Markéta Navrátilová, 25 ans de Tour de France et de vélo en photos

Tour de France, photo: Markéta Navrátilová

Vingt-cinq ans durant, Markéta Navrátilová a photographié le Tour de France. Longtemps, elle a même été la seule femme-reporter à suivre la course depuis l’arrière d’une moto. Cette année, pour la première fois depuis 1992, la photographe tchèque a préféré rester à Prague. L’occasion de faire avec elle le bilan d’une longue étape de sa vie.

Tour de France,  photo: Markéta Navrátilová

Née au début des années 1970 à Kyjov, dans cette belle et douce région qu’est le sud de la Moravie, Markéta Navrátilová n’a pas connu les bals musettes au son de l’accordéon d’Yvette Horner. Malgré tout, au cœur du peloton, elle a découvert, au fil des routes et du temps qui passe, une France qu’elle a appris à apprécier, sans pour autant regretter de ne pas être présente sur le Tour cette année, et ce pour la première fois depuis vingt-six ans :

Markéta Navrátilová,  photo: Archives de Markéta Navrátilová
« Non, cela ne me manque pas… Ma réponse vous surprendra peut-être, mais j’ai photographié le Tour pendant vingt-cinq ans sans interruption, je l’ai encore suivi une semaine l’année dernière pour rendre service à mon chef, et j’ai senti que le temps était venu de tourner la page. J’avais le sentiment d’avoir déjà tout photographié. Je me suis rendu compte que mes propres photos, c’est-à-dire celles que je prenais pour moi, étaient la seule chose qui m’intéressait encore. J’ai donc compris qu’il valait mieux faire autre chose. J’ai longtemps joué au tennis quand j’étais plus jeune, et de ne pas être sur le Tour cette année m’a par exemple permis de suivre Wimbledon tranquillement chez moi. Je n’ai pas l’impression de rater quelque chose et je suis très bien là où je suis. »

Quand Markéta Navrátilová a découvert la France en 1992, deux ans et demi après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie, le Tour n’était pas encore suivi comme il l’est aujourd’hui par un public et des médias tchèques pour lesquels, comme dans les autres pays d’Europe de l’Est, la Course de la Paix est longtemps restée l’épreuve de référence.

A l’époque, Markéta, 19 ans, ancienne gymnaste et prometteuse joueuse de tennis, se remettait d’un grave accident de voiture ; un accident qui a mis un terme prématuré à une possible carrière professionnelle. C’est alors son père qui, comme elle le dit elle-même, l’a poussée à se lever du canapé et à se bouger :

Markéta Navrátilová,  photo: Archives de Markéta Navrátilová
« Mon père était le copropriétaire d’une maison d’édition qui publiait Peloton, le seul magazine de cyclisme qui existait alors en Tchécoslovaquie. C’est lui qui a eu l’idée de demander une accréditation aux organisateurs du Tour. Comme je n’avais pas de projet précis en tête suite à ma blessure, je l’ai suivi. Nous sommes arrivés lors des étapes de montagne et c’est comme ça que j’ai pris mes premières photos. Quand personne ne vous connaît, commencer sur un événement aussi beau et impressionnant que le Tour de France est beaucoup plus simple que de commencer une carrière tout en bas de l’échelle. »

Markéta Navrátilová a « presque honte de l’avouer » mais, sans expérience, c’est sur le Tour qu’elle a véritablement commencé à photographier, d’abord « ce qui me plaisait ou me semblait intéressant ». Et même si elle a ensuite fréquenté un atelier de design à l’Ecole des arts appliqués de Prague (UmPrum), elle reconnaît qu’elle a appris sur le tas et sur le bord des routes. Entre elle et le cyclisme, ça n’a pas tout à fait été le coup de foudre :

« Je n’ai pas la prétention de dire que je suis une photographe exceptionnelle. Enfin, j’espère un peu quand même… Mais ce qui m’a aidée à mes débuts, je pense, c’est que, à la différence de beaucoup d’autres journalistes ou photographes, je n’étais ni une ancienne cycliste, ni une amatrice de vélo. Je venais d’un autre monde et je portais un regard différent sur le cyclisme, que je découvrais. Même avec les années, je dirais que j’ai toujours préféré la photo au cyclisme. »

« Cette année par exemple, je ne regarde pas le Tour à la télé, ou seulement les arrivées. Et il faudrait que Roman Kreuziger, qui est un bon ami, soit vraiment très performant pour que cela change. Ceci dit, quand je suivais les courses et je connaissais les coureurs, les équipes. Je comprends leurs stratégies, la tactique de la course. C’est indispensable. Sans ça, je n’aurais pas pu travailler. »

Marco Pantani et Jan Ullrich,  Tour de France,  1998,  photo: Markéta Navrátilová

Car la carrière de Markéta Navrátilová, qui en 2017, à l’issue du dernier Tour qu’elle a couvert dans son intégralité, a publié un superbe livre à la couverture toute jaune intitulé « Kolo » - un mot à double sens en tchèque qui peut signifier « vélo » ou « roue », comme la roue de Fortune dans le sens antique du concept -, ne se résume pas à la seule Grande Boucle. La reporter tchèque, qui s’est installée à l’arrière d’une moto au début des années 2000, a couvert l’essentiel des courses en Europe sur la base desquelles s’écrit la mythologie du cyclisme, mais aussi par exemple le Tour de Langkawi en Malaisie ou le Crocodile Trophy, une épreuve de VTT en Australie. Autant de voyages qui ont permis à la photographe, alors moins tenue par ses obligations de journaliste, de laisser libre cours à son inspiration :

