Mort de l’ancien Premier ministre Stanislav Gross, symbole de l’affairisme dans la politique tchèque
Premier ministre social-démocrate entre juillet 2004 et avril 2005, Stanislav Gross est décédé des suites d’une grave maladie dans la nuit de mercredi à jeudi. Il était âgé de 45 ans. Jeune politique prometteur à ses débuts dans les années 1990, puis à son arrivée progressive au pouvoir au début des années 2000, Stanislav Gross est finalement devenu l’un des principaux symboles d’une époque particulièrement opaque dans le milieu politique d’une République tchèque encore en pleine transformation postcommuniste. Finalement contraint d’abandonner toutes fonctions politiques pour avoir été dans l'incapacité d'expliquer la provenance de fonds lui ayant permis d’acheter un appartement de luxe, Stanislav Gross ne laissera que peu de bons souvenirs dans la mémoire collective.
« Stanislav Gross a été le plus jeune Premier ministre de ce pays avec une brève expérience de ministre de l’Intérieur auparavant (de 2000 à 2004, ndlr). C’était un cheminot sans grande culture politique, ni même formation intellectuelle. Son gouvernement a laissé un goût très amer, car cela a été une période de grand affairisme. Lui-même était d’ailleurs plutôt un entrepreneur en politique. Celle-ci lui a apporté une fortune soudaine dont les sources n’ont jamais été réellement découvertes. »
Au moment de succéder à un Vladimír Špidla démissionnaire à la tête du gouvernement deux mois après l’entrée de la République tchèque dans l’Union européenne, Stanislav Gross avait pourtant promis monts et merveilles :
« Je vais consacrer mon énergie pour faire en sorte que l’honnêteté soit reconnue à sa juste valeur en République tchèque, pour faire en sorte que les règles et les lois soient respectées en République tchèque. Et je vais consacrer mon énergie pour faire en sorte que la foi en l’avenir soit désormais plus grande en République tchèque. »
Huit mois plus tard, Stanislav Gross démissionnait donc à son tour, dans l’impossibilité d’expliquer aux Tchèques l’origine de l’argent qui lui avait permis de financer l'achat de son appartement familial. Devant la Chambre des députés, le Premier ministre s’était même offusqué des attaques contre sa personne et que l’on ose douter de la version des faits qu’il défendait :
« Je ne comprends pas pourquoi cette question m’est posée. J’y ai déjà répondu X fois. Par ailleurs, j’ai dit que ma femme avait demandé à l’organe financier compétent de contrôler l’origine de cet argent parce que cette origine est claire comme du cristal. »
Fabrice-Martin Plichta rappelle cependant que Stanislav Gross n’a pas été le seul responsable politique tchèque à vouloir profiter des « opportunités » qui s’offraient à lui à l’époque :
« C’est une période de culmination des affaires, de mélange des genres entre le milieu politique et celui des affaires. De cette période datent d’importantes privatisations, les nombreuses arrivées d’investisseurs étrangers, l’accès aux fonds européens et leur utilisation massive dans le pays. Tout était donc propice à ce genre d’affaires, et à la direction du pays, que ce soit au gouvernement ou au Parlement, se trouvaient des gens avec peu de scrupules, des gens qui ont fait de la politique surtout pour avoir un tremplin qui les propulse dans le monde de l’entreprise ou leur permette de faire fortune. Et, malheureusement, Stanislav Gross était un de ceux-là. »Pour le correspondant du Monde, il s’agit là d’une époque révolue dix ans plus tard. Fabrice-Martin Plichta estime que le parcours qui a été celui de Stanislav Gross ne serait plus possible aujourd’hui :
« Ce genre de parcours n’était possible que dans une période postrévolutionnaire comme celle que nous avons connue en République tchèque. Nous avons vu en Europe centrale durant la période post-communiste différents hommes politiques jeunes souvent arrivés au pouvoir, certains comme ministres, mais rarement quand même au poste de Premier ministre. C’est donc un excès de cette période. »
Pourtant, nombreux ont été les Tchèques à faire confiance à Stanislav Gross, avant encore que celui-ci ne se laisse aller des déclarations de ce type :
« Bien sûr, je me suis habitué à ce que les gens ne croient pas que je suis sincère, mais ce que je dis et ce que je fais, je le pense vraiment sincèrement. »
Témoin à son mariage en 1996, l’actuel président de la République Miloš Zeman a fait partie de ceux qui ont cru en la bonne étoile de Stanislav Gross. Il n’a pas été le seul. Václav Havel a été lui aussi un de ses partisans, ce dont se souvient Fabrice-Martin Plichta :« Havel était à un moment où il attendait désespérément une relève politique. Il croyait en la jeunesse et croyait que celle-ci permettrait un renouveau, en particulier après les années 1990 marquées par l’affairisme de droite autour de Václav Klaus et de personnalités plus âgées marquées par l’ancien régime communiste. Malheureusement, son pronostic sur Stanislav Gross était infondé. Il a d’ailleurs reconnu qu’il s’était trompé. Mais d’autres personnalités en lesquelles Václav Havel croyait ont déçu. Elles manquaient souvent de formation, d’accompagnement, de vrai fondement politique et étaient plus des carriéristes. »
Au printemps 2014, dans un documentaire diffusé par la Télévision tchèque, Stanislav Gross, atteint très probablement de la maladie de Charcot depuis quelques années déjà, s’était repenti et avait avoué qu’il avait menti durant sa carrière :
« Je m’excuse auprès de tous ceux d’entre vous qui m’ont fait confiance dans le passé et qui ont ensuite eu le sentiment que je les ai déçus. Je tiens à le dire et il faut que cela sorte de moi. »
Des aveux qui n’empêchent pas Fabrice-Martin Plichta, comme la majorité des commentateurs tchèques ce jeudi, de dresser un bilan sans complaisance de la trace laissée par Stanislav Gross :
« L’épisode Stanislav Gross a été traumatisant pour la scène politique tchèque et la société tchèques. Il est peu probable que l’on réitère ce genre d’expérience dans un proche avenir. »