Neurochirurgie : un enfant tchèque atteint d’une maladie génétique rare opéré avec succès à Montpellier

Atteint d’une forme sévère d’une maladie génétique rare appelée AADC, Martin, un petit garçon tchèque âgé de deux ans, a été opéré avec succès au CHU de Montpellier mercredi 31 janvier. Son traitement, très onéreux, a été rendu possible grâce un important élan de solidarité en Tchéquie : 150 millions de couronnes (un peu plus de 6 millions d’euros) ont été versés sous forme de dons l’année dernière pour aider les parents de l’enfant. Neurochirurgien à l’hôpital de Montpellier, le docteur Thomas Roujeau a effectué la délicate et longue opération, une thérapie génique par injection intracérébrale. Pour RPI, il explique en détail la nature de cette prouesse médicale et chirurgicale, fruit d’un important travail d’équipes.

Vous avez opéré ce petit garçon tchèque mercredi, et l’opération, qui a duré une dizaine d’heures, s’est visiblement bien passée. On a parlé d’une forme sévère d’un syndrome appelé AADC (déficit en décarboxylase des acides animés aromatiques) qui entraîne notamment des troubles de la motricité. De quoi s’agit-il plus exactement ?

Thomas Roujeau  | Photo: Martin Balucha,  ČRo

« Il s’agit d’une maladie neurologique d’origine génétique, c’est-à-dire que les enfants qui en souffrent possèdent un gène qui a muté. Ce gène permet la fabrication, au niveau cérébral, d’une enzyme qui permet la production de dopamine et de sérotonine, deux transmetteurs importants pour le fonctionnement des neurones, notamment ceux qui participent à la transmission des informations pour la coordination motrice. »

« Les enfants qui présentent ce type de mutation ont une maladie neurologique qui se manifeste un peu comme la maladie de Parkinson. En même temps, ce sont des enfants très ‘mous’, avec des problèmes neurovégétatifs, donc des accès de crise, de sueur, des hypoglycémies sévères, et tout cela vient aggraver et altérer le fonctionnement cérébral. »

« Ce type de mutation est rare. Il y a des pays, notamment en Asie, où on la retrouve plus fréquemment, des pays qui y ont été confrontés plus tôt et qui l’avaient donc déjà identifiée, même si cette identification est relativement récente. En fait, comme les symptômes ne sont pas spécifiques à cette maladie, sans test génétique, il n'est pas possible d'établir un diagnostic. Il n’y a pas vraiment d’efficacité des traitements médicamenteux, si ce n’est d’atténuer les symptômes. »

Qu’entendez-vous par « enfants mous » ?

« En fait, par moments, ces enfants ont des problèmes dans la coordination et le contrôle du mouvement, et leurs muscles sont au contraire très tendus, du fait d’accès brutaux de raideur des quatre membres. En dehors de ces accès, ils sont très hypotoniques, ce qui signifie qu’ils ont très peu de contrôle volontaire du mouvement. Les ordres qui doivent venir du cerveau pour déclencher le mouvement n’arrivent pas, donc ils sont tout ‘mous’, comme une poupée de chiffon, jusqu’au prochain accès de raideur. Sur le plan cérébral, on a du mal à interagir avec eux, mais on sait qu’ils sont conscients. »

Quels sont les différents degrés de gravité de cette maladie ?

« Il y a des formes modérées, avec des enfants qui ont peu de symptômes et qui atteignent un certain développement, comme l’acquisition de la marche. Ils ont peu de crises et peuvent même être scolarisés, mais ils ont néanmoins une grande fatigabilité. Ils arrivent à progresser, mais avec un décalage dans le temps par rapport aux autres enfants. »

« Dans d’autres cas, certains enfants ne font aucune progression et présentent une forte fréquence de crises, jusqu’à plusieurs par jour. Dans les formes sévères, on sait que ces enfants ont une espérance de vie plus limitée, avec des risques de mort subite. »

Dans le cas de ce petit garçon tchèque, quelle était la gravité ?