Photo: V-Press
« Ce que nous recherchons tous en priorité, c’est l’émotion ! Mais je n’oublie pas non plus que je suis d’abord journaliste, ce qui signifie qu’il faut être au bon endroit au bon moment. Le problème sur une course cycliste est que vous ne pouvez pas être partout à la fois. Vous n’êtes pas dans un stade ou dans une salle où tout se passe sous vos yeux. Il y a donc sans cesse une décision à prendre : quels coureurs suivre ? Faut-il être à l’avant ou peut-être à l’arrière de la course si un favori est lâché ? Et plus l’arrivée approche, plus il faut anticiper ce qui va se passer. »

« Photographier la course ne m’a jamais suffi »

« Oui, je peux prendre des belles photos au départ d’une étape, mais ensuite, ce que l’on attend d’abord de moi, qui suis sur la route au cœur de la course, c’est de témoigner de ce qui se passe. Or, sur une moto, je ne vois pas un dixième de ce que voient les gens de la course devant leur télévision. C’est pourquoi on réagit souvent à l’instinct. En Malaisie ou en Azerbaïdjan, c’est moins le cas, il suffit presque d’avoir une photo du vainqueur à l’arrivée. Mais le Tour de France est exceptionnel et difficile à couvrir parce que pratiquement tout ce qui s’y passe depuis le départ est important. »

Comme le rappelle Markéta Navrátilová en introduction de son livre, la photographie et le vélo ont une histoire sinon commune, au moins parallèle. Dans la première moitié du XIXe siècle, l’ingénieur français Joseph « Nicéphore » Niépce, connu essentiellement comme l’inventeur de la photographie, a en effet également concouru au développement du vélocipède, l’ancêtre de la bicyclette.

Cadel Evans,  Tour de France,  2013,  photo: Markéta Navrátilová
C’est peut-être aussi pour cette raison que comme beaucoup d’amateurs de cyclisme, Markéta Navrátilová, qui compte aujourd’hui parmi les photographes sportifs tchèques les plus reconnus, a appris à aimer le vélo, discipline sportive parmi les plus exigeantes de toutes. Autrement dit pour tout ce qui existe autour, et pas seulement les paysages, même si les épreuves cyclistes sont de plus en plus souvent utilisées par leurs organisateurs comme un instrument de promotion des pays, des régions ou des villes et communes dans lesquels le peloton trace sa route :

« Photographier la course ne m’a jamais suffi. J’ai toujours voulu montrer aussi l’ambiance, car en cyclisme, ce sont les spectateurs qui font la course. C’est le seul sport où le public est en contact direct, souvent même physique, avec les concurrents. C’est cette passion et cette ferveur qui font que le Tour de France est exceptionnel, même si passer en moto au milieu de la foule dans les cols relève parfois de l’acrobatie. Bien sûr qu’il y a des excès, bien sûr que les gens me gênent parfois dans mon travail, mais intégrer cet élément humain à mes photos a toujours représenté un défi pour moi. »

« J’ai vécu de beaux moments avec Armstrong »

Lance Armstrong,  Tour de France 2003,  photo: Markéta Navrátilová
En vingt-cinq ans de carrière sur le Tour de France, du scandale Festina aux affaires Armstrong ou Rasmussen, Markéta Navrátilová, qui travaille depuis une vingtaine d’années pour l’agence néerlandaise Cor Vos, a connu les hauts et les bas – et même les très bas-fonds – de la course. Pour autant, elle affirme n’avoir jamais porté de jugement sur les coureurs, ni n’avoir jamais oublié ce pour quoi on faisait appel à ses services dans un milieu où, comme elle le dit, « sang, sueur et larmes » font partie intégrante du travail au quotidien :

« Non, cela ne m’a jamais gênée. Mon travail consistait à faire de belles photos. Quand j’ai commencé, dans les années 1990, le dopage était omniprésent. Peut-être est-ce moins le cas aujourd’hui ou, tout du moins, les pratiques ont-elles évolué. Mais je ne suis pas journaliste d’investigation… Ce qui m’intéresse, ce sont les photos. J’admets qu’il y a eu certains moments, comme lorsque Rasmussen a été exclu du Tour en 2007 alors qu’il était maillot jaune, où je me suis sentie comme une idiote. »

« J’ai par exemple toujours apprécié Armstrong, peut-être parce que l’on se connaît personnellement. J’ai vécu de beaux moments avec lui et je n’ai pas de reproches à lui faire. Je pense d’ailleurs qu’il y a payé les pots cassés pour au moins la moitié du peloton. Ce que je n’aimais pas par contre, c’était quand il fallait attendre devant les hôtels pour prendre en photo les coureurs qui quittaient le Tour. Mais, encore une fois, c’est parce que je suis photographe et que je pense que les photos de cyclisme doivent se faire sur la route, pas dans les hôtels. »

Markéta Navrátilová,  photo: Archives de Markéta Navrátilová
Maman d’un garçon âgé de dix ans qu’elle souhaite voir grandir, Markéta Navrátilová ne suit donc désormais plus le Tour. Mais elle retournera probablement quand même un jour en France :

« Je connais très peu la France, même si j’y ai paradoxalement passé beaucoup de temps. Travailler sur le Tour ne vous permet pas de découvrir le pays. On n’en voit même pas grand-chose finalement. Mes étapes préférées sont celles de montagne, et je préfère les Pyrénées aux Alpes plus commerciales. Mais si je devais retourner en France juste pour profiter et passer un peu de bon temps, alors ce serait quelque part en bord de mer. Pas dans le sud, plutôt en Bretagne ou en Normandie sur la côte atlantique. Oui, c’est sans doute là-bas que j’irais… »

La Bretagne aux paysages photogéniques, la Bretagne aussi autre terre de vélo et de cyclisme. Forcément…

Tour de France,  photo: Markéta Navrátilová