Macron à Prague : Tchèques et Français affichent des positions communes face à la Russie de Poutine
La visite du président Emmanuel Macron mardi à Prague a permis d’affirmer une convergence entre les positions tchèque et française sur l’Ukraine.
Devant la presse, le président tchèque Petr Pavel et son hôte ont notamment évoqué le projet tchèque de mutualisation d’achats d’obus pour l’armée ukrainienne.
« L’initiative tchèque est extrêmement utile, nous la soutenons et y participerons », a affirmé Emmanuel Macron sans préciser de chiffres.
Les deux chefs d’État sont bien sûr également revenus sur la discussion autour des récentes déclarations d’Emmanuel Macron autour d’un éventuel envoi de troupes sur le sol ukrainien.
Emmanuel Macron : "J'ai dit quel était le cadre je n'ai pas dit qu'il y avait de consensus encore. Mais je considère que c'était important de le faire parce que nous devons tous être conscients que cette guerre nous touche. Et on n'a jamais envie de voir les choses telles qu'elles sont mais nous devons être lucides, ça fait deux ans maintenant que nous répétons à longueur de conférence de presse que la guerre revient sur le sol européen.
Cela fait deux ans, nous avons révélé l'étendue des matériels déjà livrés, les montants déjà livrés. Est-ce notre guerre ou n'est-ce pas notre guerre ? Pouvons-nous nous détourner, considérer que les choses peuvent continuer à se jouer, je ne crois pas. Et donc c'est un sursaut stratégique auquel j'ai appelé et que j'assume pleinement, il nous faut être lucide sur la réalité de la situation qui se joue en Europe, les risques qui sont à l'oeuvre et ce que nous devons assumer, je suis convaincu que justement la clarté assumée de ses propos est ce dont l'Europe avait besoin. Mais aller plutôt demander au président Poutine ce qu'il est prêt à ne pas faire. Qui a lancé la guerre en Ukraine ? Vladimir Poutine. Qui menace quoi que nous fassions, quoi que nous disions, avec l'arme nucléaire ? Le président Poutine. Tournez-vous tous vers lui pour savoir quelles sont ses limites stratégiques. Mais si chaque jour nous expliquons quelles sont nos limites face à quelqu'un qui n'en a aucune et a lancé cette guerre, je peux vous déjà vous dire que l'esprit de défaite est là, qui rôde. Pas chez nous."
Selon Petr Pavel également, ce n’est pas aux alliés de définir les limites qu’ils se fixent :
"J'ai dit qu'il ne fallait pas se limiter, je n'ai pas parlé de forme concrète de présence et de soutien, il y a tout un nombre de possibilités et le temps est venu d'en discuter. Et en effet, il y a certaines peurs d'évoquer la présence d'armées combattantes en Ukraine, ce qui pourrait représenter la ligne rouge. Mais là nous parlons de différentes formes d'assistance, on a évoqué par exemple la question concernant l'éventuelle réaction russe, s'il était plus dangereux de former les soldats ukrainiens sur notre territoire ou sur le sol ukrainien. Je pense que cela revient au même. C'est l'Ukraine le pays menacé et même si on avait une mission d'exercice en Ukraine, cela ne représente aucune violation du droit international, c'est à nous de choisir la forme d'assistance à apporter en Ukraine. Si nous restons dans cette limite de cet engagement non combattant, effectivement, je pense qu'il faut qu'on ait l'esprit ouvert et qu'on envisage toutes les possibilités qui se présentent et il ne faut pas renoncer à priori."
Eliška Tomalová est la directrice du département d'Etudes européennes de l'Université Charles de Prague. Elle revient sur cette visite du chef d'Etat français à Prague :
« C'est une visite qui s'est déroulée dans une atmosphère très positive, très pragmatique, on a l'impression que les relations sont dans un état très bon et que la relation franco-tchèque se passe autour de deux sujets importants : la défense et l'énergie, surtout l’énergie nucléaire, mais c'est une perspective bilatérale. Au niveau européen ce qu'il faut retenir c'est que les deux alliés sont sur la même longueur d'ondes. »
C'est d'autant plus notable que la Tchéquie ne semble désormais plus du tout sur la même longueur d'ondes avec ses alliés traditionnels, notamment la Slovaquie ou la Hongrie qui font partie comme elle du groupe de Visegrad (V4)...
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« La situation dans le V4 n'est pas facile bien sûr. Cela a changé après les élections en Slovaquie et en Pologne ; la Hongrie pose un problème constant depuis des années donc vraiment l'état de santé du V4 n'est pas excellent mais il faut aussi dire que la coopération en Europe se structure et va probablement se structurer pas vraiment autour des groupes régionaux dans le futur mais plutôt dans les coalitions ad hoc autour de sujets précis. Donc dans le cadre du V4, malgré les difficultés politiques, on peut trouver toujours des sujets qui nous qui nous lient, mais avec la France par exemple des sujets structurent notre partenariat. »
Est-ce que le discours à Prague d'Emmanuel Macron à propos de l’Ukraine aux côtés du président tchèque Petr Pavel va marquer une nouvelle étape dans ce qu'on connaît depuis plus de deux ans, depuis le 24 février 2022 ?
