Médias : des prix pour les meilleurs articles et reportages de l'année 2019

Les lauréats des prix de la press de l'année 2019, photo: ČTK/Michaela Říhová

Mercredi soir ont été remis à Prague les prix de la presse pour l'année écoulée. Au cœur de la journée de conférence qui a précédé la soirée, la question de la confiance dans les médias traditionnels et le respect des règles déontologiques dans la profession, de même que les stratégies d'influence de la Chine dans les médias. Avec quatre prix en tout, dont les deux principaux, pour plusieurs de ses journalistes, le groupe de presse Economia fait une jolie moisson pour cette édition 2019 des prix de la presse qui consacrent toutefois aussi le jeune quotidien indépendant Deník N et l'audiovisuel public en récompensant la Radio tchèque.

Ondřej Houska,  photo: ČTK/Michaela Říhová

Organisé par la fondation Open Society Fund (OSF), les prix de la presse célèbrent cette année leurs dix années d'existence. D'ordinaire remis le jour précédant la Journée internationale de la liberté de la presse le 3 mai, les prix ont dû être décalés au 17 juin en raison de la pandémie de coronavirus. Ils ont été associés pour la première fois à la remise du Prix Karel Havlíček Borovský, du nom du père du journalisme tchèque, et du prix Novinářská křepelka pour le meilleur espoir des jeunes journalistes de moins de 33 ans, organisés, eux, par le Fonds littéraire tchèque.

Le premier a été décerné à Ondřej Houska du quotidien économique Hospodařské noviny, pour ses articles consacrés à l'Union européenne et au Premier ministre Andrej Babiš. Le second prix a mis en valeur le travail d'investigation de Lukáš Valášek du serveur Aktualne.cz. Et à raison, puisqu'il a été à l'origine l'an dernier d'une enquête dont les révélations ont fait scandale en République tchèque.

Dans un dossier conséquent, fruit de plusieurs mois de travail, il a dévoilé les stratégies d'incursion de la Chine en Tchéquie, via notamment une campagne d'influence pro-Pékin financée par le groupe de Petr Kellner, l'homme le plus riche de République tchèque et via le financement par l'ambassade de Chine de conférences à la prestigieuse Université Charles. Si les tactiques de Pékin, entre soft power et interventions affichées, sont dans le radar des services de renseignement tchèques depuis quelques temps déjà, ces enquêtes détaillées ont entraîné à l'époque le limogeage de plusieurs personnes impliquées dans ces affaires.

Daniel Anýž, du serveur Aktualne.cz encore une fois, a été distingué pour le meilleur commentaire de presse écrite pour sa série d'articles sur les Etats-Unis, un groupe de journalistes de ce même serveur a vu son projet consacré au taux de suicide des hommes en Tchéquie récompensé dans la catégorie Journalisme de solution.

Renata Kalenská,  photo: ČTK/Michaela Říhová

Ces quatre prix ont un dénominateur commun : tous les lauréats travaillent pour des titres de la société Economia. Celle-ci appartient elle aussi comme la plupart des grands groupes de presse tchèque à un milliardaire local, Zdeněk Bakala, qui a fait fortune dans le charbon.

Le présentateur et journaliste Martin Veselovský a, sans surprise, une fois de plus reçu un prix pour ses interviews de qualité pour la télé en ligne DVTV qui fournit ses contenus au serveur Aktualne.cz.

Nouveau venu sur la place depuis sa création en 2018 et réputé pour ses articles de fond, le journal indépendant Deník N a raflé deux prix décernés à Renata Kalenská (meilleur interview en presse écrite) et Jana Ustohalová (meilleur reportage en presse écrite).

Deux prix également pour la Radio publique tchèque, pour le journaliste Lukáš Houdek et son reportage sur la stigmatisation des personnes souffrant d'albinisme au Ghana, mais aussi pour le site iRozhlas.cz et son enquête de grande ampleur sur les changements de la société tchèque depuis 1989, un projet qui a dévoilé sa fragmentation en six classes sociales bien distinctes.

On notera qu'aucun titre de presse appartenant au groupe Mafra, dont le Premier ministre tchèque avait fait l'acquisition en 2013 alors qu'il faisait son entrée en politique, n'apparaît dans quelque catégorie que ce soit. De nombreux journalistes avaient quitté le bateau à l'époque de ce rachat, parmi lesquels un transfuge qui a créé le magazine d'investigation Reportér, dont une enquête a également été récompensée mercredi soir.

Au 40e rang du classement RSF de la liberté de la presse, la République tchèque se caractérise par un paysage médiatique où la concentration des médias dans les mains de quelques milliardaires est de plus en plus importante et de plus en plus préoccupante pour les organisations de défense des journalistes.

Tout ceci dans un contexte où en Tchéquie et ailleurs, la presse traditionnelle a été bousculée à la fois par le numérique, les réseaux sociaux, l'état de l'économie mondiale et la défiance vis-à-vis des médias, alimentée parfois par des personnalités hauts placées. Ces prix de la presse sont ainsi une occasion de mettre en valeur un travail qui se fait souvent dans des conditions de plus en plus difficiles.

Lukáš Valášek,  photo: ČTK/Michaela Říhová

Si l'image du président Zeman brandissant une kalachnikov portant l'inscription « Pour les journalistes » restera dans les annales comme une anecdote glaçante, la désinformation, les campagnes de diffamation en ligne sont autant de défis auxquels font face les journalistes tchèques aujourd'hui.

Quelques heures avant l'annonce des prix, le porte-parole du président tchèque postait sur son compte Twitter une vidéo tentant de démontrer que les enquêtes de Lukáš Valášek sur l'existence d'un possible détournement de fonds lié à la résidence secondaire du chef de l'Etat, étaient mensongères. L'hommage du vice à la vertu...