Munitions pour l’Ukraine : « Prague fait enfin avancer des propositions et trouve des alliés »
Le président français Emmanuel Macron est à Prague ce mardi pour rencontrer notamment le président Petr Pavel et le Premier ministre Petr Fiala avant de participer à un forum sur le nucléaire civil. L'aide à l'Ukraine est un des principaux sujets de cette visite de travail avec au menu le projet tchèque d'achat mutualisé de centaines de milliers d'obus à divers pays non-européens. RPI a posé quelques questions en amont de cette visite à Lukáš Macek, directeur du Centre Grande Europe de l'Institut Jacques Delors.
Selon vous la Tchéquie et la France sont-elles sur la même longueur d’ondes en ce qui concerne ces munitions à trouver pour l’armée ukrainienne ?
Lukáš Macek : « Je crois que dans les grandes lignes on pourrait avoir une convergence mais cette visite va permettre d’y voir plus clair. C’est vrai que la France a été perçue avec raison comme un Etat-membre qui pousse pour un achat de munitions européennes, mais vu l’urgence en Ukraine j’ai cru comprendre que la France était prête à reconsidérer en tout cas temporairement cette position et on pourrait assister à un accord sur le sujet entre la Tchéquie, la France et les autres pays qui ont pris cette initiative. La France, d’une manière générale et comme l’a montré le récent sommet à Paris, se montre beaucoup plus allante sur l’aide à l’Ukraine que d’autres pays, notamment l’Allemagne. »
Lors de ce sommet de Paris, on a vu Emmanuel Macron hésiter à qualifier de tchèque ce projet d’achat mutualisé de munitions, mais il semble bel et bien que cette initiative soit tchèque et menée par les Tchèques, avec des pays tiers, c’est à dire des pays non-membres l’UE qui fourniraient des munitions…
« C’est bien ça et je pense que cela mérite d’être salué : la Tchéquie arrive enfin à porter un agenda positif au niveau européen, à faire avancer des propositions et à trouver des alliés, ce que la Tchéquie comme d’autres pays d’Europe centrale et orientale avaient auparavant du mal à faire. »
Ce projet de centaines de milliers d’obus pour l’Ukraine, présenté à Paris par le Premier ministre Petr Fiala, avait été annoncé en amont par le président Petr Pavel à Munich. Le fait que le Chef de l'Etat soit un ancien général, militaire de carrière, joue-t-il un rôle dans tous ces pourparlers ?
« Je pense que ça peut aider car cela lui donne une forme de crédibilité, mais je pense que le principal est la crédibilité politique et de ce point de vue là sa ligne politique, sur l’Ukraine et l’engagement européen et occidental est très claire, ce qui n’était pas le cas de ses prédécesseurs. Le fait qu’il soit un ancien militaire est secondaire mais cela peut effectivement aider. »
Depuis ce sommet de Paris, il y a une controverse au sujet de « boots on the ground », de l’envoi potentiel de soldats en Ukraine évoqué par Emmanuel Macron. Est-ce quelque chose qui va devoir encore être éclairci à Prague ce mardi ?
« Je n’ai pas l’impression que la Tchéquie soit le pays où les réactions ont été les plus fortes ou négatives. Je crois que cela a surtout été beaucoup de bruit pour pas grand-chose, parce que la phrase d’Emmanuel Macron était assez générale et interprétée différemment. Je n’ai pas l’impression qu’il y ait de polémique entre Paris et Prague sur le sujet. »
Le nucléaire, l'un des rares sujets sur lesquels Prague et Paris ont toujours tenu la même position
Emmanuel Macron participe ce mardi à Prague à un forum sur le nucléaire. La candidature du groupe français EDF pour la construction de nouveaux réacteurs nucléaires en Tchéquie est au cœur de la relation franco-tchèque aujourd’hui. Est-ce un sujet qui va déterminer l’avenir de cette relation – autrement dit, si EDF ne remporte par cet appel d’offres, cette relation risque t-elle d’en pâtir ?
« Je crois que c’est évidemment important. La position pro-nucléaire est un des rares sujets sur lesquels la France et la Tchéquie ont toujours tenu la même position quels qu’aient été les gouvernements en place dans les deux pays. Par ailleurs ce contrat est d’une grande importance économique. Mais faire de ce deal nucléaire l’alpha et l’oméga de toute la relation franco-tchèque serait faire preuve de mépris pour les autres éléments de cette relation. D’ailleurs l’un des points de la visite d’Emmanuel Macron à Prague est de signer une mise à jour du partenariat stratégique pour une coopération bilatérale dans de nombreux domaines. Le dossier nucléaire n’est pas nouveau, ce forum nucléaire n’est pas anodin mais tout ne dépend pas de cela. »
Dernière question : certains avaient considéré comme un faux-pas d’Emmanuel Macron sa rencontre l'année dernière à Paris avec Andrej Babiš, alors candidat à la présidentielle contre Petr Pavel. Dans quelle mesure le fait que son Conseiller Europe, Alexis Dutertre, soit l’ancien ambassadeur à Prague peut-il influer sur cette relation ?
« Là encore, cela ne peut qu’aider et effectivement cela fait partie des éléments qui font qu’il y a une configuration globalement très positive autour de cette relation franco-tchèque, d’une manière assez inédite ces dernières années voire dernières décennies. Après, cet épisode de la rencontre avec Andrej Babiš a été déjà largement oublié. Je pense que lors de sa visite à Paris, Petr Pavel a clairement montré qu’il n’en voulait pas à Emmanuel Macron et qu’il n’y avait pas de rancune à ce sujet. »