« C’était une forme sévère, puisqu’il ne tenait pas sa tête et ne pouvait pas se tenir assis, alors que ce sont des compétences qui s’acquièrent respectivement à l’âge de 6 et 9 mois environ. C’est aussi un enfant qui était limité dans ses interactions avec son entourage. Il suivait du regard, réagissait à certaines musiques, donc ses parents pouvaient interagir avec lui, mais il ne parlait pas. Dans ces cas de forme sévère, ce sont des enfants qui sont très lourdement handicapés. »

« C’est une maladie qui s’exprime très tôt, néanmoins il y très souvent un retard de diagnostic parce que les symptômes correspondent à beaucoup d’autres maladies, et que le gène déficient ne peut être identifié que si on va le chercher. C’est pour cette raison qu’il est possible qu’il y ait des enfants avec des symptômes équivalents pour lesquels le diagnostic précis n’a pas été établi parce que le gène n’a pas été identifié. Une des avancées réside donc, aussi, dans le fait que l’on cherche beaucoup plus fréquemment à identifier cette anomalie chez les enfants qui ont des retards développementaux et des maladies neurologiques, et ce bien que cela reste une maladie très rare. »

Si ce petit garçon tchèque a été opéré à Montpellier, c’est en raison d’un nouveau traitement existant depuis environ trois ans. Vous parlez de neurochirurgie réparatrice du XXIe siècle. Il s’agit d’une thérapie génique par injection intracérébrale. Autrement dit, vous injectez un médicament directement dans le cerveau de l’enfant. Que pourriez-vous nous dire pour que l’on comprenne mieux cette thérapie ?

« Il faut comprendre que toutes les cellules utilisent l’ADN en fonction de leur spécialisation, c’est-à-dire qu’elles utilisent tel ou tel gène pour fabriquer un certain nombre de protéines et interagir avec les autres cellules. S’il y a une une mutation du gène qui code pour l’enzyme, cette enzyme n’est pas fabriquée. Or, nous n’avons pas de médicament qui permettrait d’amener cette enzyme dans le cerveau. »

« Le principe de la thérapie génique est donc de faire une greffe de ce gène aux cellules qui n’arrivent pas à produire cette enzyme. Ainsi, la cellule l’intègre dans son génome et va enfin pouvoir fabriquer l’enzyme. »

« On intègre ce gène par un virus, qui sera donc le vecteur, qui n’a pas de charge virale mais qui a gardé sa capacité à rentrer dans la cellule et à transmettre une information à la cellule ; ici, le gène qui nous intéresse. Tout ça, c’est le fonctionnement de la thérapie génique. »

« Le vecteur viral qui est utilisé ne passe pas du sang vers le cerveau, il ne peut donc pas être administré par la bouche, par exemple. Donc, pour qu’il aille dans les zones du cerveau qui devraient fabriquer cette enzyme, on est obligé de transmettre ce couple virus inactivé/gène directement sur la cible, c’est-à-dire des structures relativement profondes du cerveau. »

« Il y a d’autres maladies dans lesquelles il y a des thérapies géniques, pas que des maladies du système nerveux. On peut observer un grand essor de ce type de thérapie. Donc, moi, c’est pour cela que j’ai à intervenir : pour délivrer ce médicament dans la cible cérébrale. Mais ce qui est particulier avec cette intervention, c’est qu’à la fin de celle-ci, on a juste transmis le vecteur. Maintenant, depuis quelques jours, on est dans la phase où le vecteur viral est en train de coloniser les cellules cérébrales et donc de transmettre le gène. Il s’étend par rapport à la zone dans laquelle on l’a injecté. Il est en train de faire son œuvre mais, pour l’instant, on n’a pas vraiment de forme d’efficacité dans le sens où on doit attendre que la greffe prenne, que les cellules de l’enfant intègrent ce gène puis se mettent à fabriquer l’enzyme. »