« On voit très bien que la position et le discours de Emmanuel Macron changent, c'est un changement qui est très bien accueilli du côté des partenaires tchèques. Donc on voit bien que l'engagement dans le conflit ukrainien est très fort bien sûr. Parfois, il y a une certaine prudence du côté des autres partenaires européens, Tchéquie inclue, mais on voit déjà que les idées de d'Emmanuel Macron trouve des alliés dans la région et que les propos qui paraissaient disons trop futuristes vont avoir des contours très concrets - je parle maintenant de la présence militaire sur le territoire ukrainien.
« Bien sûr, la visite d’Emmanuel Macron n'a pas apporté des solutions concrètes, on n'a pas vu de chiffres par exemple en qui concerne l'implication et la coopération de la France dans le cadre du projet tchèque qui concerne l’achat d’obus qui vont être livrés à l'Ukraine. On n’a pas eu évidemment de détails concernant la présence militaire en Ukraine mais on voit que vraiment du côté de ces deux grands thèmes il y a vraiment une volonté de trouver une solution dans un futur pas très lointain. »
La vision française au début de l’invasion russe en Ukraine était aussi symbolisée dans les éléments de langage qui évoquaient « une guerre aux portes de l’Europe » - on a totalement changé cette rhétorique et Emmanuel Macron a clairement répété à Prague que la guerre était de retour « sur le sol européen » - comme cela n’a jamais fait de doute en Tchéquie…
« Exactement, depuis le discours de Macron à Bratislava puis après la discussion autour la candidature de l'Ukraine à l’adhésion l'Union européenne. Donc on voit vraiment que la tendance change, que le discours français change et que certainement le discours d’Emmanuel Macron change.
« Mais on voit aussi qu’il y a une atmosphère beaucoup plus positive, pas seulement au niveau du discours médiatique mais aussi au niveau de la coopération administrative, la coopération quotidienne, on voit que les visites officielles se multiplient. On voit qu'il y a des changements importants au niveau diplomatique, les deux postes à Prague à Paris, et aussi au niveau administratif où il y a les contacts beaucoup plus intenses entre les ministères des Affaires étrangères français et tchèque par exemple. »
« Donc ce discours à certainement marqué un certain tournant pas seulement au niveau européen mais au niveau bilatéral parce qu’avant avant les relations franco-tchèques étaient bien sûr asymétriques, périphériques mais il y avait surtout beaucoup d’incompréhension de deux côtés. Là maintenant, j'ai l'impression que cela change. »
Est-ce que cette incompréhension est également liée à de la méconnaissance ? En tant qu’universitaire tchèque francophone, est-ce que vous êtes confrontée parfois à une vraie méconnaissance en France de cette partie de l'Europe, de l'Europe centrale et de l'Europe orientale ? On a encore eu un exemple récemment lors d'un débat télévisé entre un ancien ministre français de l'Éducation et un ancien euro-député qui ne savaient pas où étaient les Pays baltes et combien il y en avait…
« Malheureusement, cela continue toujours, mais des deux côtés. Du côté français bien sûr, ça prend du temps. On entend encore souvent évoqué le nom de la Tchécoslovaquie au lieu de parler de la République tchèque, ça existe encore. Mais au niveau politique, je sens qu'il y a des signaux plutôt positifs et que, comme on se rencontre beaucoup plus souvent - par exemple lors des présidences de l'Union européenne -, l'ancien ambassadeur en République tchèque est désormais un conseiller très proche d'Emmanuel Macron : ce sont des pas qui vraiment qui marquent la relation et j'espère qu'ils vont contribuer à une certaine compréhension entre les deux pays. Mais en ce qui concerne les sociétés, il a beaucoup de travail à faire. Je suis universitaire, je vois les étudiants qui participent à la mobilité étudiante et il y a de plus en plus d’étudiants français qui viennent passer leur semestre Erasmus ici à Prague et dans d'autres villes tchèques, donc j'espère que cette génération ne va plus parler de Tchécoslovaquie et qu’elle va retenir le nom actuel du pays par exemple ! »
Dernière question, sur la diplomatie culturelle car vous venez de publier un livre sur le sujet (Ambasadoři bohémy) : Emmanuel Macron a commencé sa visite au lycée français, il l'a terminée à la Galerie nationale et dans le partenariat stratégique, signé avec le Premier ministre tchèque Petr Fiala, il y a un point consacré à la culture et aux échanges culturels. Dans quelle mesure est-elle importante aujourd'hui cette diplomatie culturelle entre Paris et Prague ?
« Cela a toujours été un agenda très important. Quand le niveau politique ne marchait pas très bien, la culture jouait en rôle symbolique et très important dans la relation franco-tchèque. Le fait qu'il y ait de plus en plus projets communs entre les pays dans le domaine culturel est très important. Le concept de diplomatie culturelle est de moins en moins évoqué aujourd'hui mais j'entends les acteurs tchèques et français parler de plus en plus de relations culturelles internationales. Donc on verra si le vocabulaire de ce plan d'action et des relations franco-tchèques va changer également. Le concept change, les relations culturelles deviennent plus ouvertes et moins centré sur un dialogue bilatéral et c'est le futur de la diplomatie culturelle. »