Mémoire de Sudètes (2)

Besetzung des Sudetenlandes durch die Deutschen im Jahre 1938
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Suite, aujourd’hui, de notre chapitre sur les Allemands des Sudètes, avec Petr Bartoň, représentant de l’Association Sudète à Prague. Avec nous, il lève le voile sur certains tabous qui entourent encore ce point sensible de l’histoire tchèque.

Sudètes en 1938,  photo: Wikimedia Commons / PD
Sur l’ensemble des Allemands vivant en Tchécoslovaquie avant et pendant la guerre, à combien estimez-vous la part de sympathisants nazis ?

« En ce qui concerne le passé, ou disons les Allemands Sudètes et leur appartenance au parti nazi, je crois que c’était, dans le Protectorat de Bohême-Moravie, comme partout ailleurs en Allemagne. Précisons tout de suite qu’avant 1938, le parti nazi n’existait pas en Bohême. Il y avait un parti Allemand Sudète, qui se tranforma ensuite en parti national-socialiste.

Mais il y a une différence claire entre l’avant-guerre et l’occupation allemande. Dans les années 1930, les Allemands des Sudètes étaient répartis en différents partis politiques : il y avait beaucoup de sociaux-démocrates, des communistes, des chrétiens-sociaux et certaines personnes orientées vers le nationalisme. Toutes les sensibilités politiques s’exprimaient.

Peter Bartoň,  photo: www.sks-praha.com
Puis vers 1935, s’est produit une rupture, avec la formation d’un parti unique des Allemands des Sudètes, où étaient incarnées les tendances nationalistes les plus diverses, certaines proches du nazisme, d’autre du catholicisme. Ce phénomène s’est généralisé et, durant la seconde guerre mondiale, je dirais, pour répondre à votre question, que les Allemands des Sudètes n’étaient pas organisés différement que les Allemands vivant en Allemagne. »

Contrairement à l’image d’épinal, l’histoire des relations entre Tchèques et Allemands de Bohême ne se résume pas uniquement à des conflits. Ainsi, ils ont été souvent unis, en tant que hussites et plus tards protestants, contre les Habsbourg catholiques. Y-a-t-il aujourd’hui conscience d’une destiné historique commune ?

« C’est bien sûr une question très complexe. En effet, jusqu’au XIXe siècle, la nation d’appartenance nationale tchèque ou allemande ne joue aucun rôle. Ce qui fut déterminant, c’est que les Allemands présents dans les régions frontières de Bohême et de Silésie morave – les Sudètes comme on les appelera plus tard – vivaient ici depuis le Moyen-Age. Ils y avaient, pour ainsi dire, toujours vécu. Là, ils ont établi une existence commune avec les Tchèques mais aussi les Juifs et l’origine souvent germanique des Juifs a joué ici un rôle important. Cela donnait lieu à des conflits ou à des amitiés, mais jusqu’au XIXe siècle, la question de l’appartenance nationale ne se posait pas. »

Et ensuite ?

« Quand, à l’époque romantique, l’idée de nation tchèque s’est formée, le concept de nationalité a commencé à se définir des deux côtés, dans des tendances extrémistes ou modérées. C’est donc à ce moment qu’ont commencé les conflits entre les deux communautés. La première République tchécoslovaque (1918-1938) a essayé de mettre de l’ordre dans tout cela.

Sous l’Autriche-Hongrie, la nation tchèque devient auto-suffisante et commença à appliquer son propre droit dès la fin du XIXe siècle. On oublie souvent que durant les dernières années de l’Autriche Hongrie, les Tchèques disposaient de leur propre système de fonctionnement. Avec la création de la Tchécoslovaquie en 1918, les Allemands de Bohême-Moravie ont dû s’intégrer à un Etat bi-national (tchèque et slovaque). S’est ainsi posé un épineux problème : à quelle patrie appartiennent ces citoyens de langue allemande ? »

En 2003, le château de la famille Colloredo-Mansfeld, confisqué par les communistes en 1949, fut restitué sur décision de justice. A l’époque, vous ne souhaitiez pas faire de commentaire. Pour quelle raison ?

« C’est un exemple typique : les familles aristocratiques de Bohême-Moravie comme les autres grandes familles d’Europe, étaient tournées vers l’international. Certains parlaient et se disaient Allemands, d’autres Tchèques, ce qui a eu une grande influence en 1945 : ceux qui se déclaraient Allemands tombaient sous le coup des décrets Beneš. En ce qui concerne les Colloredo-Mansfeld, il s’agit d’une triste affaire, car ceux des dernières générations se définissaient comme locuteurs tchèques, ce qui n’a pas empêché des polémiques de surgir après la restitution en 2003. Je me demande donc comme cela va évoluer. »

Lors de sa venue à Prague en 2008, Mme Müller, ministre des Affaires économiques de Bavière, parlait des Allemands Sudètes comme de la "quatrième tribu" bavaroise. Cela ne revient-il pas à considérer que les régions Sudètes appartiennent à la sphère allemande ?

« Vu qu’un million d’Allemands Sudètes expulsés après guerre se sont retrouvés en Bavière, celle-ci exerce une sorte parrainage sur eux, veillant à entretenir la mémoire de leur culture. Il y aussi l’idée que les Allemands Sudètes appartiennent au tronc commun de la Bavière, sans compter qu’ils y vécurent toujours. D’ailleurs si vous gardez d’autres pays, vous constatez qu‘il n’est également pas possible d’y effacer la mémoire historique. Bien sûr, il s’agit d’autres contextes mais si vous regardez l’Alsace et Strasbourg aujourd‘hui, vous verrez de nombreuses personnes tentent de retrouver la mémoire de la langue allemande et de la culture alsacienne. De plus en plus de rues sont écrites en allemand. En France, pays de tradition pourtant centralisatrice, de plus en plus de gens opèrent un retour sur leur passé et identité.

Quant à l’Allemagne et la République tchèque, la jeune génération, de plus en plus, commence à regarder en arrière, afin de connaître ce dont leurs familles n’avaient jamais voulu parler. Cela est à noter. En effet, en France, où existait un système démocratique ancien, on pouvait, après la guerre, aborder les questions les plus secrètes. J’ai ainsi lu beaucoup de livres sur Vichy et la collobaration en France. En République tchèque, vingt ans après la chute du communisme, des questionnements apparaissent – et cela est dû à la liberté retrouvée – sur le comportement des Tchèques, pas seuleument après 1948 et le coup de Prague mais aussi en 1945 et avant. C’est un grand changement car aujourd’hui se produit ici ce qui s’est passé en France dans les années 1960 et 1970. »