Michal Viewegh, un écrivain aux prises avec les critiques
Ses livres sont parus en 750 000 exemplaires et ont été traduits en 17 langues. Deux de ses livres ont été portés à l'écran, deux autres ont été adaptés pour le théâtre. Lauréat du prix littéraire Jiri Orten, il a fait des lectures publiques dans de nombreux pays. Né en 1962, Michal Vieweg peut être considéré comme un auteur encore relativement jeune. Son succès étonne, agace, provoque, suscite l'envie. La critique est souvent sévère avec lui, mais le public ne se laisse pas décourager. Les lecteurs l'aiment, continuent à le lire et attendent impatiemment chacun de ses nouveaux livres. Je vous invite à examiner de plus près ce qu'on pourrait appeler " le phénomène Viewegh".
C'est au début des années 1980, donc à peu près à l'âge de vingt ans, que le jeune Viewegh apporte au rédacteur de la revue Mlady svet (Le Monde des jeunes) ses premières oeuvres. Mais, à l'époque, le succès est encore loin. D'ailleurs, son premier livre publié, "Opinions sur le meurtre", en 1990, passe presque inaperçu. Ce n'est que son deuxième ouvrage, "De belles années de galère" qui suscite un véritable enthousiasme de la critique et du public. Grâce à ce roman, qui évoque l'enfance et la jeunesse difficile d'un garçon ressemblant beaucoup à l'auteur dans la Tchécoslovaquie communiste, le jeune écrivain reçoit le prix Jiri Orten.
Pourtant, avec le recul, Michal Viewegh ne pense pas que le début de sa carrière ait été facile :"Parfois, je lis quelque part que ma carrière est partie comme une fusée, mais ce n'est pas vrai. Dans les années 80, outre quelque 25 contes, j'ai aussi écrit deux nouvelles plus importantes, mais elles n'ont pas été publiées. J'ai proposé l'une d'elles, déjà en 1984, à la maison d'édition Ceskoslovensky spisovatel (Ecrivain tchèque), ils l'ont acceptée. J'ai fêté ce succès avec mes parents, croyant que je serais un véritable écrivain, puis ils ont donné le livre à un lecteur externe, qui était, dans la plupart des cas, un spécialiste d'autre chose et non pas de littérature. Et il a dit non. Le même sort attendait aussi ma deuxième nouvelle. Cela ne m'a pas surpris parce que c'était une satire facilement déchiffrable de la situation à la Faculté des lettres de l'Université Charles. Cependant, je ne voulais pas être un auteur qui passe son temps dans les cafés en disant qu'il aimerait beaucoup écrire, si seulement c'était possible et si les communistes n'étaient pas là. Et c'est pourquoi, à la fin, j'ai opté tout à fait intentionnellement, et je le dis sans aucun scrupule, pour un sujet psychologique intimiste en espérant qu'il passerait. Je ne voulais pas me compromettre, je ne voulais pas écrire de petites apologies du régime, je voulais trouver une échappatoire avec un sujet non conflictuel. On peut en discuter en se demandant dans quelle mesure c'était légitime ou non...."
Après la publication de "Belles années de galère", la carrière de Michal Viewegh se met en marche comme une machine bien huilée. Il ira de succès en succès, plus précisément il aura du succès auprès du public. La critique, elle, devient réticente, voire fracassante, dès son quatrième livre, "L'Education des jeunes filles en Bohême", récit sur les aventures et les ébats amoureux d'un jeune homme en Tchécoslovaquie après la restauration du capitalisme. Le livre sera pourtant un des plus grands succès commerciaux de son auteur et sera traduit aussi en français. On le qualifie "d'humoriste superficiel", on l'accuse de préférer la facilité à la valeur littéraire.
L'écrivain, qui pourrait pourtant se contenter de la sympathie de ses lecteurs, ne reste pas insensible à ce qu'il considère comme de vilaines attaques. Il a mis beaucoup d'éléments autobiographiques dans ses romans qui ressemblent, dans une certaine mesure, à sa propre vie, et il se sent probablement atteint et offensé dans son intimité. Il perd son calme et il passe, lui aussi, à l'attaque. Il répond par la critique de la critique. Cela ressemble parfois à un règlement de comptes. Il multiplie dans ses romans les allusions sarcastiques sur les critiques qui ont été impitoyables avec lui et cherche à ridiculiser leurs méthodes. Lorsque le critique Jaromir Slomek publie une analyse fracassante de son recueil de feuilletons, Viewegh perd définitivement son sang-froid. La plume ne lui suffit plus et il passe aux mains. Un jour, il agresse le critique plutôt chétif devant des touristes ébahis dans le centre de Prague.
Bien que ce soit une agression plutôt symbolique, elle déclenche un tollé dans le monde littéraire tchèque. On accuse l'écrivain de fatuité, d'arrogance et de narcissisme, mais il y en a aussi qui prennent sa défense et cherchent à expliquer son attitude. Le critique Viktor Slajchrt constate, par exemple, avoir trouvé dans les articles de ses collègues un certain manque d'objectivité, un parti pris qu'ils devraient éviter et qui justifie, dans une certaine mesure, la colère de Viewegh. Pendant un temps, l'hostilité entre l'écrivain et ses critiques sera quasi totale.
Le changement n'intervient qu'avec la publication du livre intitulé "Balle au prisonnier", en 2004. Ce roman ironique et mélancolique, qui raconte les vies postérieures des élèves d'une classe, marquera le début d'une période qu'on pourrait qualifier de "cessez-le-feu". Michal Viewegh attribue ce changement au ton sérieux qu'il a adopté pour écrire ce roman. Il constate que ses rapports avec la critique commencent à s'améliorer un peu, car il a lu quatre ou cinq critiques positives de "Balle au prisonnier" : "J'y ai mis un peu moins d'anecdotes et, tout à coup, je suis presque devenu un artiste. D'un côté, cela me fait plaisir, d'un autre, je sens un peu qu'on me fait du tort, car je pense que dans beaucoup de mes livres précédents, il y avait au moins des germes de ce que j'ai développé dans "Balle au prisonnier". Je crois que l'avenir me donnera raison et confirmera l'idée qu'écrire d'une façon compréhensible, voire amusante et attractive pour les lecteurs, cela ne veut pas dire écrire d'une façon superficielle, stupide et complaisante."
Malgré tous ces problèmes, malgré les réticences d'une partie de la critique littéraire tchèque, les oeuvres de Michal Viewegh sont lues et traduites. Elles sont publiées, entre autres, par les maisons d'édition Flammarion, Mondadori ou Kiepenheuer-Witsch, dont les responsables ne les considèrent pas comme superficielles et sans valeur littéraire. Et Viewegh, l'un des rares sinon l'unique écrivain tchèque à pouvoir vivre de sa plume, continue à écrire ses best-sellers.