« Tout cela signifie que cette chirurgie n’est pas réparatrice comme d’autres chirurgies qui ont un effet immédiat. Cet enfant va, de lui-même, fabriquer cette enzyme, de plus en plus, jusqu’à avoir une fabrication que l’on espère la plus proche possible de celle qu’il aurait sans cette mutation. »

Quelles sont désormais les perspectives pour cet enfant après l’opération ? Vous êtes spécialisés dans ce type de thérapie à Montpellier, mais l’enfant, lui, va retourner en Tchéquie. Quelle sera la suite du traitement ? Et quels sont les résultats que vous avez pu observer suite aux précédentes opérations déjà réalisées sur d’autres enfants ?

« Tout d’abord, en ce qui concerne le déroulé pour la suite, il y a le suivi post-opératoire comme pour toute intervention, c’est-à-dire suivre la cicatrisation et l’état clinique de l’enfant. La chirurgie, l’anésthésie et tous les moyens mis en œuvre pour être précis dans la délivrance de ce médicament font que l’intervention est longue. Donc, ces enfants vont en soins intensifs et en réanimation juste après l’opération parce qu’ils sont très fragiles. Par exemple, ils peuvent avoir une réaction dispropportionnée au médicament de l’anésthésie. »

« Mais pour cet enfant, les choses ont évolué de façon tout à fait rassurante. Dès le lendemain, après une nuit en soins intensifs, il a pu rejoindre une chambre d’hospitalisation normale. »

« Donc, pour le suivi post-opératoire, lorsque la situation évolue très bien, ce qui semble être le cas de cet enfant, c’est une hospitalisation de l’ordre de cinq à sept jours. Après, ce sont des enfants que l’on souhaite revoir pour suivre la cicatrisation. »

« Ensuite, il y a le suivi des débuts de l’effet du traitement, puis les progrès qu’il va faire. »

« Quand ce sont des enfants qui habitent en France ou à proximité de Montpellier, on s’organise pour être l’équipe médicale de première ligne et de suivi. Pour cet enfant, des collègues tchèques étaient présents lors de l’intervention, par conséquent ils ont une idée de l’évolution du traitement et, de toute façon, nous sommes en lien avec eux. On met en place une coordination avec des médecins qui ont l’habitude de s’occuper de Martin et qui pourront le suivre. Car, bien évidemment, il n’est pas pertinent de maintenir cet enfant et sa famille en France. D’autant moins que l’on s’attend à un début de manifestation clinique en réponse à la fabrication de l’enzyme d’ici un mois. Mais nous avons besoin de points de suivi réguliers, en lien avec nos collègues tchèques, et d’examens qui puissent être faits au plus près du domicile de l’enfant. »

« En ce qui concerne les perspectives d’amélioration de la maladie de Martin, là, c’est une réponse qui est très complexe. C’est un type d’intervention qui est réalisée depuis longtemps, à Taïwan ou au Japon, mais seulement à titre de recherche. C’est le sixième enfant que l’on traite (à Montpellier) et même s’il y a d’autres centres en Europe qui pratiquent ce type d’intervention, sur le plan individuel, c’est compliqué de se projeter. »

« On sait que plus les enfants sont jeunes, meilleures sont leurs capacités de profiter de ce traitement. Certains ont pu retrouver la marche et d’autres ont eu des améliorations - réduction des crises, des sueurs, des hypoglicémies - tout en restant dans une situation d’handicap lourd. Ce sont des enfants qui, à cause de leur maladie, ont de grosses difficultés à s’alimenter, qui ont souvent des sondes permanentes que l’on appelle gastrostomie. Mais, grâce au traitement, ils peuvent s’alimenter par la bouche. Même s’ils ont besoin d’aide, ils peuvent acquérir un meilleur contrôle de leurs mouvements, une tenue de la tête, une tenue assise... »

