Moteur !

0:00
/
0:00

Du 24 au 28 novembre se déroule, à l'Institut Français de Prague, le Festival du film français. L'occasion pour ces Chapitres de revenir sur l'histoire du septième art en terre tchèque. On dit que derrière chaque Tchèque se cache un musicien mais ne serait-ce pas plutôt un comédien ? La théâtralité baroque avait posé les bases d'une sociabilité de la dramaturgie. Le XXème siècle la verra se poser sur la pellicule.

'Extase' | Foto: public domain
L'histoire du cinéma est à son pays ce que les films sont à sa société : un reflet fidèle. Hasard de la conjoncture, le cinéma tchèque naît presque en même temps que la Tchécoslovaquie. La curiosité des Pragois pour le septième art semblait de toute façon déterminée par la place que la culture avait toujours occupée dans le pays. Sous la 1ère République, la cinéphilie n'est pas un vain mot à Prague : de 37 salles en 1924, la ville passe à 115 quatre ans plus tard ! Parallèlement naît un cinéma national, dont les studios Barrandov, construits en périphérie par la famille Havel, serviront de point de départ à sa renommée. Une actrice tchèque, Heda Kiesler, fait même carrière à Hollywood sous le nom d'Hedy Lamarr, après avoir connu en 1932 le succès dans "Extase", du réalisateur Machaty.

Quand les armées allemandes envahissent la Tchécoslovaquie, l'occupant trouve à Barrandov tout le savoir-faire et l'équipement nécessaires à son entreprise de propagande. A l'instar de l'industrie, le cinéma tchèque, enjeu vital, est totalement exploité par les autorités nazies. Le rôle de Prague prend encore plus d'importance lorsque les studios de tournage de Berlin subissent, à la fin de la guerre, les bombardements des Alliés. Si la société allemande Pragfilm employait des scénaristes et des acteurs tchèques, le monde du cinéma ne versa jamais dans la collaboration. Les actrices Mandlova et Baarova tournèrent à Prague et à Berlin dans des films allemands mais à caractère non politique. Elles seront emprisonnées pour collaboration à la libération. A côté des productions officielles, se développe aussi, tant bien que mal, un cinéma indépendant, qui voit d'abord des adaptations de grands classiques tchèques. Ce retour sur les traditions nationales ne plaît guère à l'occupant et avec la censure, l'intrigue des films se situe hors du contexte immédiat de la guerre. Une centaine de comédies seront réalisées durant ces années noires.

En 1945, la guerre est finie mais le cinéma tchécoslovaque n'en est pas à ses derniers soubresauts. En attendant, il symbolise parfaitement le "pont", que le président Benes souhaite jeter entre l'Est et l'Ouest. Jusqu'à 1948, les écrans pragois diffusent autant des films soviétiques d'avant-garde (Einsenstein...) que des productions françaises, anglaises puis, à partir de 1946, hollywoodiennes, avec Frank Capra ou Orson Welles. Nationalisé en 1945, le cinéma tchèque voit une nouvelle génération de créateurs émerger. En 1947, c'est la consécration, avec la victoire de "La Sirène" de Karel Stekly, au Festival de Venise. Autres films marquants de l'époque : "La Rivière magique", de Vaclav Krska ou encore une adaptation cinématographique des contes de Capek par Martin Fric.

'Le zeppelin volé',  un film de Karel Zeman
En 1948, le coup de Prague voit un rideau de fer s'abattre sur les salles pragoises. Malgré la censure, l'innovation ne déserte pas les pellicules pendant les années 50. Ainsi Karel Zeman, que la presse internationale surnomme le "Méliès tchèque", s'impose comme un formidable créateur de films d'animation. Dans le même genre, il faut citer "Le Brave Soldat Chveik" en 1955, version avec des marionnettes mais sur grand écran de Ji"í Trnka. La critique de la monarchie autrichienne paraît assez atemporelle au régime pour qu'il en tolère la diffusion. Pourtant, le livre de Karel Capek, en illustrant comment adhérer pour mieux se détacher, annonçait déjà les stratégies d'évitement des années 60.

'Au feu les pompiers'
Il est vrai que la nouvelle décennie connaît une libéralisation de la sphère politique et sociale, qui profitera à toutes les disciplines artistiques. Et au cinéma, les personnages redeviennent de chair, tandis que la vraie vie réintègre les écrans. Qu'il s'agisse des films de Vera Chytilová, Jirí Menzel ou Milos Forman, l'individu reprend ses droits sur la communauté. En montrant des hommes et des femmes dans leur vie quotidienne, le cinéma tourne le dos à l'idéologie. On n'imagine pas plus grande claque aux apparatchiks du régime. D'autant plus qu'avec "Les Amours d'une Blonde", de Forman, le cinéma tchécoslovaque se dote d'une solide réputation internationale. En 1967, le même Forman réalise "Au feu les pompiers", qui sonne comme une prémonition, un an avant l'invasion du territoire par les chars soviétiques. A priori, une farce : un bal des pompiers dans une petite ville, l'élection d'une "miss" et une tombola impossible. Mais à travers l'incendie final, on devine la destruction des illusions et le testament des libertés.

Dans les années 70 et 80, la production cinématographique se fait de plus en plus insipide. Le régime tente de faire oublier la crise économique et les contestations par une politique relative de consommation. Le cinéma n'y échappe pas, qui produit des comédies grand public parfois savoureuses mais qui ne resteront pas dans les annales.

Depuis 1989, le septième art a repris ses droits dans le pays. Face aux nouveaux enjeux, une jeune génération de réalisateurs décrit avec finesse, humour et poésie la société de l'après-communisme. Celle de l'enthousiasme et de l'évasion ("Jizda") de Jan Sverak, celle de la jeunesse et de la solitude ("Samotári"), de David Ondricek, ou celle des difficultés sociales avec "Stesti", de Bohdan Sláma. La production cinématographique tchèque est aujourd'hui trop riche pour s'étendre plus longtemps. Symbole du retour sur la scène internationale, "Kolya", de Jan Sverak, avait gagné l'Oscar du meilleur film étranger en 1997.