Mémoire de Sudète

Photo: Sudetendeutsches Archiv / Creative Commons 1.0 Generic
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L’affaire des décret Beneš, qui signèrent l’expulsion des Allemands de Tchécoslovaquie après guerre, fait encore aujourd’hui l’objet de polémiques régulières. Actif dans le milieu associatif lié au patrimoine, Pavel Kuča nous parle aujourd’hui de Horst Kaller, 70 ans, ancien Sudète expulsé lorsqu’il était enfant, et qui a décidé de renouer le lien avec son pays d’origine.

« De la fin de la guerre, il se rappelle les bombardements. Le père n’étant pas avec la famille - il était à la guerre, sur le front occidental - la mère, qui avait très peur des Russes, a décidé de quitter leur ville pour la Bohême du Nord, où il ont donc passé la fin de la guerre. »

Famille allemande et tchécoslovaque, les Kaller craignent l’arrivée des Russes en 1945. L’Armée Rouge aura pourtant, en Tchécoslovaquie - Etat rangé parmi les puissances victorieuses - un comportement bien plus modéré qu’en Hongrie ou en Roumanie, pays collaborateurs. Ce dont Madame Kaller ne se doute pas en revanche, c’est que sa famille sera expulsée de Tchécoslovaquie d’ici une année. Mises en application par les décrets connus sous le nom de décrets Beneš, les expulsions sont décidées par le gouvernement tchèque en exil à Londres, et font l’unanimité de Londres à Moscou.

Krnov
Au total, ce seront environ 2,5 millions d’Allemands qui seront expulsés vers l'Allemagne et l'Autriche, soit près du quart de la population tchécoslovaque à l’époque. Seuls 250 000 Allemands sont autorisés à rester au titre de faits de résistance ou de qualification indispensable.

Ce qu’on sait souvent peu, c’est que l’expulsion des Allemands fut graduée et précédée d’un série de lois disciminatoires, qui débute, le 21 juin 1945, avec la confiscation des biens immobiliers agricoles des Allemands. Peut-être espérait-on qu’une partie des Allemands émigrerait d’eux-même face à ces restrictions. Pour les Kaller, cela commença par une expropriation.

« Quand il sont revenus à Krnov, ils ont voulu réintégrer leur appartement. Mais, sur la porte, ils ont trouvé le mot suivant : confiscation, interdiction d’entrer. La mère a pu trouver, par des amis, un appartement provisoire, où ils ont vécu jusqu’à l’expulsion des Allemands de la ville de Krnov. »

Le 2 août, un nouveau décret décide du retrait de la citoyenneté tchécoslovaque pour les ressortissants des minorités allemandes et hongroises. Le 25 octobre, un autre décret ordonne la confiscation des biens ennemis. Puis ce sera finalement l’expulsion du territoire tchécoslovaque.

Photo: Sudetendeutsches Archiv / Creative Commons 1.0 Generic
« En 1946, la famille a été expulsée de son logement provisoire et ils ont dû se rendre dans un camp d’expulsion, sur une colline au-dessus de la ville. Là des partisans tchèques leur ont confisqué tout ce qui était précieux. Les familles n’avaient le droit de garder que trente kilos pour les affaires personnels. Et avec ces trente kilos par personne, ils ont été amenés à la gare, où ils ont été embarqués dans des wagons à bestiaux. Il y avait quarante personnes par wagons et les conditions d’hygiène y étaient précaires. Ils devaient chanter une chanson allemande : adieu ma patrie. »

Concrète, la répression des Allemands de Bohême-Moravie empruntait aussi une symbolique de l’œil-pour-œil. A leur tour d’être stigmatisés comme l’avaient été des dizaines de catégories de minorités ethniques ou politique, au premier rang desquels les Juifs.

Le 16 février 1945, Beneš déclarait sur les ondes de la BBC : « Il faut préparer la solution pour nos Allemands et nos Hongrois, car la nouvelle Tchécoslovaquie sera un Etat national. ».

Edvard Beneš
Projet ethnique qui ne se comprend qu’à la lumière d’un contexte très particulier. Après-guerre, la crainte d’un relèvement et d’une revanche allemande est forte, à Prague mais aussi à Paris. D’ailleurs, l’épuration plus ou moins ordonnée qui éclate en France en 1944-1945 montre bien la haine accumulée par quatre ans de souffrances. Mais en Bohême, cette méfiance envers le voisin allemand se double, à l’intérieur, du souvenir des Sudètes, fort soutien au nazisme pendant les années 1930.

Il n’en reste pas moins que les expulsions de 1945 prirent l’allure d’une politique de nettoyage ethnique par émigration, avec son lot d’humiliations.

« Les Allemands devaient porter un N, première lettre de Němec, qui, en tchèque, signifie Allemand. »

« Horst se rappelle qu’à l’âge de cinq ans, des Tchèques lui ordonnèrent de marcher sur le trottoir en imitant un soldat de la Wehrmacht. Là, il devait répéter plusieurs fois : Hitler est un trou du cul, Hitler est un trou du cul... Aujourd’hui Horst Kaller dit : je suis content d’avoir appris cette vérité dès l’âge de cinq ans. »

Encore forte aujourd’hui, la polémique qui entoure les décrets Beneš empoisonne occasionnellement les relations germano-tchèques. En Autriche et en Bavière, certains partis conservateurs demandent leur révision. Horst Kaller vit aujourd’hui en Bavière. Pour lui, pas question de comparer l’expulsion des Allemands avec les crimes nazis pendant la guerre. Il souhaite toutefois qu’on évoque cette période mal connue.

Horst Kaller  (à gauche),  photo: www.aktualne.cz
« Sa grand-mère maternelle était tchèque et son grand-père maternel était allemand. Et Horst se souvient que même en Allemagne, quand sa mère parlait avec sa tante et voulait que les enfants ne comprennent pas ce dont elle parlait, elle utilisait le tchèque. »

Souhaitant lui aussi renouer avec un passé lointain, Horst Kaller est revenu en 1990 dans sa ville d’origine, à Krnov, en Moravie. Et à son anniversaire, on compta une quinzaine d’Allemands et une bonne centaine de Tchèques. Symbole d’une mémoire commune retrouvée.