Parlement tchèque, Jaroslav Kubera, membre lui aussi du parti conservateur d’opposition ODS, est décédé soudainement en janvier dernier dans des circonstances qui ont fait couler beaucoup d’encre dans les médias tchèques, alors que lui aussi envisageait de se rendre à Taipei. Les menaces formulées par la Chine avaient alors été très largement évoquées. Pékin considère en effet cette potentielle visite comme une entorse grave au principe de la politique de la Chine unique, que la République tchèque reconnaît, et l’ambassade de Chine à Prague avait rappelé dans une lettre adressé au cabinet du président de la République qu’aucun des principaux représentants des pays occidentaux, parmi lesquels les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France, n’avait encore visité Taïwan.

Andrej Babiš,  photo: ČTK/Kateřina Šulová

En République tchèque, c’est le gouvernement qui répond de la politique étrangère du pays. Or, suite à l’annonce du président du Sénat mardi, son chef Andrej Babiš, a réagi très prudemment, fidèle à son extrême pragmatisme d’ancien homme d’affaires. Le Premier ministre entend encore discuter de ce voyage avec le principal intéressé :

« Nous ne sommes bien entendu pas une puissance mondiale, même si j’ai parfois le sentiment que certains ici pensent le contraire. Je pense plutôt qu’il est dans notre intérêt d’entretenir dans la mesure du possible de bonnes relations économiques avec tout le monde. »

Des investissements taïwanais plus importants que ceux de la Chine

C’est précisément là un des paradoxes des échanges entre la République tchèque, le géant chinois et Taïwan. Car si la balance commerciale penche logiquement très nettement du côté de la Chine en raison des importantes importations notamment de produits finis, le volume des investissements réalisés par la Chine en République tchèque entre 1993 et 2018 est, lui, presque moitié moindre que celui de Taïwan. Et ce malgré les annonces de milliards de couronnes d’investissements chinois claironnées il y a encore seulement quelques années par le président Miloš Zeman suite à ses diverses visites en Chine ou à celle, historique, de Xi Jinping à Prague en 2016. Par ailleurs, les investissements taïwanais sont source d’emploi pour quatre fois plus de personnes (390 millions d’euros d’investissements et création de 4 000 emplois pour la Chine contre 693 millions d’euros d’investissements et 24 000 emplois pour Taïwan, selon Czechinvest).

De son côté, le Château de Prague a constaté que ni le chef de l’Etat, ni le chef du gouvernement, ni le président de la Chambre basse du Parlement, ni même le chef de la diplomatie ne recommandaient de visite officielle à Taïwan. Sans critiquer les desseins du président du Sénat, qui sera accompagné d’une délégation de chefs d’entreprise lors de cette visite prévue du 30 août au 5 septembre prochain, Tomáš Petříček, le ministre des Affaires étrangères, a d’ailleurs rappelé que la République tchèque n’a politiquement jamais reconnu Taïwan comme un Etat indépendant :

« Une visite du deuxième plus haut fonctionnaire d’un pays membre de l’Union européenne à Taïwan est véritablement quelque chose d’exceptionnel. Dans un passé récent (en mai 2019), cela ne s’est produit qu’une fois lorsque le président du Sénat belge, peu avant la fin de son mandat, s’y est rendu. »

Ce mercredi, un autre sénateur tchèque, Jiří Drahoš, qui avait été battu par le pro-Chinois Miloš Zeman au second tour de l’élection présidentielle en 2018 et ancien président de l’Académie des sciences, a annoncé que lui aussi entendait se rendre à Taïwan en octobre prochain. Il y participera notamment à l’ouverture Journées technologiques tchéco-taïwanaises, convaincu comme le président du Sénat du potentiel des échanges à développer dans ce domaine, mais sans doute aussi pour un peu plus que cela.