Un livre sur l'écriture

"Ecrire" tel est le nom d'un livre de Marguerite Duras. Un petit livre par le nombre de pages mais grand par le contenu. Livre testament écrit par Marguerite Duras vers la fin de sa vie. C'est grâce à la traductrice Anna Kareninova et à la maison Arbor vitae que nous disposons aujourd'hui d'une traduction tchèque de ce livre. IL y a quelques jours, l'Institut français de Prague nous a proposé une lecture publique de ce texte qui nous plonge dans l'intimité de l'écriture. J'ai eu l'occasion de m'entretenir à cette occasion aussi avec la traductrice Anna Kareninova.

"Je pense que dans ce livre, Marguerite Duras se penche très intimement sur sa façon d'écrire, dit Anna Kareninova. Elle croit se pencher sur l'écriture en général mais en réalité elle se penche surtout sur sa façon d'écrire. Et c'est tellement intime qu'on ne supporterait pas d'écrire un texte plus long à ce sujet ... Je n'ai commencé à traduire les livres de Marguerite Duras que dans les années 1980 et 1990, donc dans la seconde vague de sa création littéraire. Tous ses livres de cette période sont des testaments, et chacun est un testament d'une espèce différente. Si le livre "Ecrire" est un essais, alors c'est un essai très très personnel et littéraire. Elle ne sait pas se départir complètement d'elle-même. S'y entremêlent des thèmes de tous ses livres tardifs et je pense que déjà le fait qu'il s'agit d'un livre très mince, très dépouillé, confère à ce texte une grande force et le rend très impressionnant."


Un des thèmes qui apparaissent très fréquemment dans le livre, peut-être le mot le plus fréquent qu'on y trouve, est la solitude. Ce mot est loin d'avoir pour Marguerite Duras une signification négative. Il semble que pour elle, la solitude était étroitement liée avec la création littéraire. Anna Kareninova ajoute:

"Je crois que la création littéraire est une grande solitude. Et j'avoue que la traduction même de tels livres est une grande solitude. En traduisant ce texte je le vivais encore différemment, pas seulement comme traductrice, mais par mes sentiments personnels. Chaque livre que je traduis me plonge aussi dans la solitude."


Dans le livre Marguerite Duras évoque souvent les hommes de sa vie, son mari, ses amants, son fils. On en vient à se demander dans quelle mesure le livre peut être considéré comme une source d'information sur sa vie. Anna Kareninova trouve encore d'autre aspects de cette question:

"Je pense que ce n'est pas un témoignage sur sa vie mais sur son attitude envers les hommes et envers la vie. Il se peut que cela ne se soit pas passé comme elle le raconte, mais il n'y pas de doute qu'elle nous dit ce qu'elle vivait, comment elle vivait sa vie. Elle décrit ses rapports avec les hommes dans tous ses livres pratiquement de la même manière mais je pense que ce qu'il y a de beaucoup plus fort dans les livres de Marguerite Duras, ce sont les femmes. Elle se décrit sous forme de plusieurs personnages féminins. Comme si ces femmes dominaient le monde, mais elles le font d'une autre façon que celle qu'on voit, par exemple, dans la littérature typiquement féminine. Les femmes dans les livres de Marguerite Duras dominent le monde des hommes, non pas parce qu'elles voudraient être plus fortes mais justement parce que ce sont les femmes."


L'écrivain nous donne dans son livre ses réflexions sur la création voir sur l'inspiration littéraire, mais le livre n'est pas seulement une réflexion abstraite. Il nous renvoie toujours dans la maison de Neauphle-le-Château qui apparaît comme un point fixe dans l'existence de l'écrivain. Quel a été le rôle que cette maison a joué dans la vie de l'écrivaine? Anna Kareninova:

"Cette maison a joué un rôle immense dans sa vie. Dans son livre elle parle de trois logements, son logement parisien, son logement sur la côte atlantique et sa maison de Neauphle-le-Château. Cette maison est le centre de sa création et de sa solitude. Je regrette de ne pas avoir vu cette maison jusqu'à présent, mais je crois qu'elle est visitée actuellement par tant de touristes que je ne voudrais même pas la voir dans cette situation. Je l'ai vue très souvent sur les photos et même dans le livre « La vie matérielle » où Marguerite Duras lui consacre un chapitre très important. Cette maison a son histoire, elle date de la Révolution française et elle peut être encore plus ancienne. Marguerite Duras perçoit tout cela, elle imagine en écrivant les femmes qui y ont vécu. La continuité de la vie et des sensations est très importante pour elle et elle l'a trouvée dans cette maison."