« Concernant Martin, par rapport aux enfants que nous avons déjà traités, on s’attend à un résultat plus important, un bénéfice plus important, car il est plus jeune et son cerveau peut mieux se regénérer. »

« Justement, ce qui est difficile dans cette discussion, c’est que l’on peut difficilement comparer des enfants qui ne sont pas traités au même âge. Et c’est aussi aussi toute la difficulté pour les parents ; de confier leur enfant à une équipe médicale qui n’est pas en mesure de leur dire avec précision jusqu’où va aller l’amélioration. Par contre, on est capable de dire que ces améliorations se maintiennent dans le temps et que le premier enfant que l’on a traité en 2020 continue de s’améliorer. Donc, ce sont éléments qui sont plutôt rassurants. »

Source: Donio

Vous avez été beaucoup été sollicités au CHU de Montpellier par les médias tchèques ces derniers jours en raison de l’opération, puisque le traitement de ce petit Martin a fait naître une importante vague de solidarité en Tchéquie. Mais comment expliquez-vous que ce traitement, qui n’est pas pris en charge par l’assurance-maladie en Tchéquie, coûte autant d’argent ?

« C’est une vraie question qui, clairement, au niveau des équipes médicales, nous met forcément mal à l’aise. C’est là une question de société. Nous, en France, avons participé à la validation du médicament à travers le traitement des premiers enfants. Ils ont été évalués par l’Agence médicale du médicament. Nous avions alors un cahier des charges très strict de façon à pouvoir dire si le bénéfice de ce traitement justifie qu’il puisse y avoir un remboursement. C’est important tant d’un point de vue scientifique que médical : il faut répondre à la question de savoir si le bénifice que l’on apporte aux enfants justifie que l’on valide ce traitement comme étant un médicament efficace. M’assurer de la sécurité et du bénéfice que l’on peut apporter à ces enfants est mon rôle en tant que médecin. C’est la première chose. »

« Ensuite, il y a un deuxième niveau, qui est le suivant : comment fixe-t-on, en France, en Tchéquie, en Europe, dans le monde, le prix d’un médicament ? Là, on entre dans un débat entre le laboratoire, qui a ses dépenses en termes de recherche et de développement mais aussi ses intérêts, et la société en tant que telle, qui doit se dire combien elle est prête à dépenser pour tel ou tel traitement. Sur ce point, j’ai un avis en tant que cityoen, et il est clair que le prix de ce médicament est phénomémal. À chaque fois que l’on traite un enfant avec ce médicament, on se dit aussi que l’on pourrait traiter beaucoup d’autres enfants (atteints d’autres maladies) pour le même prix. Bien sûr, cela nous met mal à l’aise, mais moi, en tant que médecin, j’ai aussi un enfant et une famille en face de moi, et je sais que j’ai les moyens de traiter cet enfant... C’est là que se trouvent le paradoxe et la contradiction. »

« Dans tous les cas, en France, le prix du médicament est fixé entre le laboratoire d’un côté et la DGOS (Direction générale de l’offre des soins), ou si vous préférez l’État, de l’autre. Ce sont eux qui définissent le prix d’un médicament et son remboursement. Ce médicament est d’abord validé en Europe par l’Agence européenne des médicaments, il appartient ensuite à chaque pays de décliner cette autorisation en choisissant de le rembourser ou non en fonction de son système de santé. »

« Quoiqu’il en soit, je tiens à dire une chose : j’ai été très touché d’apprendre l’existence de cet élan de solidarité qui a permis aux parents de Martin d’accéder à ce traitement. Il faut également souligner, toujours par rapport au prix du traitement, que cet enfant a été opéré dans un hôpital français public ; ce qui veut dire qu’aucun des personnels ne gagne d’argent en plus de son salaire de médecin, d’infirmer ou d’aide-soignant sur cette opération. Nous soignons tous les enfants et je tiens à ce que cela se sache ! »